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Chapitre II Les recettes de glacis : Reconstitutions et caractérisation chimique

II.2 Reconstitution

II.2.1 Les différents composants

Parmi l’ensemble des recettes étudiées, nous avons choisi de nous intéresser aux pratiques les plus fréquentes c'est-à-dire celles impliquant de l’huile, cuite ou non en présence d’oxyde de plomb, une essence, et une résine. Nous avons utilisé l’huile de lin ou de noix, l’essence de térébenthine et une résine mastic, en raison de leur fréquence dans les textes étudiés et de leur facilité d’utilisation (la résine mastic est celle qui se dissout le mieux dans l’essence et l’huile). Nous devons à ce stade préciser quelques caractéristiques physico-chimiques de ces composants. Pour chaque cas, nous donnerons quelques caractéristiques générales puis spécifiques au composant particulier employé lors des reconstitutions.

II.2.1.a Les huiles

Les huiles de lin de noix et d’œillette sont les plus couramment utilisées à cette époque. Ce sont des huiles siccatives, capables par définition de former un film après exposition à l’air.

II.2.1.a.1 Composition chimique

Elles sont majoritairement constituées de triglycérides (triesters de glycérol).. Une représentation de leur structure générale est présentée ci-dessous (Figure 13) : les triglycérides sont composés d’une combinaison de trois acides gras, saturés ou insaturés.

Figure 13 : Représentation de triglycérides à partir des acides gras oléique (en haut) C18 :1, linoléique (milieu) C18 :2, et linolénique (bas) C18 :3.

Les huiles utilisées en peinture sont caractérisées par une forte proportion d’acides gras insaturés, principalement linolénique pour l’huile de lin et linoléique pour l’huile de noix et d’œillette. La composition typique de ces trois huiles est donnée dans le Tableau 7 pour les cinq principaux acides gras.

D’autres acides gras, saturés (C12, C14, C20, C22 et C24) ou insaturés (C16 :1, C20 :2), peuvent aussi être présents dans les triglycérides de l’huile de lin ainsi que d’autres matériaux en quantités moins importantes mais qui peuvent avoir des effets sur le séchage de l’huile, ou sa coloration :

- des acides gras libres (0,5 à 2 % en moyenne) en composition moyenne reflétant les composants des triglycérides,

- de l’eau (0,1 – 0,2 %),

- des phospholipides (jusqu’à 1 %), des stérols…

Tableau 7 : Composition en acides gras des trois huiles utilisées couramment en peinture [Van den Berg, 2002].

La notation usuelle indiquée sous le nom de l’acide gras a pour nomenclature ‘Cn :m’ avec n, le nombre de carbone de l’acide gras et m le nombre de doubles liaisons de l’acide.

Tableau 8 : Principales caractéristiques des trois huiles principalement utilisées en peinture [Gettens, 1996].

Densité (g.cm-3)

Indice d’iode Indice de saponification

(I.S.)

I.S.

mesuré d’acide Indice (I.A.) I.A. mesuré Œillette 0,925 140 – 158 190-195 1 – 10 Noix 0,924 – 0,927 140 – 150 190-197 189 2,5 3,0 Lin 0,93 – 0,94 170 – 195 190-195 192 1 – 8 1,6

Dans le cas de l’huile de lin et de noix, les indices d’acide et de saponification des huiles utilisées par la suite ont été dosés (stage de Myrtille Hunault [Hunault, 2008], valeurs moyennes sur trois dosages).

Acide gras (% d’acides gras) Huile Palmitique

C16 Stéarique C18 Oléique C18:1 Linoléique C18:2 Linolénique C18:3

Œillette 9 – 11 1 – 2 11 – 18 69 – 77 3 – 5

Noix 3 – 8 0,5 – 3 9 – 30 57 – 76 2 – 16

II.2.1.a.2 Propriétés physico-chimiques

Ce sont les doubles liaisons des acides insaturés qui confèrent aux huiles siccatives une certaine réactivité chimique et leur permet de réagir avec l’oxygène de l’air et entre eux et de former un réseau polymérique. Pratiquement, la siccativité d’une huile (i.e. sa rapidité de séchage) liée à la présence de doubles liaisons, peut donc être évaluée par la mesure de son

indice d’iode : il s’agit, par définition, de la masse (en g) de chlorure d’iode, ou de diode,

capable de se fixer sur les insaturations de 100 g de corps gras. Les valeurs pour les huiles de lin, de noix et d’œillette sont reportées au Tableau 8. Sont aussi reportées les indices d’acide et de saponification, liés à la quantité d’acides présents (combinés ou libres), définis dans la littérature et mesurés par dosage dans le cas des huiles de lin et de noix que nous avons utilisées. L’indice d’acide correspond à la mesure de la quantité d’acide libre. Il s’agit de la masse, exprimée en mg, de potasse nécessaire pour neutraliser l’acidité libre d’un gramme de corps gras. L’indice de saponification est la mesure de la quantité d’acide combiné (i.e. glycérides). Il s’agit du nombre de mg de potasse nécessaire pour saponifier les esters et neutraliser les acides contenus dans un gramme de corps gras.

Les huiles utilisées ici ont été obtenues par pressage à froid et commercialisées par Laverdure. Le mécanisme de séchage de ces huiles est loin d’être complètement expliqué et compris. Il est généralement admis qu’il consiste en un processus d’auto-oxydation suivi d’une polymérisation [Erhardt, 2005]. Après une période d’induction attribuée à la présence naturelle d’antioxydants, l’huile absorbe une large quantité d’oxygène. La première phase correspond à la formation d’hydroperoxydes ou de peroxydes cycliques. Puis la polymérisation consiste essentiellement en un couplage intermoléculaire des radicaux issus de la décomposition de ces groupes peroxydes instables, permettant la formation de structures réticulées. Bien qu’un film d’huile de lin paraisse sec au toucher en quelques jours, les réactions mises en jeu continuent sur plusieurs années [Lazarri, 1999].

II.2.1.b Les essences ; l’essence de térébenthine

On recueille, par incision de certaines variétés d'arbres, des résines semi-liquides qui seront ensuite distillées et permettront d’obtenir les essences couramment utilisées en peinture. Durant la Renaissance, les plus utilisées semblent être l’essence de térébenthine, l’essence

d’aspic issue de la distillation de la lavande aspic, ou l’essence de lavande issue de celle de la lavande officinale6.

L’essence de térébenthine est le produit de la distillation de l’exsudat naturel du pin maritime (appelé baume ou oléorésine) ; le résidu solide de cette distillation donne la colophane. Elle est essentiellement constituée par un mélange de monoterpènes7 parmi lesquels l’α et le β-pinène sont majoritaires (Figure 14b et c). Elle sèche par évaporation de la partie volatile, évaporation relativement lente et régulière. Ajoutée à l’huile, l’essence de térébenthine agit non seulement en solvant mais aussi accélère l’oxydation de l’huile en réagissant avec l’oxygène de l’air [Champetier, 1956]. C’est pourquoi elle est considérée comme un excellent solvant pour les huiles et les résines.

Figure 14 : Structure moléculaire a) de l'isoprène ; b) et c) des monoterpènes majoritaires de l’essence de térébenthine : a) α- pinène et b) β-pinène.

II.2.1.c Les résines, la résine mastic

Les résines sont principalement constituées de di- ou tri- terpènes et d’une fraction polymérique. Les principales résines naturelles employées étaient la sandaraque, la colophane, le mastic et plus tardivement le dammar. La sandaraque, produite par le thuya d’Algérie, et la colophane, produit d’extraction de divers pins, sont principalement composées de diterpènes, tandis que les résines mastic et dammar le sont essentiellement de triterpènes (composés cycliques dérivés de l’isoprène comptant 30 atomes de carbones, voir molécules Figure 15).

Nous avons utilisé dans nos reconstitutions la résine mastic (provenant des arbres de la famille du Pistacia Lentiscus). Sa production vient essentiellement de l’île de Chios. La résine mastic est en grande partie composée de triterpènes ainsi qu’une fraction polymérique, le cis-1,4-poly-β-myrcene (Figure 15a). Le mastic contient aussi une faible proportion d’essence (environ 2 %). Différentes études ont permis d’identifier les constituants triterpéniques du mastic [Doelen, 1999] non détaillés ici ; l’un de ces composés est présenté sur la Figure 15b.

CH3 CH3 CH3 C H3 n a) C H3 CH3 CH3 R2 C H3 CH3 R1 C H3 CH3 b)

Figure 15 : Structure moléculaire a) du cis-1,4-poly-β-myrcene, fraction polymérique du mastic, b) d’un des triterpènes identifiés dans le mastic (masticadienoic acid) [Doelen, 1999]

Sa densité est de 1,074 g.cm-3, sa température de fusion de 95°C et sa température de transition vitreuse, estimée par calorimétrie différentielle [Schilling, 1989], se situe autour de 55-60°C, de même que la majorité des résines naturelles.

Concernant sa siccativité, là encore les mécanismes mis en jeu sont assez complexes. On peut considérer pour simplifier que le séchage est mené par un processus d’auto-oxydation (basé de la même façon sur des réactions en chaînes radicalaires, avec la formation supposée de radicaux libres provenant de groupes peroxydes comme intermédiaires réactionnels) suivi de réticulations.

II.2.1.d Note sur la solubilité des mélanges résines-solvants

On peut s’interroger sur la solubilité des composés précédemment cités les uns par rapport aux autres. La littérature [Gettens, 1996] ainsi que des tests effectués montrent que la résine mastic se dissout presque totalement à froid dans l’essence de térébenthine, et à chaud dans l’huile. La résine sandaraque au contraire n’a pas pu être dissoute dans l’essence. On a cependant très peu d’informations sur la nature exacte et l’organisation des mélanges obtenus, huiles-résine et essence-résine.

Afin de prédire les possibilités de mélange de telles substances, l’industrie utilise le principe des paramètres de solubilité d’Hildebrand, pouvant s’appliquer aux mélanges polymères-solvant ou polymères-polymères [Grulke, 1999 ; Hansen, 2004].

D’après celui-ci, la dissolution d’un polymère amorphe dans un solvant est gouvernée par l’enthalpie libre de mélange :

∆Gm = ∆Hm - T∆Sm

avec ∆Gm, la variation d’enthalpie libre de mélange, ∆Hm la variation d’enthalpie, T la température et ∆Sm la variation d’entropie.

Selon le deuxième principe de la thermodynamique, le mélange aura lieu spontanément si : ∆Gm < 0 ;

dans le cas contraire, une séparation de phases aura lieu. La dissolution d’un polymère de haute masse moléculaire étant toujours accompagnée d’une faible diminution d’entropie, la variation d’enthalpie est le facteur déterminant.

Les paramètres de solubilité ont été définis à ce stade par Hildebrand, afin de décrire les enthalpies de mélanges de liquides simples (non polaires) puis ont été étendus aux solvants polaires et aux polymères. Ce paramètre de solubilité, appelé parfois ‘paramètre de cohésion’ (ou paramètre de Hildebrand), décrit les forces attractives entre les molécules du mélange. Hansen a proposé de le décomposer en trois termes, rendant compte des différentes contributions à l’enthalpie de mélange :

2 2 2 2 h p d

δ δ

δ

δ

= + +

où δd représente la contribution liées aux forces de Van der Waals de London (de dispersion), δp à celles de Keesom (d’orientation) et δh aux liaisons hydrogènes. Les forces de Debye, (d’induction) sont faibles et négligées en première approximation.

L’enthalpie du mélange s’écrit alors (sous l’hypothèse qu’il n’y a pas de réaction ou de complexation entre les composés):

2 1 2 2 1 ) ( − Φ Φ = ∆ δ δ V Hm

avec V le volume total, δi le paramètre de solubilité de l’espèce i, et Φi la fraction volumique de l’espèce i dans le mélange.

la résine dans la térébenthine sera très bonne. Au contraire l’eau a un paramètre de solubilité de 47,2 et ne sera donc pas un bon solvant pour la résine terpénique [Grulke, 1999].