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4. CADRE THÉORIQUE

4.1. Ancrages paradigmatiques pour une formation d’acteurs de changement

4.1.4. Le concept de transition écosociétale

Puisque nous envisageons le rôle des acteurs de changement dans une perspective de transition écosociétale, il nous apparait nécessaire d’apporter, dès à présent, quelques précisions relativement au sens que nous accordons à ce concept et les raisons qui sous-tendent le choix du néologisme « écosociétal » pour qualifier la transition envisagée. Nous n’avons fait qu’effleurer cet aspect dans la problématique de recherche.

Emprunté du mot latin « transitio », le terme transition origine du mot « transision » qui, au XIVe siècle, revêtait deux significations, soit « agonie » et « passage ». Puis, le mot a évolué rapidement et vers la fin du même siècle a pris la forme de « transicion » qui signifie « action de passer de l’autre côté ». Le XVe siècle voit apparaitre le mot « transsision » qui traduit l’idée d’un « moment passager ». Quelques années plus tard, c’est au tour du mot « transsition » de faire son apparition. Cette dernière forme linguistique signifie « passage ménagé d'une chose, d'une idée, à une autre ». Enfin, en 1765, ce terme est évoqué comme « manière d'adoucir le saut d'un intervalle disjoint ». (Centre national de ressources textuelles et lexicales., s.d.) Le concept de transition renvoie donc à l’idée d’opérer un passage entre un état et un autre ou entre une situation et une autre. La transition correspond à cet intervalle de temps qui sépare l’ancien du nouveau à construire, de même qu’elle réfère aux actions qui sont mises en œuvre durant ce passage. Il s’agit donc à la fois d’un état de réflexivité et de la mise en œuvre d’une pluralité d’actions. Le sens de ces actions est éclairé par la conscience de ce qui doit être transformé dans l’intervalle. Piloter le changement pour réussir la transition écosociétale requiert donc la mise en œuvre d’une véritable praxis

11 Dans leur ouvrage, Bacqué et Biewener (2015) distinguent trois perspectives de la notion d’empowerment : radicale, social-libérale et néolibérale. Pour ces autrices, les deux dernières perspectives ne remettent pas en question les structures d’oppression. Par une analyse très fine, elles démontrent comment, au fil des années, le concept d’empowerment a pernicieusement glissé du modèle radical, qui cherche à libérer les opprimés et à transformer la société, vers les deux autres modèles. Pour leur part, Bourbonnais et Parazelli (2018) ont mis en lumière le paradoxe de l’empowerment en travail social en rappelant comment « le régime d’autonomie-condition contemporain réinscrit l’autonomie en condition immanente à la dignité humaine dans un horizon d’accomplissement immédiat ». Ainsi, lorsque l’on propose l’empowerment comme objectif (que ce soit en travail social ou en éducation) « …la question demeure à savoir distinguer ce qui relève réellement de la volonté proprement singulière de la personne de ce qui provient de sa socialisation en régime normatif d’autonomie-condition. Car l’autonomie ne peut plus désormais être conçue indépendamment de la sphère politique … ».

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sociale. Nous nous pencherons plus en détail sur cette notion dans la section 4.4. De plus, dans ce mouvement de transformation, il est question de construire le nouveau tout en accompagnant l’ancien qui tombe alors en désuétude. Plusieurs modèles de leadership pour la mise en œuvre de la transition ont vu le jour ces dernières années, notamment celui du two loops (Fenton, 2014) qui reprend les travaux de Wheatley et Kellner-Rogers (1996). Cette agonie de l’ancien système doit être radicale, mais douce. En somme, la transition est nécessaire, mais elle requiert également des soins délicats pour qu’elle s’opère de manière harmonieuse. Notamment, il importe qu’elle ne s’effectue pas aux dépends du respect des valeurs qu’elle promeut, dont celles de la justice et de la démocratie.

Dans l’espace public, il est actuellement souvent question de transition : transition énergétique, transition agricole et alimentaire, transition économique, transition écologique (Stamm, 2015), etc. Toutefois, l’utilisation de ces termes est rarement clarifiée, apparaissant davantage comme un porte-étendard servant à exprimer des volontés de proposer des modèles alternatifs aux modèles dominants. Assez souvent, les acteurs (individus ou organisations) qui mobilisent ces termes le font en lien avec un secteur d’activité spécifique ou dans un contexte organisationnel particulier. Par exemple, la transition énergétique propose, parmi d’autres mesures, des solutions alternatives aux énergies fossiles (de Perthuis, 2013); la transition agricole et alimentaire propose quant à elle de revoir nos manières de produire, de distribuer et de consommer les aliments (Allaire et Daviron, 2017), notamment en favorisant l’agriculture biologique et de proximité (Boutin et al., 2011). Quant aux tenants de modèles économiques alternatifs, ces derniers proposent, parmi d’autres solutions, le virage vers une économie circulaire (de Perthuis, 2014), une économie sociale et solidaire (Lacroix et Slitine, 2016) ou une économie du partage (Demailly et Novel, 2014). Bien que ceux qui mobilisent ces différents concepts se disent généralement préoccupés par les questions de transition écologique, ce terme apparait comme un mot-valise : les valeurs et les principes, de même que les finalités sociétales demeurent, la plupart du temps, non précisées. Notamment, le terme « transition écologique » ne permet pas de faire la part des choses entre ceux qui s’inscrivent dans une perspective de développement durable qui, pour certains observateurs critiques, consiste davantage à ajuster les manières de faire actuelles pour les rendre socialement acceptables (Sauvé, 2007) et ceux qui s’inscrivent dans une volonté de renverser nos manières de penser et d’agir grâce à une approche écosocialiste ou convivialiste (Massiah, 2014), par exemple. Nous remarquons aussi que le terme « transition écologique » ne permet pas de distinguer entre les tenants d’une transition misant sur les technologies vertes (Nieddu et Vivien, 2015) et ceux qui prônent plutôt une approche axée sur la décroissance (Jackson et al., 2010). Par ailleurs, selon nous, les différentes appellations relatives à la transition, tels que nous les avons cités ci-dessus, ne permettent pas de mettre de l’avant la nécessaire réconciliation entre nature et culture et donc, entre les dimensions sociale et environnementale. Or, les acteurs de la transition s’entendent pour dire que nous ne pourrons changer réellement de trajectoire et réussir le passage vers un monde meilleur que si nous reconnaissons enfin, de manière intégrale, que les enjeux économiques et sociaux sont inextricablement liés entre eux et aux enjeux écologiques et qu’ils ne représentent véritablement qu’une seule et même réalité (Gariépy, 2018). L’habitude cartésienne que nous

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avons prise de compartimenter les savoirs pour mieux en saisir le sens, a mené la civilisation au bord du gouffre actuel. Il importe donc en priorité de remédier à ce morcèlement des savoirs et des actions pour enfin penser et mettre en œuvre le changement, de manière holistique. Afin de résoudre cet apparent clivage entre les dimensions environnementale et sociale, le terme « socioécologique » est de plus en plus utilisé. Pour notre part, nous lui avons préféré le terme « écosociétal », et ce, pour diverses raisons. D’abord, le mot « écologique » est souvent mal compris dans plusieurs milieux où il continue d’être associé à des activistes de la conservation de la nature, ce qui lui accole une connotation négative d’affrontement entre groupes sociaux ou d’opposition entre les dimensions environnementale et économique12, notamment dans les controverses étudiées sous l’angle de l’acceptabilité sociale (Baba, 2016). Puis, le terme sociétal est préféré au terme social parce que nous croyons qu’il met davantage en relief l’unité et les interactions entre les éléments du monde. En effet, bien que les définitions de ces deux termes, dans les différents dictionnaires de la langue française, permettent assez difficilement de percevoir la différence entre les deux, nous retenons que le terme social fait référence à tout ce qui concerne les diverses entités qui composent la société et que le terme sociétal désigne, quant à lui, l’ensemble des entités sociales qui composent la société et leurs divers modes d’organisation. Précisons dès maintenant que le choix du terme « sociétal » plutôt que celui de « social » ne doit pas être compris comme « un prétexte pour ne pas faire de réformes sociales » (Etre, 2013). En synthèse, dans cet essai, la société regroupe l’ensemble du monde vivant et du monde non-vivant, de même que tout l’univers des idées, des croyances, des valeurs, des symboles, des habitudes, etc. La transition écosociétale désigne donc un vaste mouvement de redéfinition de nos manières de penser et de vivre qui reconnait la nécessité d’opérer un changement de paradigme vers une compréhension holistique du monde dans lequel l’être humain joue un rôle essentiel aux côtés d’une multitude d’autres formes de vie. En ce sens, notre conception rejoint celle du paradigme socioculturel de la symbiosynergie proposé par Bertrand et Valois (1999) et qui, selon ces auteurs, se présente comme étant une vision du monde et de l’être au monde apte à contribuer aux transformations sociétales nécessaires à la résolution du « macroproblème mondial » (Bertrand et Valois, 1999, p.247-257).