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La composition du film passif formé sur le fer a longtemps été un sujet à controverse. Certains auteurs ont décrit le film passif par un modèle de bicouche(Figure I-11) composé d’une couche interne de Fe3O4 (magnétite) et d’une couche externe de γ-Fe2O3 (maghémite) [Bardwell ; 1988 ; Davenport, 1995 ; Foley, 1967 ; Haruyama, 1973 ; Nagayama, 1962 ;

Nagayama, 1963 ; Ord, 1976]. Nagayama et Cohen [Nagayama, 1962] sont les premiers à avoir proposé ce modèle de bicouche basé sur l’observation de deux vagues lorsqu’une réduction galvanostatique du film passif est effectuée en milieu borate (pH=8,4). Cependant Schmuki et al [Schmuki, 1996] ont étudié in situ par XANES (X-ray absorption near-edge spectroscopy) la réduction galvanostatique d’une couche mince de Fe2O3 déposée par pulvérisation. Leurs résultats en milieu acide et en milieu borate montrent que la réduction de Fe2O3 se fait en deux étapes : une première où la couche de Fe2O3 se transforme complètement en une couche de Fe3O4 qui, lors de la deuxième étape, se réduit en ions Fe2+ solubles (dissolution réductrice). Schmuki et al [Schmuki, 1996] en ont conclu que la réduction du film passif en deux étapes et donc la présence de deux vagues de réduction ne veut pas dire nécessairement que le film passif est composé d’une bicouche, sans toutefois exclure la possibilité que le film passif soit un système beaucoup plus complexe qu’une simple couche de Fe2O3. Schroeder et Devine [Schroeder, 1999] ont étudié par SER (surface enhanced Raman) la réduction galvanostatique du film passif formé en milieu borate par saut de potentiel. Les spectres Raman ont montré que le film passif est une bicouche avec une couche interne formée de Fe3O4 et d’une couche externe formée principalement d’un composé inconnu d’oxyde ou d’hydroxyde ferrique (Fe3+ ) et une faible quantité de γ-Fe2O3. Les mesures XPS effectuées par Haupt et Strehblow [Haupt, 1987] sur un film passif formé à E = - 0,16 V/ESH en milieu basique (NaOH, 1M) ont également montré que le film est bicouche avec une couche interne riche en Fe(II) et une couche externe composée de Fe(III).

D’autres auteurs ont décrit le film passif sur le fer par une seule couche composée de Fe2O3 [Ogura, 1978 ; Ogura, 1980 ; Sato, 1970]. Sato et al [Sato, 1970] ont effectué des mesures ellipsométriques lors de la réduction galvanostatique du film passif formé sur le fer en solution tampon de borate de sodium. D’après ces mesures les auteurs ont déduit que le

Figure I-11 : Modèle bicouche

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film passif est formé d’une seule couche d’oxyde Ferrique (Fe2O3) plutôt qu’une bicouche de magnétite (Fe3O4) et d’oxyde ferrique (Fe2O3). Ogura et al [Ogura, 1978, Ogura, 1980] ont également étudié la réduction du film passif obtenu sur le fer et n’ont tenu compte que de l’oxyde ferrique (Fe2O3) dans l’interprétation de leurs résultats.

L’étude d’Oblonsky et al [Oblonsky, 1997] effectuée in situ par XANES sur un film passif formé par saut de potentiel en milieu légèrement basique (pH = 7,4 et pH = 8,4) a montré que les ions Fe2+ sont présents dans le film que celui-ci soit formé à des potentiels faibles ou à des potentiels élevés. A des potentiels faibles situés entre - 0,8 et - 0,65 V par rapport à une électrode de surface mercureux (ESM) la formation du film passif s’accompagne d’une dissolution d’ions Fe2+ dans la solution. Le film passif formé à ces potentiels est essentiellement composé d’ions Fe3+ avec une quantité qui varie entre 14 à 20% d’ions Fe2+. En revanche lorsque la passivation est effectuée par saut de potentiel à des valeurs élevées situées entre - 0,6 et + 0,4 V, aucune dissolution d’ions Fe2+ n’accompagne la formation du film. Le film passif formé à ces potentiels est essentiellement formé d’ions Fe3+ et une faible quantité d’ions Fe2+ qui varie entre 4 à 10 %. Les auteurs indiquent que les ions Fe2+ se dissolvent en solution avant la formation du film passif protecteur. Puisque les ions Fe2+ sont présents dans le film quel que soit le potentiel de passivation, la description du film comme étant composé uniquement d’oxyde ferrique (Fe2O3) [Ogura, 1978 ; Ogura, 1980 ; Sato, 1970] n’est pas très rigoureuse.

Il apparait d’après la littérature que l’hydratation du film passif sur le fer a également été un sujet à controverse. Revie et al [Revie, 1975] ont étudié par AES (Auger electron spectroscopy) le film passif formé en milieu borate (pH = 8,1) et ont trouvé que le film est fortement hydraté. Cependant des résultats obtenus par la même technique et à un pH presque identique (pH = 8,4) montrent que le film est formé de deux couches [Seo, 1977] : une couche interne anhydre et une couche externe hydratée qui contient une faible quantité de bore. Les auteurs en ont déduit que la couche interne est formée par oxydation anodique du substrat métallique alors que la couche externe contenant du bore est formée par oxydation des ions ferreux (Fe2+) passés en solution durant la formation du film passif. D’après ces mesures AES la couche interne d’oxyde est riche en Fe2+ lorsque le potentiel de passivation est inférieur à 0 mV (ECS) et peut donc être de la magnétite (Fe3O4). En revanche lorsque le potentiel de passivation est supérieur à 500 mV(ECS) très peu d’ions Fe2+ sont détectés dans la couche interne dans une région très proche de l’interface film-métal.

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Sato et al [Sato, 1974] ont effectué des mesures ellipsométriques sur un film passif obtenu dans différents milieux (acide, borate (faiblement basique) et fortement basique). Les auteurs ont déduit de leurs mesures que le film est composé d’une seule couche d’oxyde ferrique (Fe2O3) en milieu acide tandis qu’en milieu borate et fortement basique le film est composé d’une couche interne de Fe2O3 et d’une couche externe d’oxyde hydraté dont l’épaisseur diminue lorsque le pH diminue.

Tjong et Yeager [Tjong, 1981] ont étudié par SIMS (Secondary ion mass spectrometry) et ESCA (Electron spectroscopy for chemical analysis) l’hydratation du film passif formé en milieu borate (pH=8,4). Leur étude montre que la majorité du film passif est anhydre et que les groupes hydroxyles OH se trouvent uniquement à la surface ou très proches de cette dernière. Murphy et al [Murphy, 1982] ont également effectué des mesures SIMS sur un film passif obtenu sur le fer par passivation en milieu borate (pH = 8,4). La passivation dans cette étude est effectuée en balayant le potentiel de - 0,5 V(ENH) à un potentiel dans le domaine passif et les résultats obtenus indiquent que le film passif est hydraté.

Toutefois ces études qui montrent que le film est hydroxylé sont en contradiction avec l’étude de Mitchell et Graham [Mitchell, 1986] effectué par SIMS sur un film passif formé en milieu borate et qui conduit à conclure que le film est complètement anhydre.

Buchler et al [Buchler, 1998] ont montré par des mesures d’absorption de la lumière que cette contradiction est liée aux conditions de passivation et en particulier à la quantité d’ions Fe2+ dissous dans l’électrolyte. En effet Buchler et al ont déduit de leurs résultats que l’hydratation observée par certains auteurs est due à la déposition d’une couche de FeOOH sur le film passif. La passivation par balayage génère une grande quantité d’ions Fe2+ qui s’oxydent en solution et forment la couche hydratée de FeOOH. Ceci pourrait expliquer les résultats de Murphy et al [Murphy, 1982] qui montrent que le film passif formé par balayage de potentiel est hydraté. Par contre lorsque la passivation est effectuée par saut de potentiel la quantité d’ions Fe2+ produite par la transition de l’état actif à l’état passif est faible. La présence de cette couche de FeOOH dans ce cas pourrait être expliquée par la formation d’ions Fe2+ durant la réduction cathodique de l’oxyde natif qui est en général effectuée avant la passivation. En outre Buchler et al [Buchler, 1998] ont montré que la formation de cette couche de déposition de FeOOH dépend des conditions hydrodynamiques utilisées durant la passivation. En effet la convection de l’électrolyte par un barbotage d’azote durant la

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réduction cathodique de l’oxyde natif est suffisante pour empêcher la formation de la couche de FeOOH lorsqu’une passivation par saut de potentiel est appliquée.

L’épaisseur du film passif sur le fer varie de 1 à 3 nm selon le potentiel de passivation en milieu borate (pH=8,4) [Nagayama, 1962]. Ceci a été confirmé par Buchler et al [Buchler, 1997] qui ont montré que l’épaisseur du film passif augmente linéairement avec l’augmentation du potentiel de passivation. L’épaisseur est d’environ 1 nm à 0 V/ECS et devient d’environ 3 nm à 0,8 V/ECS. Cette augmentation linéaire de l’épaisseur du film passif avec l’augmentation du potentiel de passivation a été également observée en milieu fortement basique (NaOH, 1M) par Haupt et Strehblow [Haupt, 1987 ; Haupt, 1989]. Les auteurs ont trouvé par XPS que l’épaisseur du film est d’environ 0,5 nm à E = - 0,7 V/ESH et qu’elle augmente pour atteindre 5 nm à E = 0,8 V/ESH. Ord et Desmet [Ord, 1966] ont trouvé une épaisseur très élevée de 20-40 nm pour le film passif formé en milieu très acide (0,5 M H2SO4). Cette épaisseur élevée est interprété par Sato et al [Sato, 1974] comme étant une couche de déposition formée par les ions Fe2+ dissous avant la formation du film passif et qui par la suite s’oxydent anodiquement et se déposent sur le film.