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A partir des premiers résultats prometteurs obtenus pour les DSSC au début des années 90, de nombreux chromophores ont été étudiés. Que ce soit les complexes de ruthénium, les porphyrines ou phtalocyanines métalliques, ou bien colorants « tout organiques », chaque type a été étudié en détails en jouant sur le design des molécules afin de moduler leurs propriétés photo-électrochimiques pour obtenir les meilleures performances possibles. Tout d’abord il faut connaître les différentes exigences que doit respecter un sensibilisateur efficace.

1 – Comme présenté juste précédemment il doit avoir une fonction d’ancrage qui lui permet d’être chimisorbé efficacement sur l’oxyde mésoporeux.

2 – Son potentiel d’oxydation (HOMO) doit être plus haut (plus positif) que le potentiel d’oxydation du couple redox qui le régénère. Le phénomène de régénération doit être plus rapide de deux ordres de grandeur que la recombinaison de charge, avec le colorant photooxydé.

3 – Le potentiel de l’état excité (LUMO) doit être plus bas (plus négatif) que le potentiel de la bande de conduction de l’oxyde semi-conducteur.

4 – Le colorant doit absorber dans la plus large gamme spectrale possible, du proche ultraviolet au proche infrarouge (Figure I.5) avec un coefficient d’extinction molaire ε élevé (de préférence supérieur à 104 L.mol-1.cm-1) et ce sous forme d’une fine couche sur l’oxyde de titane mésoporeux sensibilisé.

5 – Les HOMO et LUMO doivent être spatialement séparées, la LUMO proche de la fonction d’ancrage, et la HOMO le plus loin possible de la surface du semiconducteur. En effet, une LUMO proche de la surface favorise l’injection des charges vers l’oxyde semiconducteur, alors qu’une HOMO éloignée de la surface réduit les risques de recombinaisons entre le colorant oxydé et les électrons injectés, et facilite l’accès de l’électrolyte aux trous, pour une régénération plus rapide.

6 – Il doit être suffisamment stablephotochimiquement et électrochimiquement, et donc se dégrader le moins possible pour une période de 20 ans, soit environ 106 cycles d’utilisation. Dès l’émergence de ce nouveau type de cellules solaires, les tout premiers colorants à avoir été développés, les dérivés de type complexe de ruthénium (II) hétéroleptiques notamment avec des ligands bipyridyles, permettaient déjà d’atteindre de bonnes performances. Ce type de composé, grâce à la disposition de ses orbitales, permet des transferts de charges du noyau

métallique vers les ligands (« Metal-to-Ligand Charge Transfert » soit MLCT) situés à la périphérie du ruthénium et porteurs des fonctions d’ancrage, après absorption d’une énergie permettant la promotion d’un électron vers un niveau de l’état excité. Ce type de transfert étant très directionnel, et grâce à sa structure, les HOMO et LUMO sont ainsi disposées comme décrit dans l’exigence 5. C’est pour cela que ces composés présentent des propriétés très intéressantes, et notamment une large gamme d’absorption dans le visible. De plus une modification des ligands permet de moduler les propriétés optiques et électroniques du colorant.

Après l’étude de la sensibilisation du dioxyde de titane à morphologie fractale dans les années 80, Brian O’Regan et Michael Grätzel introduisent en 1991 une morphologie mésoporeuse de TiO2, avec une rugosité élevée.[50] L’oxyde semiconducteur a été sensibilisé avec un complexe de ruthénium trinucléaire, déjà développé auparavant part Amadelli et al.[51], complexé avec des ligands bipyridyles dont la structure est représentée Figure I.19.

Figure I.19 Structure du chromophore 1

Ce complexe présente deux ligands « antennes » reliés à la partie Ru(dc-bpy) portant les fonctions d’ancrage par des groupements cyano, avec un transfert de charges performant entre les deux. Ce colorant intègre plusieurs types d’absorption dans le visible, avec une large absorption à haute énergie due à un transfert MLCT au niveau des « antennes » périphériques, et une large absorption à basse énergie due au transfert MLCT au niveau de la partie centrale. Ces travaux ont permis d’atteindre un rendement photovoltaïque de 7 %, alors que jusqu’alors les rendements ne dépassaient pas 1 %.

Comme les complexes à ligands monodentates ont tendance à se dissocier, il n’est pas envisageable de les utiliser pour des applications à long terme en DSSC. Ainsi en 1993, Nazeeruddin et al. développent une série de complexes de ruthénium bis-hétéroleptiques de formule cis-Ru(II)(dicarboxy-bipyridine)2(X)2, où X = Cl-, Br-, I-, CN- et SCN-.[32] Parmi ces

différents complexes, c’est celui substitué par les isocyanates et nommé N3, représenté Figure

I.20, qui est le plus prometteur. Il présente ainsi plusieurs caractéristiques intéressantes, comme

une large gamme d’absorption à haut coefficient d’extinction molaire, une durée de vie de l’état excité relativement longue favorisant l’injection des électrons dans la bande de conduction du TiO2, et des potentiels d’oxydation bien adaptés à un dispositif à base d’électrolyte I3-/I-. Ainsi les performances mesurées avec ce nouveau chromophore ont atteint 10 %. Lors de ces travaux il a été montré que l’ajout de 4-tert-butylpyridine augmentait le VOC, cela étant dû à la passivation de surface des sites Ti(IV) ce qui réduit les recombinaisons de charge entre les électrons injectés dans TiO2 et l’anion triiodure I3-.

Figure I.20 Structure du chromophore N3

Comme la HOMO est plutôt répartie sur les isocyanates et que la LUMO est répartie sur les ligands dicarboxy-bipyridine, il y a donc une bonne séparation des orbitales frontières ce qui favorise les injections de charges et la régénération du colorant, et permet aussi de moduler les paramètres du complexe. C’est ainsi qu’ont été testés des dérivés de N3 avec différentes fonctions acide carboxylique déprotonées.[52] Comme prévu ces modifications ont eu un grand impact sur les performances et les caractéristiques. Ainsi les résultats montrent qu’avec la déprotonation complète, la VOC augmente mais le JSC diminue, à l’inverse de la protonation complète. C’est le compromis entre les deux formes, nommé N719 représenté Figure I.21, qui après optimisation du dispositif a permis d’obtenir un rendement de 11,2 %.[53]

Pour obtenir les meilleures performances, il faut que le sensibilisateur absorbe un maximum de protons du visible et du proche infrarouge, or dans le cas de N719 l’absorption s’arrête vers 780 nm. En 1997 un nouveau chromophore a été développé, appelé N749 dont la structure est représentée Figure I.22.[54] Le ruthénium est coordinné avec trois ligands isocyanates et une partie d’ancrage tridentate terpyridine avec trois groupements acide carboxyliques, dont deux déprotonés (carboxylate). Ce nouveau complexe est surnommé « Black Dye » car il absorbe de façon panchromatique jusqu’à 920 nm. Après optimisations un rendement de conversion énergétique de 10,4 % a été décrit en 2001 avec ce colorant.[55]

Figure I.22 Structure du chromophore N749 (Black Dye)

Ainsi ces trois colorants ont conduit assez rapidement à des efficacités de plus de 10 %. C’est pourquoi ils sont encore utilisés aujourd’hui comme références lors de tests de nouveaux photosensibilisateurs. Par la suite le développement des synthèses et des dispositifs a permis l’étude de nouvelles structures dérivées, dans le but d’améliorer les performances, ou de résoudre les problèmes rencontrés. C’est en 2002 que Zakeeruddin et al. proposent le chromophore Z907, représenté Figure I.23, similaire à N3 mais comportant cette fois deux longues chaînes alkyles sur un des ligands bipyridine, augmentant ainsi l’hydrophobicité du colorant. Le but était de protéger l’interface oxyde-électrolyte de l’eau, mais aussi de diminuer la désorption du colorant due à la présence d’eau dans l’électrolyte. Même si la stabilité a été améliorée, ce colorant ne permet pas d’atteindre plus de 7 % de rendement. Par la suite des centaines d’analogues avec des ligands thiocyanates ont été testés, mais aucun n’a réussi jusqu’ici à atteindre les performances de N719.

Figure I.23 Structure du chromophore Z907

Les analogues plus populaires développés à partir de Z907 sont surtout des complexes comportant différents substituants à la place des chaînes alkyles, tels que des styrols, thiophènes ou triphénylamine. Le but d’employer des substituants aromatiques est d’augmenter les coefficients d’extinction molaire.

Ainsi, le remplacement des longues chaînes alkyles par des groupements 3-méthoxystyryle a conduit au colorant Z910 (Figure I.24) présentant un coefficient d’extinction molaire de la bande d’absorption MLCT d’environ 17 000 L.mol-1.cm-1, comparé à 14 200 L.mol-1.cm-1 pour le colorant N3.[56] Ce photosensibilisateur a ainsi donné en cellules à colorant un rendement de 10,2 %.

Figure I.24 Structure du chromophore Z910

Par la suite des analogues avec des longueurs de chaînes ou positions différentes ont été étudiés, tels que K19 ou K77,[57,58] mais leurs performances n’atteignent pas celles de Z910.

Dans la même idée d’augmenter l’absorptivité des colorants, des complexes isocyanates similaires ont été développés, portant cette fois-ci à la place des substituants de type méthoxystyryle des groupements de type thiophène, avec de longues chaînes alkyles.

Après plusieurs études et optimisations, certains chromophores ont permis d’atteindre plus de 10 % d’efficacité, notamment C101 comportant un motif thiophène et une chaîne hexyle au niveau des substituants et C106 remplaçant les chaînes hexyles par des thiohexyles (Figure

coefficients d’absorption de 17 500 et 18 700 L.mol-1.cm-1.[59,60] Un dérivé de C106, soit

CYC-B11 (Figure I.26) comportant des substituants dithiophène-thiohexyle, a permis d’atteindre

11,5% de rendement grâce à un coefficient d’extinction molaire au maximum d’absorption de 24 400 L.mol-1.cm-1.

Figure I.25 Structures des chromophores C101 (gauche) et C106 (droite)

Figure I.26 Structure du chromophore CYC-B11

De nombreux analogues ont été étudiés, ainsi que des dérivés arylamine ou carbazole entre autres.

Une approche pour optimiser les colorants a été, à partir de N749, de modifier la partie d’accroche en jouant sur le degré de protonation et en remplaçant un des groupements carboxy aux extrémités par un substituant π-conjugué.

Les ligands thiocyanates étant monodentates sont relativement labiles ce qui conduit à des problèmes de stabilité des cellules solaires à colorant utilisant des colorants possédant ces ligands. Ainsi des chromophores sans thiocyanates ont été développés avec des ligands bi- ou tridentates. Un premier groupe consiste à la synthèse de dérivés du standard 2-(3-(trifluorométhyl)-1H-pyrazol-5-yl)pyridine (dérivés TFRS) représenté Figure I.27.

Figure I.27 Structure standard des dérivés TFRS

Ainsi parmi ceux étudiés, deux ont permis d’atteindre de hauts rendements, tel que

TFRS-4 où R correspond à des groupements thiophène-thiohexyles et qui a donné en cellules

solaires un rendement de 10,2 %.[61] Un autre colorant synthétisé, TFRS-52 portant des ligands isoquinoline-pyrazole à la place des ligands pyridine-pyrazole, substitués par un groupement t-butyle atteint 10,88 %.[62]

Un deuxième grand groupe de composés correspond aux analogues des dérivés TFRS, mais à partir de N479 au lieu de N3 : il s’agit des dérivés PRT. Ils comportent un ligand d’accroche tridentate tricarboxy-terpyridine, un ligand bidentate pyridine-pyrazole et un thiocyanate. Par rapport à N749, ils absorbent générale plus largement jusqu’à 840 nm et plus fortement à 550 nm. Le dérivé PRT22 (Figure I.28), portant toujours le substituant thiophène-thiohexyle, permet d’atteindre le haut rendement de 11,16 %.[63]

Figure I.28 Structure du chromophore PRT22

A tous ces exemples s’ajoutent de très nombreux autres qui ont permis d’atteindre de hauts rendements. Cependant jusqu’ici seulement peu de chromophores ont fourni des valeurs semblables à N719 et N749. Malgré de larges spectres d’absorptions caractéristiques des complexes à base ruthénium, il reste à améliorer les capacités d’absorption qui restent relativement faibles.