• Aucun résultat trouvé

Chapitre II Les recettes de glacis : Reconstitutions et caractérisation chimique

II.1 Choix des sources et des recettes

II.1.2 Choix des recettes

Les différentes sources étudiées nous ont amenés à plusieurs hypothèses concernant la composition des glacis. Des exemples sont présentés pour chacune d’entre elles dans le Tableau 6.

Hypothèse 1

L’huile seule, avec ou sans ajout d’essence (de térébenthine par exemple, d’après les écrits

de Léonard) doit donc être considéré comme un liant potentiel de glacis. Cela signifie, comme nous venons de le suggérer, qu’il n’y a pas de recette spécifique ou d’ajout particulier dans le cas d’un glacis. L’huile utilisée pour le broyage des pigments peut être ajoutée, avec ou sans solvant, au mélange initial huile-pigment afin de diminuer la concentration pigmentaire et obtenir un mélange transparent.

Hypothèse 2

Une pratique visiblement courante lors de la préparation des glacis est l’ajout de résine ou de

vernis (résine dans un solvant) au mélange huile / pigment.

Les résines étaient utilisées depuis longtemps pour les vernis, mélangées à de l’huile, comme en témoigne une recette de vernis à l’huile dans le manuscrit de Lucca, daté du VIIIe siècle [Laurie, 1910]. Au XIIe siècle, le moine Théophile propose d’utiliser de la résine fondue, pour le broyage des pigments, à la place de l’huile dont il déplore la mauvaise siccativité : « on peut broyer les couleurs de toute espèce avec la même sorte d’huile (…); à chaque fois

Tableau 6 : Recettes de glacis. Formulation :

Liant/ médium

Auteur/ Source Date Utilisation Recette

Huile + térébenthine

Leonard de Vinci

[Léonard de Vinci, édition Berger Levrault, paragraphe 298]

XV-XVIe

siècle Pour préparer de l’huile bonne pour la peinture Huile (1part) + essence de térébenthine distillée (1part) + essence de térébenthine bi-distillée (2parts)

Manuscript d’Eraclius XXIX (dans le manuscript de Jean le Begue

(XVe)) [Merrifield, 1849]

XIIesiècle « Comment l’huile est préparé pour

lier les couleurs. » Huile chauffée + chaux + céruse « mettre au soleil pendant un mois ou plus, en agitant fréquemment ».

Manuscrit de de Mayerne [Mayerne, 1620, folio 96]

XVIIe

siècle noirs.Huile siccative pour les laques et les « Mélanger une ou deux gouttes avec vos couleurs. »

Sur le feu :

huile de noix ou de lin + litharge. Huile modifiée

par traitement

Maroger [Maroger, 1986]

XXe siècle « Recette du second médium au plomb,

Technique probable de Leonard de Vinci. »

A feu doux : - litharge (1part)

- Huile crue (lin or noix) (3 à 4 parts) - eau (3 à 4 parts)

Manuscript du British Museum, cité par Eastlake

[Eastlake, 1847]

XVesiècle « Composition servant pour toutes les

couleurs. » Huile de lin cuite + ambre + térébenthine. Huile + vernis

Copiste

(communication personnelle)

2008 Pour les glacis Huile + 1/3 vernis au mastic + quelques gouttes

d’essence de térébenthine. Huile

+ oleorésines (‘baumes’)

Eastlake [Estlake, 1847] XIXe

siècle « Pour médium et glacis » de térébenthine (ratio 1/1), + huile de lin épaissie Térébenthine de Venise (2 parts) dans l’essence au soleil.

Huile + cire +...

Doerner [Doerner, 1949] XXe siècle Utilisé par Stieler (peintre, 1781 –

1858) A feu doux : un quart d’huile d’œillette + un demi verre de vernis mastic très épais + un morceau de cire blanche de la taille d’une

L’utilisation de la résine avec huile et pigment est donc une pratique admise. Il n’est donc pas improbable que les premiers peintres européens à utiliser l’huile comme seul liant de broyage pour leurs peintures, aient aussi ajouté de la résine. L’utilisation de résine sera d’ailleurs clairement indiquée dans des manuscrits tels que le manuscrit du British Museum [Eastlake, 1847] où les vernis sont décrits comme un « véhicule pouvant servir à toutes les couleurs ». Ce sujet a provoqué nombre de polémiques chez les auteurs des XIXe et XXe siècles. Aujourd’hui l’addition de vernis est courante chez les copistes et les peintres. On donne ici (Tableau 6) la recette du médium utilisé par l’un des copistes rencontrés : mélange d’un vernis mastic (résine mastic dissoute dans de l’essence de térébenthine) commercial à de l’huile de lin. Par cet ajout de vernis, les peintres souhaitent augmenter l’adhésion des glacis sur les couches inférieures, mais aussi le brillant et la dureté du film. Les conseils suivants, fidèles aux recettes anciennes, sont donnés dans certains ateliers de copistes : « La logique est de

choisir un médium en cohérence avec celui utilisé pour la couche opaque sur laquelle est posée le glacis, mais légèrement surdosé en résine. Pour la souplesse et la qualité filmogène : l’huile de lin ou de noix, siccativée par cuisson avec éventuellement adjonction de sels de plomb…» [Brazs, 2003]. Cette adjonction de sels de plomb se retrouve d’ailleurs dans de

nombreuses recettes anciennes.

Hypothèse 3

Une autre possibilité envisagée en tant que liant ou médium des glacis est l’huile chauffée en

présence d’oxyde de plomb.

L’huile utilisée en peinture est souvent modifiée par traitement afin d’en augmenter la siccativité. Les recettes anciennes indiquent différentes méthodes qui n’ont pas (ou très peu) été modifiées au cours des siècles. Placer l’huile au soleil et la rendre ainsi plus épaisse, ou la chauffer en présence d’un composé de plomb, céruse (carbonate de plomb) ou litharge d’or (oxyde de plomb : litharge ou massicot), est souvent recommandé. L’une des premières recettes, provenant du manuscrit d’Eraclius (XIIesiècle), conseille de préparer l’huile pour les couleurs en la faisant bouillir avec de la chaux, puis en ajoutant la céruse et en plaçant le tout au soleil [Merrifield, 1849]. Dans le manuscrit de Padoue (datant probablement des

XVI-de l’huile serait en effet assez surprenante! De plus, le terme ‘bouillir’ que l’on retrouve dans différentes recettes est utilisé de manière erronée : la température d’ébullition de l’huile n’était sans doute pas atteinte (387°C pour l’huile de lin d’après [Langlais, 1959]) mais des vapeurs d’eau, et de dioxyde de carbone se dégagent pouvant faire croire à une ébullition.

Il est intéressant de noter que dès l’Antiquité, des recettes de pharmacopée indiquent ce type de pratiques (chez Hippocrate par exemple, V-IVe siècle avant notre ère, on trouve une recette basée sur la cuisson de matière grasse et de massicot), alors que Maroger en attribue la première utilisation pour la peinture à Antonello de Messine (1430-1479) [Maroger, 1986]. Certaines recettes anciennes d’emplâtres conseillent même l’ajout de résines à la préparation, s’approchant ainsi de nos recettes de glacis ; la différence principale étant la nature de l’huile (olive) et la teneur en plomb (de 20 à 35 %) : plus élevée, elle permet une consistance plus épaisse.

L’étude des recettes d’onguents et emplâtres indique la possibilité d’ajouter de l’eau lors de

la cuisson, pratique qui devient quasi systématique au cours des XVI-XVIIe siècles [Cotte,

2004]. En peinture, c’est Léonard de Vinci (1452-1519) qui, d’après Maroger, améliora la recette d’Antonello de Messine par l’addition d’eau. On trouve aussi de nombreux textes conseillant l’ajout d’eau dans le traité compilé par de Mayerne [Mayerne, 1620]. Il existe ainsi une transmission des techniques de la pharmacie et des cosmétiques avec celles de la peinture : s’inspirant d’une recette d’emplâtres, les peintres de la Renaissance l’auraient perfectionnée et retransmise ensuite aux apothicaires.

L’ajout d’eau constitue en effet une amélioration de ce procédé en limitant la coloration foncée du mélange. De plus, l’ébullition de l’eau permet une meilleure agitation et limite la température à 100°C. Suivant les recettes, la quantité d’eau représente la même quantité [Maroger, 1986] ou le double [Mayerne, 1620, folio 142] de celle d’huile. Il est souvent conseillé d’ajouter l’eau régulièrement pour éviter une évaporation totale. Si l’eau est présente tout au long du chauffage, l’huile obtenue présente des qualités bien supérieures [Mérimée, 1830].

Trois recettes d’huiles siccativées par un composé de plomb sont reportées dans le Tableau 6. La première est utilisée pour le broyage des couleurs tandis que les deux autres correspondent à des médiums additionnels composés d’huile cuite à la litharge, avec ou sans eau. Nous verrons par la suite que si les recettes anciennes précisent rarement l’utilisation des

recettes. Une quarantaine de recettes ont été parcourues du XVe au XXe siècle, indiquant que les proportions litharge / huile varient de 1 pour 4, à 1 pour 32, c'est-à-dire de 3 à 20 %.

Hypothèse 4

D’autres recettes plus complexes font intervenir des baumes, ou de la cire et sont évoquées ici mais ne feront pas l’objet de reconstitutions par la suite.

Nous nous sommes limités pour cette étude aux quatre ingrédients : huile, oxyde de plomb, essence, et résine. Nous nous sommes intéressés aux mélanges huile / essence / résine ainsi qu’aux huiles chauffées en présence d’oxyde de plomb. Etant donné le manque de précision mais aussi la diversité des recettes rassemblées, il est nécessaire de les vérifier par la pratique et de comparer les mélanges obtenus.