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Le complètement fondé sur l’équité

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 176-179)

LE CONTRÔLE DU JUGE SUR L’OPÉRATION CONTRACTUELLE

L ’ ACTIVITÉ DU JUGE DU FOND DANS LE CONTRAT

A. Le complètement du contrat

1. Le complètement fondé sur l’équité

265. Dès lors que le juge insère dans un contrat une obligation que les parties n’avaient pas prévue, il ne recherche pas dans ce cas le sens du contrat ; il crée une véritable règle de droit à partir de la qualification du contrat, qu’il applique ensuite au contrat litigieux. Alors que la référence à la loi et aux usages n’est pas considérée comme une interprétation véritablement créative816, la référence à l’équité place en revanche le juge

811 Voir à ce sujet, Y. BUFFELAN-LANORE, V. LARRIBAU-TERNEYRE, Droit civil, Les obligations, ibid., n° 1104, p. 423. Le pouvoir de créer des obligations par le forçage du contrat, remonte à l’année 1911, lors de la découverte de l’obligation de sécurité, introduite par la jurisprudence dans le contrat de transport de personnes.

812 En référence à la loi relativement aux éléments accessoires cités en exemple ou les usages dès lors qu’ils existent,

813 Voir, A. LAUDE, La reconnaissance par le juge de l’existence d’un contrat, op. cit., n° 328, p. 207.

814 Voir, A. LAUDE, La reconnaissance par le juge de l’existence d’un contrat, ibid, p. 257 et s.

815 Cf. Y. BUFFELAN-LANORE, V. LARRIBAU-TERNEYRE, Droit civil, Les obligations, ibid., n° 1102, p. 422.

816 Cf., Y. BUFFELAN-LANORE, V. LARRIBAU-TERNEYRE, Droit civil, Les obligations, op.

cit., n° 1100 à 1102, p. 422

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dans un rôle constructif. Le juge intervient pour compléter le contrat en y ajoutant des clauses auxquelles les parties n’avaient pas pensé ou qu’elles n’avaient pas voulu intégrer à l’acte instrumentaire. L’ « interprétation » complétive découle d’une opération intellectuelle qui n’est pas une opération d’interprétation au sens strict du terme. Elle ne peut s’identifier à l’interprétation explicative, car il ne s’agit pas pour le juge de clarifier une ambiguïté qui figure dans le texte. Le but est d’ajouter une ou plusieurs obligations, que les parties n’ont pas associées aux engagements prévus au contrat, afin de faire supporter au débiteur des éléments que le droit exige qu’il prenne en charge817. En cela, le juge peut également modifier l’étendue des réparations à effectuer en vertu d’une clause du bail, avoir le pouvoir de diminuer le montant d’une indemnité d’immobilisation en cas de renonciation anticipée du bénéfice de la promesse ou encore tenir pour inefficaces les clauses limitant la responsabilité en cas de faute lourde. L’objectif étant la préservation du contrat, seul les effets illicites de la clause doivent disparaître sans que celle-ci soit annulée ou modifiée.

266. La volonté des parties peut ne pas être décelable, ce qui oblige le juge à retrouver le sens du contrat par une interprétation objective en se référant à un certain nombre d’éléments extérieurs à la volonté des parties. Autrement dit, dès lors que la recherche de la volonté des parties s’avère infructueuse, le juge peut interpréter le contrat par l’application des articles 1104 et 1194 du Code civil, l’un étant fondé sur la bonne foi, l’autre sur l’équité, l’usage et la loi. Or, c’est sur l’équité que le juge peut se fonder pour combler les lacunes, en y ajoutant des clauses. L’interprétation complétive constitue ainsi une atteinte au principe de l’autonomie de la volonté et de la force obligatoire du contrat. Ce fondement n’est pas totalement libre, car la Cour de cassation a souvent rappelé que les parties ne pouvaient pas être exonérées d’un engagement, non équivoque, auquel elles auraient librement consenti. C’est pourquoi, l’interprétation complétive du juge sur le fondement de l’équité ne s’admet que lorsque les termes de la convention sont lacunaires. En ce cas, le pouvoir de créer des obligations est pour le juge animé par un rôle de protection à l’égard d’une partie et qui se traduit pour le débiteur de la prestation en une obligation de sécurité dans la sauvegarde du contrat et de la préservation de l’économie du contrat. Or, c’est sous le couvert de la volonté présumée ou supposée des contractants que le juge entreprend le forçage du contrat818, une pratique qui ne trompe personne819. Bien que « la rencontre de deux volontés sur les éléments essentiels du contrat suffit à sa pleine efficacité »820, il est à souligner que l’accord des volontés, indispensable à la formation du contrat, ne pourra se réaliser que si le consentement de chaque parties s’est extériorisé.

267. Selon l’article 1194 du Code civil, l’équité fait partie des suites, généralement implicites, que les contrats obligent à ce qui est exprimé par les parties. L’équité est en cela « plus qu’un rappel à la bonne foi »821. Le contrat doit être conforme à la justice contractuelle, au sens d’équilibre contractuel. Se fonder sur l’équité donne au juge la

817 Cf., G. HELLERINGER, Les clauses du contrat, Essai de typologie, op. cit., n° 81, p. 34, note 54.

818 Cf., Cass. Civ., 2e, 16 déc. 2010, n°09-71575. RDC, 01 juillet 2011, n°3, p. 916, obs., C. Pelletier.

819 Cf., L. LEVENEUR, “Le forçage du contrat”, p. 72.

820 R. DEMOGUE, Traité des obligations, Les sources des obligations, I, t. II, Paris, 1923, n° 585, p. 238 et RTD civ, 1913, p. 809.

821 Cf., Y. BUFFELAN-LANORE, V. LARRIBAU-TERNEYRE, Droit civil, Les obligations, ibid., n° 1059, p. 414.

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possibilité de faire produire au contrat des effets qui lui paraissent justes822. La loi, la jurisprudence, la doctrine ou les contrats, données positives du droit, vont guider le juge dans sa recherche de la solution la plus juste. Ce dernier dispose dans cette recherche, d’une large part d’appréciation. La jurisprudence, elle-même génératrice de règles de portée générale laisse encore plus de marge d’appréciation que la loi, ainsi que la contribution des règles particulières applicables nées des contrats.

268. L’article 1190 du Code civil énonce que : « Dans le doute, le contrat de gré à gré s’interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, et le contrat d’adhésion contre celui qui l’a proposé », ce qui signifie que dans l’hypothèse où deux interprétations sont possibles, l’interprète privilégiera celle qui est la plus favorable au débiteur.

L’article 1190 du Code civil marque ainsi l’équivalence de traitement de ces deux contrats dont les définitions figurent à l’article 1110 du Code civil : « Le contrat de gré à gré est celui dont les stipulations sont librement négociées entre les parties. Le contrat d’adhésion est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties ». Plus précisément, le problème porte sur la différence qui est faite entre le professionnel et le consommateur823, les parties ne contractant pas sur le même pied d’égalité quant à la maitrise de l’opération en jeu. En cela, il est difficile de rechercher la commune intention. Or, il est précisé à l’alinéa premier de l’article 1171 du Code civil que: « Dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix de la prestation ». Dans ces conditions, dès lors qu’il s’agit de préserver le contrat en éradiquant les clauses litigieuses, le juge après avoir corrigé le déséquilibre contractuel, sera en mesure de recomposer la commune intention des parties. Sans les nommer, le législateur a généralisé un dispositif de lutte contre les clauses abusives. Le contrat d’adhésion terrain d’élection de ce type de clause, nous ramène à l’interprétation des clauses abusives définies comme les clauses créant un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties. Le Code de la consommation à travers l’alinéa 2 de l’article L. 211-1, adopte une position identique au sens où « elles [les clauses]

s’interprètent en cas de doute dans le sens le plus favorable au consommateur […] ».

269. Ainsi, pour restituer à l’aide d’une interprétation constructive, l’équilibre, la cohérence, l’utilité du contrat au regard de sa qualification, l’intervention du juge va consister à apporter une solution au litige par l’interprétation de la loi. En cela,

« l’interprétation de la loi est une interprétation dynamique, le juge, dans un système de droit légal comme le nôtre, devant fonder, autant que possible, ses solutions sur un texte auquel il fera dire ce qu’il estime qu’il doit dire au moment où il statue »824. Sont concernées les clauses contractuelles qui ont pour effet de constituer un lien juridique, mais plus encore et surtout, celles qui comportent les obligations qui sont essentielles à la réalisation de l’opération voulue par les parties. Ce n’est pas par la recherche du sens du contrat, mais à partir de la qualification que le juge va pouvoir appliquer au contrat

822 Voir, J. GHESTIN, RTD civ, 2002,

823 Voir, R. LOIR, « Les nouvelles définitions du professionnel, du consommateur et… non-professionnel », La semaine juridique- entreprise et affaires, n° 27-28-7 juillet 2016, p. 29.

824 Cf., C. LARROUMET, Droit civil. Les obligations, le Contrat, 1re partie, Conditions de formation, op. cit., n° 141, p. 122.

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défectueux une véritable règle de droit825 comme par exemple, l’obligation de sécurité dans le contrat de transport826 ou encore l’obligation d’information dans un contrat de vente de matériel complexe, ou autres prestations relevant d’un niveau technique difficile d’accès au contractant profane, comme le devoir de conseil du notaire. En d’autres termes, l’interprétation créatrice comble le silence du contrat par des éléments objectifs et crée en ce sens des obligations. L’autorisation de modifier le contrat ou de tempérer la rigueur de ses termes827 consiste à « confier au juge la mission de faire régner la justice dans le contrat »828. D’une part, confronté à un contenu contractuel lacunaire et afin de compléter le contenu du contrat, le juge en se fondant sur l’équité, l’usage ou la loi va, par la technique de forçage du contrat, créer des obligations qui ne sont pas nouvelles, mais dont l’objet correspond à des prestations tacitement attachées à la nature de celles-ci. Il s’agit là d’un pouvoir créateur par l’interprétation complétive du contenu contractuel.

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