La prise en charge du diabète nécessite limplication du patient dans sa maladie, résumé par le terme « diabetes self-management », ce qui comporte (Mensing et al. 2000): comprendre, connaitre sa maladie, avoir une alimentation adaptée, pratiquer une activité physique, réaliser des autocontrôles glycémiques, surveiller si besoin ses pieds, prendre ses traitements, ou réaliser des injections dinsuline, sastreindre à un suivi médical, infirmier, prévenir et dépister les complications aiguës, chroniques, résoudre les problèmes que la maladie entraine au quotidien. Lobjet de ce chapitre est de sinterroger sur la réalisation de cette prise en charge par des patients diabétiques précaires.
Connaissances, croyances
Les connaissances (expériences transmises par les soignants sur la maladie) et surtout les croyances (résultat de lexpérimentation du patient, de sa culture, son entourage) sont des déterminants de la prise en charge de la maladie. Dans une population de faible niveau socio-économique, un faible niveau déducation peut être un frein. Les fausses croyances à propos du diabète (« misconceptions ») ont été étudiées dans un groupe de 151 patients diabétiques de type 2, de bas revenus et appartenant à des minorités ethniques (58% américains hispaniques, 38% dAfro-Américains), dont la durée moyenne de diabète était de 13 ans (Mann et al. 2009). Plus de la moitié déclarent que la glycémie normale est inférieure à 2 g/l, 54% se déclarent capables de ressentir que leur glycémie est trop élevée. Plus dun tiers (36%) croient que leur diabète est temporaire, 29% pensent que leur médecin peut les guérir du diabète, et 23% ne jugent pas nécessaire de prendre des traitements quand leur glycémie est normale. Ces résultats traduisent un niveau de connaissance médiocre, ce qui sera un frein à la prise en charge optimale et évidemment, toute escalade thérapeutique risque dêtre un échec, en labsence de modifications de ces croyances. Une étude qualitative similaire auprès de 70 femmes afro-américaines dune communauté rurale met de même en évidence limportance de la spiritualité, facteur de « coping » (capacité à surmonter une situation difficile), alors que lentourage familial ou social est plutôt perçu comme un stress supplémentaire, dans la lutte contre cette maladie, déjà très fatigante : de très nombreux mots du registre lexical du stress et fatigue revenaient dans les enquêtes (Samuel-Hodge 2000).
Dans plusieurs travaux en population de minorités ethniques et/ou de bas revenus, un faible niveau de « health literacy », terme que lon peut traduire par compréhension des messages de santé, est fréquemment mis en avant comme une barrière à léducation, et à lapprentissage des patients.
Une définition plus précise de « health literacy » est une mesure de la capacité dun individu à lire et à intégrer des chiffres pour évoluer dans lenvironnement de la santé (Schillinger et al. 2006). Lhypothèse quun niveau plus faible de compréhension des messages de santé chez des patients diabétique défavorisés expliquerait un moins bon contrôle glycémique a été testée dans une population de 395 patients. Les divers modèles statistiques testés retiennent cette hypothèse : le niveau de compréhension est un médiateur de leffet du niveau déducation sur léquilibre glycémique. Les patients de plus faible niveau déducation ont globalement une HbA1c plus élevée, cependant à même niveau déducation, ceux ayant un score plus élevé de Health literacy ont aussi un meilleur équilibre glycémique (Schillinger et al. 2006) .
Le lien entre le niveau de HL et le niveau de connaissances des traitements du diabète, évalué par un score MKS (Medications Knowledge score ; score de connaissance des médicaments (indications, dose, nom, effets secondaires)) a été confirmé en population précaire, et ces deux paramètres sont tous deux également dépendants du niveau déducation (Marks et al. 2010).
Alimentation des patients diabétiques précaires
En comparaison avec un sujet non malade, la qualité de lalimentation devient encore plus importante chez un patient diabétique. Son alimentation est lun des piliers thérapeutiques. Les recommandations actuelles des Sociétés Savantes vont vers une relative libéralisation de lalimentation diabétique,par exemple, les glucides simples autrefois bannis pouvent faire partie de lalimentation du diabétique à hauteur de 10% de lapport énergétique total. Le conseil principal reste celui dun contrôle des apports caloriques, ce qui revient à privilégier les aliments de faible densité énergétiques et à limiter les aliments de type fast-food.
Toutefois, pour des diabétiques précaires, le risque de ne pas pouvoir suivre ses recommandations alimentaires est important. Une enquête téléphonique (avec conseils diététiques) auprès de femmes noires diabétiques de type 2 soulevaient des problèmes de coût (patientes demandeuses de conseils pour acheter une alimentation plus saine, et abordable) et de transports. Les femmes ont bénéficié de conseils dachats et pour la cuisson et elles déclaraient avoir appris via ce programme limportance de limiter la taille des portions alimentaires (Galasso et al. 2005). Dans une autre étude similaire (45 patients afro-américains diabétiques de type 2 de faibles revenus), les barrières au suivi des
recommandations nutritionnelles concernant le diabète étaient le coût des aliments pauvres en graisses et en sucres, une méconnaissance des étiquettes des produits et des choix alimentaires les plus sains à faire en terme alimentaire. Linfluence de la famille était également une barrière perçue (El-Kebbi et al. 1996).
Le coût de lalimentation recommandée est citée comme la principale barrière dans dautres études (446 patients diabétiques de type 2 de létude des Vétérans (Vijan et al. 2005)).
Exercice physique
Autre point clé du traitement du diabète, il savère cependant que la pratique dune activité physique par les patients diabétiques est supérieure chez les hommes et pour les personnes de plus hauts revenus (Barrett et al. 2007). La perception défavorable de lenvironnement de vie (cités de banlieues, manque despaces verts) est un frein majeur à la réalisation dune pratique sportive régulière (Cerin et Leslie 2008).
Cependant, si les freins liés à lenvironnement sont démontrés, le premier frein à lactivité physique demeure la condition physique du patient. Dans une communauté de 105 patients diabétiques afro-américains de faibles revenus, parmi les barrières les plus citées se trouvent les douleurs physiques, puis le manque de temps (Dutton et al. 2005).
Les résultats concernant la pratique dun exercice physique dans létude TRIAD ne montrent de différence de temps passé à cette pratique quelque soit le niveau déducation ou de revenus (Ettner et al. 2009).
Autocontrôles glycémiques
Quelques études concluent que les patients de faible niveau socioéconomique ou issus de minorités ethniques sont moins enclins à réaliser des autocontrôles glycémiques (Harris 2001, Harris, Cowie, et Howie 1993). Parmi plus de 2000 patients diabétiques, les deux premiers facteurs associés à une plus grande pratique de lautosurveillance étaient lâge et le traitement par insuline, puis venait le niveau déducation (Harris, Cowie, et Howie 1993). Les patients dun niveau supérieur au collège ont 80% plus de chance de faire des autocontrôles que les patients de faibles niveaux. Par contre, le niveau de revenus et/ou la présence dune couverture sociale nétaient pas associés à la fréquence des autocontrôles. Dans une plus grande étude (plus de 44 000 adultes en Californie), un faible niveau déducation, un faible niveau de revenus, et le prix à payer pour les bandelettes, lappartenance à une minorité ethnique, ou des difficultés à communiquer en anglais sont autant de facteurs indépendants
associés à moins dautocontrôles glycémiques (Karter et al. 2000). Les autres facteurs attendus étaient une longue durée du diabète, un sexe masculin, un traitement moins intensif, le tabac et une consommation excessive dalcool. Le prix des bandelettes peut être un facteur limitant, pourtant une étude du même auteur modère cette notion : il sagit dune étude de comparaison de lachat de bandelettes glycémiques selon la gratuité ou non de celles-ci : si lexistence dune barrière financière à lautocontrôle glycémique est démontrée (pratique dépendante du prix), dans la période de gratuité des bandelettes, la consommation de celles-ci naugmente pas significativement (Karter et al. 2007). Les auteurs suggèrent que lorsquun patient décide de réaliser des autocontrôles, il devient moins sensible au prix des bandelettes.
Le temps du « self-management »
La notion de temps revient ici. Le temps estimé nécessaire pour un patient diabétique stable est de 2 à 3 heures par jour pour la prise en charge de sa maladie : les occupations de soins (self-care tasks) comportent les courses, lalimentation, les soins des pieds, lexercice physique (Russell, Suh, et Safford 2005). Intuitivement, nous pensons que ce temps sera moins important chez des personnes précaires, et ceci pourrait être un parmi dautres facteurs explicatifs de la gravité de la maladie. Au cours de létude TRIAD (présentée Tableau 46), les patients ont été interrogés sur le temps supplémentaire passé à soccuper de leur maladie, avec lhypothèse que celui-ci serait supérieur chez les personnes de plus haut niveau socio-économique (Ettner et al. 2009). Pout tout léchantillon, 63%, 48% et 69% des sujets estiment passer du temps supplémentaire pour respectivement les soins de pieds, les courses ou la cuisine et lexercice physique. Ce temps estimé supplémentaire par rapport à une personne non diabétique, est de 8,5 (SD 15,3) minutes pour les soins de pieds, 23,8 (38,3) min pour les courses et/ou la cuisine, et 26,4 (41,1) min pour lexercice physique. Les résultats, au premier abord surprenants, sont que les personnes des minorités ethniques, de faible niveau déducation, et/ou de faible niveau de revenus sont celles qui déclarent le plus souvent passer du temps supplémentaire, avec un temps moyen plus important, à lexception de lactivité physique. Lintéressante discussion suggère que les personnes défavorisées (de plus faible niveau déducation) risquaient davoir sur-déclaré ce temps (sans faire la différence entre le temps nécessaire habituellement, et le « sur-temps » du à la maladie, ou via le développement de comportements de santé qui existaient peu auparavant, en comparaison des personnes plus favorisées). Une autre hypothèse intéressante est celle que les patients défavorisés ont un plus fort désir de conserver « leur patrimoine santé » et des barrières pour recourir à dautres structures (livraisons ou achats de plats spécifiques, visites chez un podologue). Aucun travail similaire ne conforte ou ninfirme ces hypothèses.
Adhérence médicamenteuse
Ladhérence médicamenteuse (c'est-à-dire la prise des comprimés ou injections prescrits) est un facteur déterminant de léquilibre glycémique daprès de nombreuses études, celles notamment mesurant finement ladhérence par le nombre de comprimés achetés sur ceux prescrits (données provenant des officines). Cette association est controversée par dautres études, notamment lorsque ladhérence est auto-évaluée. Dans une population précaire, une augmentation de 10 % de ladhérence aux comprimés était associée à une diminution de 0,19 % de lHbA1c ; cette étude soulignait par ailleurs une moins bonne adhérence chez les patients afro-américains par rapports aux blancs (76,5% vs 82%, p< 0,05) (Schectman, Nadkarni, et Voss 2002). Le risque de non adhérence médicamenteuse, défini par labsence dachats en pharmacie des médicaments prescrits, est multiplié par 2 chez des individus de 21-34 ans très défavorisés par rapport à ceux non défavorisés, le risque est multiplié par 3 à 6 chez les personnes de plus de 65 ans très défavorisées ; environ la moitié souffraient dune pathologie chronique, mais aucune précision nest donnée concernant le diabète (Wamala et al. 2007).