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5.4.1 Méthode et enjeux

La pose de capteurs solaires thermiques pour la préparation d’eau chaude sanitaire sur des bâti-ments raccordés au réseau a pour effet de diminuer le soutirage de chaleur sur le réseau thermique.

L’enjeu discuté dans cette analyse est de montrer quelles sont les sources de chaleur substituées par la production solaire, et comment cette substitution peut évoluer en fonction de la pénétration du solaire thermique. Cet enjeu est important dans la mesure où la loi sur l’énergie impose la pose de capteurs solaires thermiques pour la préparation de l’ECS sur les nouveaux bâtiments et lors de ré-novations de toitures (LEn, art.15, al. 2, 5 et 6), avec une exception lorsque les besoins en ECS sont déjà couverts au minimum à 30% par d’autres énergies renouvelables. Sur les bâtiments raccordés au réseau, on peut estimer la surface de capteurs solaires pour la préparation de l’ECS à 370 m2 (surface issue des demandes de subventions effectuées auprès de l’Office Cantonal de l’Energie entre 1999 et 2009), pour une production d’environ 240 MWh/an (Khoury, 2014).

Dans cette analyse, la production solaire est déterminée à partir des résultats issus d’un retour d’expérience sur un bâtiment raccordé sur CADIOM (Mermoudet al., 2012), sur lequel a été posée en toiture une installation solaire thermique pour la préparation de l’ECS avec un dimensionnement de 0.6 m2 de capteurs par habitant. A Genève, ce dimensionnement permet de limiter les problèmes de surchauffe durant la période estivale et offre une productivité relativement bonne (environ 600-700 kWh/m2/an), tout en gardant un taux de couverture solaire des besoins en ECS correct, situé aux alentours de 40-50% (Lachal, 2002). Les mesures sur une année complète (2009-10) ont montré une relation linéaire entre l’ensoleillement journalier sur plan capteur et la production solaire, avec un rendement annuel de 45% (figure 5.25). Cette relation linéaire en valeurs journalières est démontrée et validée dans d’autres études (Guisanet al., 1990a,b).

y = 0.49x - 0.15

0.0 0.5 1.0 1.5 2.0 2.5 3.0 3.5 4.0 4.5

0.0 1.0 2.0 3.0 4.0 5.0 6.0 7.0 8.0 9.0

Production solaire [kWh/m2/jour]

Rayonnement solaire global sur plan capteur [kWh/m2/jour]

FIGURE5.25 – Production solaire mesurée en fonction de l’ensoleillement dans le plan capteur sur un bâtiment raccordé à CADIOM. Données journalières. Source : Mermoudet al.(2012)

La régression linéaire sur les valeurs mesurées sur ce bâtiment a donc été utilisée, ce qui suppose que les installations posées dans les scénarios sont dimensionnées comme le bâtiment analysé

(0.6 m2/hab), et qu’elles sont installées sur des bâtiments résidentiels. Sachant qu’il y a environ 50’000 habitants chauffés par le réseau actuellement (cf. section 1.4.6, p.21), la surface maximale qui peut être posée en conservant ce dimensionnement est d’environ 30’000 m2 de capteurs. Selon le cadastre solaire du canton de Genève (SITG, 2014), cette surface s’avère disponible sur presque l’ensemble des bâtiments raccordés au réseau (figure 5.26).

0 5 10 15 20 25 30 35 40

0 100 200 300 400 500 600 700 800 900

m2/habitant

Bâtiments Surface de toit brute par habitant Surface de toit utile par habitant

Dimensionnement des capteurs thermiques (0.6m2/hab)

FIGURE5.26 – Distribution des surfaces de toit totales et des surfaces de toit utiles (irradiance>1’000 kWh/m2/an) sur les bâtiments résidentiels raccordés aux réseaux thermiques CADIOM et CADSIG

Les valeurs d’ensoleillement en input utilisées pour le calcul de la production solaire proviennent des mesures prises à la station "Prairie" sur un plan incliné de 35˚C et orienté sud (cf. section 2.3, p.42). Par hypothèse, les capteurs installés ont donc les mêmes caractéristiques d’inclinaison et d’orientation. Sur l’année 2013-14, le rayonnement solaire global annuel mesuré sur ce plan a été de 1’590 kWh/m2/an.

Les pertes de bouclage et de stockage supplémentaires liées à l’intégration des systèmes solaires sont, par hypothèse, estimées à 10%. L’apport de chaleur annuel des systèmes solaires (Qprod,sol) qui se substitue à un soutirage sur le réseau a dès lors été calculé de la façon suivante sur un pas de temps journalier :

Qprod,sol =

365

X

j=1

max[(qsol,35s(j)·0.488−0.146)·Scapteurs ·0.9; 0]

Avec :

• Qprod,sol : l’apport de chaleur annuel des systèmes solaires thermiques (kWh/an)

• qsol,35s : le rayonnement solaire global sur plan capteur (kWh/m2/jour)

• Scapteurs : la surface totale des capteurs installés (m2)

La production des chaudières gaz (Qgaz,sol) et la récupération de chaleur fatale/renouvelable en ruban (Qren,sol) alimentant le réseau dans les scénarios avec une pénétration du solaire thermique ont été calculées en admettant que c’est le gaz qui est substitué en priorité :

Qgaz,sol =

Avec 30’000 m2de capteurs, l’apport de chaleur solaire pour la préparation de l’ECS pourrait être de 19.5 GWh/an (productivité de 650 kWh/m2/an). Cette production serait majoritairement effectuée en été et mi-saison (figure 5.27). Elle se substituerait à 9.9 GWh/an produits par du gazaet 9.5 GWh/an de chaleur fatale (figure 5.28). En été, la production solaire remplacerait uniquement de la chaleur fatale. En mi-saison, elle se substituerait majoritairement à du gaz, parfois à de la chaleur fatale si l’usine fonctionne avec deux fours et que la demande n’est pas trop importante. La production solaire en période hivernale, plus faible, remplacerait essentiellement du gaz.

Si la pose de 30’000 m2de capteurs diminuait de 9.5 GWh la récupération de chaleur fatale, elle per-mettrait en contrepartie d’augmenter la production d’électricité à l’UVTD de 1.9 GWh/an, ce qui repré-sente 65 kWh par m2de capteurs solaires. A titre de comparaison, la productivité d’un mètre carré de panneau photovoltaïque sous nos climats se situe, selon la technologie, entre 140 et 180 kWh/m2/an.

0

Production thermique [MWh/jour] Solaire thermique décentralisé Chaudières gaz

FIGURE5.27 – Chaleur fournie au réseau et production solaire thermique décentralisé avec 30’000 m2de capteurs. Valeurs journalières (gauche) et annuelles (droite)

a. Sans la panne du mois de mai qui a contraint l’UVTD à cesser la fourniture de chaleur durant 9 jours, la part de gaz substituée par la chaleur solaire sur l’année serait de 9.5 GWh au lieu de 9.9 GWh (-430 MWh)

0

FIGURE5.28 – Chaleur substituée par la pose de 30’000 m2de capteurs solaires thermiques. Valeurs journalières (gauche) et annuelles (droite)

Une analyse de sensibilité permet de montrer que plus on pose de capteurs, moins on substitue de gaz par mètre carré de capteur. A partir de 17’000 m2, la production marginale annuelle substituée sur le réseau par la pose d’un mètre carré de capteur se compose de 50% de chaleur fatale et 50% de chaleur issue du gaz (figure 5.29). Au-delà de ce seuil, les installations solaires thermiques supplémentaires se substituent majoritairement à de la chaleur fatale.

0%

0 5'000 10'000 15'000 20'000 25'000 30'000 Mix annuel marginal de la production thermique substituée [%]

Surface de capteurs solaire thermique [m2] Chaudières gaz

CCF UVTD

FIGURE5.29 – Mix annuel marginal de la chaleur substituée par le solaire thermique en fonction de son taux de pénétration

5.4.3 Récapitulatif et points de discussion

Du moment qu’elle entre en concurrence avec la récupération de chaleur fatale/renouvelable, la pose d’installations solaires thermiques sur les bâtiments raccordés devient discutable. Au niveau global, l’efficacité économique (surinvestissement dans les énergies renouvelables) et énergétique (substitution de chaleur fatale et non d’énergie fossile) est en effet nettement moins intéressante par rapport à une installation solaire sur un bâtiments alimenté à 100% par des énergies fossiles.

Les résultats obtenus ont permis de montrer que la fraction fossile substituée par la pose de pan-neaux solaires thermiques décentralisés sur les bâtiments raccordés au réseau dépendait de son taux de pénétration. Cette fraction sera d’autre part conditionnée par le déploiement du réseau et l’intégration de nouvelles ressources énergétiques sur celui-ci.

Bien que les premières installations solaires thermiques permettraient de substituer une fraction de gaz intéressante, il semble néanmoins plus intéressant de favoriser la pose de panneaux solaires photovoltaïques sur les toits des bâtiments raccordés pour les raisons suivantes :

• La pose de capteurs solaires thermiques réduit la rentabilité des réseaux thermiques

• De nouvelles capacités de production de chaleur renouvelable/fatale en ruban devraient ali-menter le réseau dans un avenir proche, réduisant davantage la fraction fossile potentiellement substituable par le solaire thermique

Finalement rappelons que, du fait de la connexion des deux réseaux, les enjeux globaux liés à la pose de capteurs solaires thermiques sur les bâtiments raccordés à CADIOM ou CADSIG sont dé-sormais similaires, même si leurs mixes ne sont pas considérés comme identiques. A ce titre, il est intéressant de relever que la pose de capteurs solaires thermiques sur des bâtiments raccordés à CADIOM permettra d’améliorer le bilan énergétique des bâtiments raccordés sur le réseau CADSIG (la chaleur fatale libérée en mi-saison sur CADIOM pouvant alors être transférée sur CADSIG). Avant la connexion, les enjeux étaient très différents dans la mesure où la production solaire sur des bâti-ments raccordés à CADIOM se substituait entièrement à de la chaleur fatale, alors que sur CADSIG elle se substituait entièrement à du gaz.

5.5 Conclusions

Le développement d’un modèle input/output a permis de réaliser des scénarios d’évolution du réseau et de mettre en avant différents enjeux liés à la demande, à la production et au stockage de la chaleur.

Les enseignements majeurs que l’on peut en retirer sont les suivants :

• La récupération de chaleur fatale de l’UVTD a été nettement améliorée grâce à la connexion des deux réseaux. Il est désormais difficile de l’augmenter significativement par un déploiement du réseau.

• La rénovation énergétique des bâtiments sur le réseau est intéressante dans la mesure où elle permet principalement d’économiser du gaz. En revanche, des rénovations sans extension de réseau rendront l’intégration d’autres productions de chaleur renouvelable/fatale en ruban difficile (projets PôleBio et STEP d’Aïre).

• Récupérer l’excès de chaleur fatale produit par l’UVTD grâce au stockage sera difficile dans la mesure il serait nécessaire de faire du stockage saisonnier. Quelques GWh pourraient néan-moins être récupérés relativement facilement en mi-saison sur des cycles de stockage courts (principalement jour-nuit). D’autre part, un stockage journalier permettrait de lisser les pointes de consommation, ce qui pourraient s’avérer utile si le dimensionnement des infrastructures de production ou de transport devient un point critique.

• La pose de capteurs solaires thermiques décentralisés sur des bâtiments raccordés au réseau entre en partie en concurrence avec la récupération de chaleur fatale. Les sources de chaleur substituées dépendent alors du taux de pénétration du solaire thermique et de l’évolution du réseau. D’une façon générale, dans le but d’éviter le surinvestissement dans le renouvelable, la pose de panneaux photovoltaïques semble actuellement plus judicieuse.

Les différentes analyses ont également permis de soulever un certain nombre de questions :

• Comment gérer la concurrence d’un déploiement du réseau thermique avec la présence d’autres réseaux énergétiques (notamment le réseau de gaz) ?

• Comment gérer la baisse de la rentabilité des infrastructures de réseaux en cas de diminution importante de la demande liée aux rénovations énergétiques des bâtiments ?

• Sur quelles bases hiérarchiser les productions de chaleur sur un réseau multi-ressources ?

• Quelles sont les meilleures formes de stockage d’énergie (choix techniques, centralisé/décentralisé, court terme/saisonnier) ?

Recommandations générales

L’analyse de l’ensemble du système a permis de mettre en avant les gains économiques, environ-nementaux et énergétiques offerts par la connexion des deux grands réseaux thermiques genevois.

Globalement, ce projet est une réussite. Un certain nombre de points pourraient néanmoins encore être améliorés dans l’optique de garantir le développement de réseaux thermiques multi-ressources efficients et renouvelables.

Gestion technique du système

Compte tenu des infrastructures existantes, le système énergétique étudié a bien fonctionné. Les principales recommandations pour améliorer l’efficience du système sont les suivantes :

• Usine de valorisation et traitement et des déchets

mieux connaître les besoins en vapeur basse pression de l’UVTD (pose de débitmètres) pour optimiser la valorisation de la chaleur

optimiser le soutirage de vapeur sur les turbines (permettre le soutirage en parallèle de vapeur basse pression sur les deux turbines)

exploiter au mieux les possibilités de stockage des déchets pour les incinérer durant les périodes froides

planifier autant que possible les révisions des fours durant les périodes chaudes