Chapitre I : Les alarmines
1. Concept du signal danger
Durant de nombreuses décennies, et ce, jusqu’à la fin des années 80, les immunologistes attribuaient au système immunitaire une fonction unique destinée à la défense de l’organisme contre les infections causées par des pathogènes. En effet, les toutes premières théories et notamment celle de l’« horror autotoxicus » par Paul Ehrlich (Prix Nobel 1908) ou encore celle du « soi et du non-soi », de 1969, par Burnet, postulent que le système immunitaire de défense est capable de discriminer uniquement le soi du non soi tout en échappant à l’auto-réactivité du soi (Pradeu et Cooper, 2012). A la fin des années 80, Charles Janeway fut le premier à proposer l'existence d'une classe de récepteurs appartenant au système immunitaire inné et capable de reconnaitre des structures d’origine microbienne conservées, dénommées "motifs", ceci avant même leur identification moléculaire (Janeway, 1989) (Mogensen, 2009). Il est maintenant bien admis que la défense de l'hôte contre les agents microbiens est initiée par la reconnaissance de PAMP (pour « Pathogen-Associated Molecular Patterns ») par le système immunitaire inné via
des récepteurs spécifiques, les PRR (pour «Pattern Recognition Receptors »), dont font partie les TLR (pour « Toll-Like Receptors »). Cette reconnaissance déclenche des cascades de signalisation intracellulaire responsables de l'expression d'une variété de molécules pro-inflammatoires qui contribueront à l’élimination de l'agent microbien et participeront à la mise en place d’une réponse immune adaptative (Mogensen, 2009).
Cette compréhension relativement récente des mécanismes impliqués dans la reconnaissance des agents microbiens dans la réponse immunitaire innée via les complexes PAMP-PRR, a amené, dans les années 90, Polly Matzinger à proposer sa théorie du « signal de danger » ou du « signal d’alarme » (Matzinger, 1994). Cette dernière postule, qu’en plus des molécules exogènes, le système immunitaire peut également être activé par des molécules endogènes libérées par
36 l’organisme lui-même, suite à un stress. Le terme DAMP (pour « Damage-Associated Molecular Patterns ») fut attribué à cette classe de molécules.
De nos jours, on admet donc l’existence de deux classes de molécules servant de signaux de danger pouvant alerter le système immunitaire et déclencher une réponse appropriée : les DAMP, d’origine endogène résultant du stress cellulaire et responsables de l’inflammation stérile, et celles d’origine exogène dont font partie les PAMP. Il faut noter que durant la réponse anti-infectieuse, les PAMP induisent aussi la libération de DAMP par les cellules endommagées. Les DAMP et les PAMP constituent une grande famille de molécules qui possèdent des récepteurs en partie communs, les PRR, qui peuvent agir sur les mêmes cibles cellulaires innées, en particulier les DC (Figure 5).
Figure 5 : Théorie du non-soi et du danger. D’après Kono et Rock, β008
Le tableau ci-dessous réunit les principaux DAMP répertoriés (Tableau 2). Il s’agit de métabolites et de structures protéiques « constituants » de la cellule et dont la « fuite passive » dans l’espace extracellulaire lors de la perte d’intégrité de la cellule déclenche une activation du système immunitaire inné. A titre d’exemple, citons les histones libérées dans l'espace extracellulaire par les cellules épithéliales tubulaires en nécrose. Ces histones interagissent alors directement avec les TLR2 et les TLR4 et déclenchent des cascades de signalisation impliquant la molécule NF-κB et la voie des MAPK (pour« Mitogen-Activated Protein Kinases ») (Allam et al., β01β). L’héparine
37 sulfate, composant de la matrice extracellulaire et ligand endogène des PRR, agit sur les DC de manière dépendante de TLR4 (Johnson et al., β00β). Enfin, l’haptoglobine, protéine de
l’inflammation aux effets antioxydants, libérée au cours de la nécrose cellulaire, active les DC qui produisent alors l’IL-6 et le TNF-α de manière dépendante de MyD88 (pour « Myeloid Differenciation Primary Response gene 88 ») (Shen et al., 2012).
Tableau 2 : Récapitulatif des principaux DAMP. D’après Bianchi, β007 et Kono et al., 2008
DAMP Activité pro-inflammatoire Récepteurs
HMGB1 In vivo : inflammation au cours de lésions
hépatiques ; recrutement de PNN
In vitro : chimiotaxie, induction de cytokines, activation des DC
RAGE, TLR2, TLR4
Acide urique In vivo : résponsable de la maladie de la goutte, recrutement des PNNIn vitro : induction de cytokines, activation des DC
TLR2, TLR4, CD14
Chromatine, nucléosomes et ADN
In vivo : recrutement des PNN
In vitro : induction de cytokines, activation des cellules B par les complexes
chromatine-IgG, activation des DC
TLR9 (avec le BCR ou le récepteur du Fc)
HSPs (HSP60, HSP70, HSP90 et gp96)
In vitro : induction de cytokines, maturation des DC (gp96 et HSP70) CD14 (HSP70 et HSP60) ; CD91 (HSP70, HSP90, gp96 et calréticuline) ; récepteur scavenger (HSP70, gp96 et calréticuline) ; TLR4 (HSP60) ; TLR2 et TLR4 (HSP60 et gp96); CD40 (HSP70)
Adénosine et ATP In vivo : exacerbation de la néphrite par la
molécule purifiée
In vitro : chimiotaxie, maturation des DC
Récepteurs P1, P2X and P2Y (ATP); récepteurs A1, A2A, A2B et A3 (adénosine)
Galectines In vivo : recrutement des monocytes
In vitro : chimiotaxie, maturation des DC
CD2 et les autres CD composés de -galactose Protéines S100 In vivo : recrutement de PNN
In vitro : chimiotaxie; induction de cytokines
RAGE
38 Peptides N-
formylés
In vivo : recrutement des PNN
In vitro : chimiotaxie des DC
FPR et FPRL1
DAMP Activité pro-inflammatoire Récepteurs
Acide
hyaluronique
In vivo: réduction de l’inflammation du
poumon induite par la bléomycine par des
peptides bloquants
In vitro : induction de cytokines, maturation des DC
CD44, TLR2 et TLR4
Sulfate
d’héparane In vitro : induction de cytokines TLR4
Fibrinogène In vitro : induction de cytokines, maturation des DC
Intégrines et TLR4
Peptides dérivés du collagène
In vivo : recrutement des PNN
In vitro : chimiotaxie, maturation des DC /
Fibronectine In vitro : chimiotaxie, maturation des DC Intégrines
Laminine In vivo : Recrutement des PNN
In vitro : chimiotaxie
Intégrines
BCR : récepteur aux cellules B; CCR : récepteur de chimiokine-CC; CXCR: récepteur de chimiokine CXC; DAMP : damage-associated molecular pattern; DC : cellules dendritiques; FPR : formyl peptide receptor; FPRL1 : formyl peptide receptor-like 1; HMGB1 : high mobility group box 1 protein; HSP : heat-shock protein; RAGE : receptor for advanced glycation end-product; TLR : Toll-like récepteur.
Dans la partie qui suit, nous nous intéresserons à une classe particulière de molécules de danger que sont les « alarmines ».