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L’enseignement de la numération des nombres à quatre chiffres en CE2 : une étude de cas

IV.2 Complément sur les deux premières séances observées

Nous allons détailler l’analyse de ces deux séances car le principe décimal y est un enjeu. Pour la première séance, Mme C s’appuie sur la séquence 74 proposée dans le fichier (cf. chapitre 3, étude du manuel J’apprends les maths CE2).

Séance 1

On peut découper la séance en deux grandes phases. Phase 1 (de 0’ à 32’) : rappel sur les nombres à 3 chiffres

Mme C décide de faire un travail préliminaire (sur ardoise) de rappel sur les nombres à 3 chiffres. Elle propose ensuite le premier exercice du fichier pour le nombre 999. Cela lui permet de faire travailler les 4 types de tâches pour ces nombres et d’institutionnaliser les deux principes de la numération :

- les relations entre unités apparaissent de manière contextualisée à travers les groupements de 10 billes en 1 boite et de 10 boites en 1 valise, ce qui est reformulé avec les unités de numération par l’enseignante : « les dix unités on les transforme en une dizaine », « dans une centaine il y a dix paquets de dix », « dans une centaine il y a dix dizaines ».

- le principe de position apparait avec le tableau de numération que l’enseignante a

représenté au tableau en écrivant m c d u au-dessus des cases (la relation entre la position des chiffres et les unités n’est pas formulée explicitement). Elle demande également à une élève d’entourer en rouge le chiffre des centaines.

Rappelons que dans ce manuel le principe de position reste implicite. L’enseignante a donc pris l’initiative de faire émerger ce savoir à travers cette écriture des unités au-dessus des cases du compteur. Au cours de l’entretien qui suit la deuxième séance elle explique :

« Je suis revenue au tableau classique où on visualise plus facilement le chiffre des dizaines des centaines enfin des unités. C’est vrai que c’est des trucs, mais je trouve que pour eux c’est plus facile de l’appréhender comme ça. Même si je trouve très intéressant le passage par le dessin, l’idée des paquets, mais je vois que pour certains + Dès qu’on aborde quelque chose de nouveau comme ça y’en a toujours un ou deux … »

Elle s’excuse presque d’utiliser ce tableau qui est considéré comme un « truc », une astuce, mais elle légitime son utilisation par le fait que ça peut aider les élèves en difficulté.

Phase 2 (de 32’ à 1h16’) : exposition des nouveaux savoirs par l’enseignante et exercices d’application du fichier.

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Nous avions pu relever le même phénomène dans les évaluations de Mme A et de M. B où les recompositions en EAC et EPDC ne faisaient jamais non plus intervenir plus de 10 unités à certains ordres (sauf 22x10 dans l’évaluation de M. B), alors qu’avec les unités de numération les deux cas étaient proposés.

Conformément à ce que nous avions vu dans l’analyse de l’exercice 1 de la séquence 74 (cf. OM à enseigner) l’enseignante est amenée à présenter le lien entre centaines et milliers par ostension (« attention regardez ce qui se passe. On regarde, on regarde. »). Elle montre alors ce qui se passe quand on ajoute une unité aux 9 unités de 999 (avec un dessin du matériel du fichier au tableau) : 10 unités se groupent en 1 dizaine (elle barre 10 unités et dessine une nouvelle dizaine). Elle fait de même pour les dizaines puis les centaines, ce qui lui permet d’introduire la « malle ». Elle montre ce qui se passe avec le compteur dans ce passage de 999 à 1000 puis demande aux élèves combien ils ont de paquets de 100 et de groupes de 10 dans ce nombre (1000). Il suffit alors de compter. Ensuite l’enseignante propose de coller les autocollants de valises puis de « malle » et explique qu’il faut bien comprendre qu’il y a dix groupes de cent dans une malle. Mais beaucoup d’élèves n’écoutent pas car ils collent leurs étiquettes. L’enseignante choisit de ne travailler que les groupes de 100 (et pas 10 comme cela est proposé dans le manuel) car cela pose déjà des difficultés aux élèves.

Comme nous l’avions vu dans l’analyse a priori, pour la suite des exercices les élèves peuvent:

- pour le dénombrement, ajouter 1 au chiffre des unités, sans utiliser la technique de

juxtaposition,

- pour le nombre de groupes de 100, utiliser le fait que le nombre de 100 est toujours

le même que pour le nombre précédent, ce que l’enseignante met d’ailleurs en évidence.

Ils n’ont alors ni la responsabilité de l’utilisation de connaissances liées au principe de position et au principe décimal puisque ces techniques ne mobilisent pas ces savoirs.

Pour l’exercice 3 il est seulement demandé de compléter la suite des nombres mais le nombre de centaines et de dizaines n’est pas demandé par l’enseignante. Il y a des erreurs, mais l’enseignante les traite individuellement en passant voir les élèves. Elle travaille également la lecture des nombres à 4 chiffres pour les élèves qui ont des difficultés.

Du coup la technique de troncature proposée dans le "j’ai appris" en bas de page du fichier n’est pas institutionnalisée par l’enseignante (le nombre de centaines n’a été travaillé jusque là que pour les nombres 1000, 1001, 1010 et 1011, il est donc toujours le même). Il est toutefois possible qu’elle l’ait mis en évidence individuellement en passant voir les élèves. Finalement, c'est l’enseignante, dans les phases collectives, qui a toujours la responsabilité de la mise en œuvre des savoirs de la numération. A minima les élèves ont utilisé des procédés ne mettant pas en jeu ces savoirs (avancer de 1 au rang des unités ou encore réécrire le nombre de centaines du nombre précédent). A maxima ils ont travaillé les conversions et en on déduit la lecture directe par troncature proposée dans le manuel.

Séance 2

Le déroulement de la séance 2 est décrit en annexe. Nous avons choisi d’analyser un épisode de travail sur le nombre de groupes de 10 et de 100 d’une collection représentée au tableau :

Les élèves doivent tout d’abord écrire le nombre correspondant sur leur compteur (donc en chiffres) puis en lettres. La correction de cette première question permet de trouver l’écriture 2494 (et deux-mille-quatre-cent-quatre-vingt-quatorze).

L’épisode qui nous intéresse commence alors ici. L’enseignante écrit au tableau :

m c d u

2 4 9 4

m c d u

2 4 9 4

Les élèves doivent compléter les trous. Elle laisse chercher 4 minutes puis propose une correction collective de 12 minutes.

L’analyse a priori de cette situation et le déroulement de cet épisode sont proposés en annexe. Nous proposons ici l’analyse a posteriori de l’épisode.

L’analyse a priori montre que le fait de demander en premier la détermination du nombre de groupes de 10 rend l’utilisation des techniques relevant de conversions (en appui sur le dessin du matériel ou sur les unités de numération) plus coûteuses que la technique de troncature. De plus l’enseignante laisse peu de temps de recherche (4 minutes) et par effet de contrat (en demandant une méthode qui permet de trouver « facilement ») indique ses attentes. C’est alors la technique de troncature qui est attendue et, qui plus est, est la plus adaptée ici. Mais l’analyse de la séance 1 avait montré qu’elle n’avait pas encore émergé. Pourtant une élève (Léa) a bien utilisé cette méthode. D’autres élèves observés ont fait des erreurs en utilisant cette technique : 249 groupes de 100 et 4 unités ou 24 groupes de 10 et 94 unités. Tel qu’il est organisé, le milieu est peu rétroactif. Il faudrait en effet ici des connaissances liées à la recomposition (avec conversions) ou à la multiplication par 10 ou 100, mais elles n’ont pas été travaillées auparavant. De plus ici la juxtaposition des deux nombres obtenus permet de retrouver le nombre de départ (ce qui n’est pas le cas si par exemple l’élève avait écrit 4 groupes de 100 et 94 unités qui était aussi une erreur possible). Dans la correction collective, l’enseignante ferme tout de suite la discussion sur les diverses techniques possibles (et les erreurs) en orientant vers la technique de troncature qu’elle montre tout de suite, ce qui permet d’annoncer à nouveau la technique attendue (contrat). Du coup, nous ne savons pas quelles sont les procédures utilisées par les élèves, excepté celle de Léa qui est reprise et montrée par l’enseignante ce qui permet une institutionnalisation de cette méthode.

La suite de la mise en commun a pour but la vérification et la justification de cette méthode avec le matériel de numération. C’est alors par l’évocation des groupements matériels que se fait la vérification, sous la responsabilité de l’enseignante. Mme C reprend ce qui est proposé dans le « j’ai appris » : les unités que l’on voit et celles qui sont cachées (dans les unités d’ordre supérieur). Mais les relations entre unités ne sont pas des connaissances suffisamment disponibles chez les élèves pour être utilisées comme critère de validité (la technique de multiplication par les puissances de 10 non plus). Au cours du jeu de questions/réponses qui s’instaure entre l’enseignante et les élèves, on peut noter que les élèves font de nombreuses erreurs dans les réponses aux questions liées aux conversions. Nous reprenons ici toutes les questions de conversion posées par l’enseignante ainsi que les réponses données par les élèves (les réponses exactes sont entourées, les réponses erronées ou l’absence de réponse est soulignée).

1. Lors de la vérification du nombre de groupes de 10 dans 2494, Mme C demande (14’05): « vous vous souvenez qu’il y a des dizaines qui sont cachées, qui sont

C’est … groupes de 10 et … unités

rangées déjà. Ici combien est-ce que j’ai de dizaines ? » (montre les 4 valises dessinées au tableau). L’élève interrogé répond « quatre ». Mme C lui demande alors combien de billes dans une boite puis dans une valise. L’élève répond dix puis cent. Mme C demande alors le nombre de dizaines dans cent. L’élève ne répond pas. 2. Mme C demande (16’15) : « c’est là que ça se complique, dans un paquet de mille, j’ai combien de groupes de dix ? » (elle dessine en même temps au tableau une malle avec 10 valises à l’intérieur). Un élève répond « dix ». L’enseignante reprend : « j’ai dix groupes de dix ? ». Les autres élèves ne savent pas (ne disent ni oui ni non). Mme C demande alors le nombre de centaines dans un paquet de mille. Une seule élève tente une réponse : « des centaines y’en a cent + enfin euh y’en a cent euh » L’enseignante reformule alors : « combien est-ce qu’on met de valises pour faire un paquet de mille ? ». L’élève répond alors qu’il en faut dix.

3. Lors de la vérification du nombre de groupes de 10, Mme C demande (19’45) : « est-ce que dans les mille je peux ranger en faisant des paquets de cent ? ». Les élèves répondent oui donc Mme C poursuit : « j’ai combien de paquets de cent dans deux-mille ? ». Un élève répond « cent ». L’enseignante répète : « combien il me faut de groupes de cent pour pouvoir faire mille ? ». Devant l’absence de réponse des élèves elle propose de compter. Pendant que les élèves comptent de cent en cent l’enseignante lève un doigt à chaque fois : elle termine avec 10 doigts levés et répète la question. Les élèves disent alors « dix ».

Ces extraits permettent de mettre en évidence les difficultés rencontrées par les élèves65 dans les conversions entre milliers, centaines et dizaines66 et peut-être également dans la traduction entre unités de numération et mots désignant les unités avec le matériel (par exemple entre « centaine » et « valise »). Dans ces conditions la technique proposée par l’enseignante ne peut jouer le rôle de critère de validité (qui est censé s’appuyer sur des connaissances anciennes). Elle est ainsi amenée à prendre entièrement en charge cette technique, en laissant principalement aux élèves la responsabilité des comptages en unités simples (par dix ou cent).

Pour les cas suivants (à partir de la 24ème minute), l’écriture de la troncature dans le

compteur par l’enseignante en face des nombres à trouver67 montre clairement ses attentes

(contrat) en termes de techniques et réduit la responsabilité des élèves qui n’ont plus qu’à réécrire les chiffres dans chaque case et en extraire le nombre qui est entouré. Finalement tout le travail qui a été fait publiquement par l'enseignante sur les conversions n’est plus en jeu.

Ces difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de la séance pourraient être à l’origine de ce que dit Mme C lors de l’entretien qui suit cette deuxième séance. Pour elle l’enseignement de cette notion est vécu comme « lourd », « trop fouillé » et finalement c’est

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En particulier ceux qui sont interrogés, mais l’absence de réponses collectives à certains moments laisse penser que le phénomène est plus général dans la classe.

66 Dans la dialectique ancien/nouveau, ce sont les relations entre centaines/milliers (et dizaines/milliers) qui sont censées relever du nouveau puisque le travail sur les nombres à trois chiffres était l’objet de l’année précédente (CE1) ainsi que des révisions de la première partie de l’année de CE2, même si ce n’est pas vraiment le cas.

67 Voici ce que l’enseignante écrit au tableau : - pour le nombre de groupes de 10 :

m c d u

C’est … groupes de 10 et … unités

- pour le nombre de groupes de 100 :

m c d u

l’intérêt de ce travail qui est questionné, même si elle en perçoit la cohérence dans la progression du manuel :

« Est-ce que c’est vraiment utile pour savoir lire un nombre, pour savoir l’écrire ? C’est plus dans la compréhension des nombres. Moi j’étais de la période où on essayait d’analyser, de comprendre comment se construit le nombre. Donc automatiquement c’est logique pour moi. Maintenant la question est est-ce que c’est vraiment bénéfique pour les enfants ? […] Moi je pense que j’aurais tendance à l’alléger cette partie là justement. Moins insister sur + plus insister sur le nombre en lui-même, les paquets de dix, les paquets de cent. »

Elle trouve que dans ce manuel le travail sur la numération est trop approfondi : « moi je m’y retrouve bien dedans mais en l’occurrence là c’est un peu trop fouillé […] Cet aspect là est lourd ».

Les activités proposées dans ce manuel lui semblent donc difficilement tenables compte-tenu des difficultés qu’elles peuvent poser aux élèves, de la lourdeur du dispositif et finalement de l’intérêt que cela peut avoir savoir, selon elle, pour écrire ou nommer un nombre.

Conclusion de cette étude des pratiques de trois

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