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La clause de voisinage

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 88-93)

LES DIRECTIVES D’INTERPRÉTATION

LES DISPOSITIONS CONVENTIONNELLES D ’ INTERPRÉTATION

B. La clause de voisinage

123. La clause de voisinage laisse au juge la faculté d’élargir le champ de l’interprétation en prenant en compte l’ensemble des éléments du contrat y compris ceux qui ont participé à sa formation. La clause de voisinage invite par une stipulation inverse de la clause d’intégralité à étendre le champ d’interprétation à l’ensemble des éléments qui ont participé à l’élaboration du contrat depuis l’offre de contracter jusqu’à la conclusion du contrat en passant par les phases de négociation. Par cette clause appelée aussi clause d’extension, dont Geneviève Helleringer nous donne un exemple396, les parties conviennent, aux fins d’interprétation du contrat, que le juge devra se référer à des éléments extrinsèques au contenu contractuel. Il s’agit « de préciser les liens du contrat qu’elles viennent d’élaborer avec l’environnement, en liant, par exemple,

394 Cf., C. GRIMALDI, « La valeur normative des directives d’interprétation », Colloque

« L’interprétation : une menace pour la sécurité des conventions ? », op. cit.,n° 12, p. 158.

395 Il s’agit de stipulations qui ont pour but de « libérer les initiatives des constructeurs du contrat » qui ont participé à son l’élaboration, afin que les propositions qu’ils auront avancées au cours des pourparlers ne soient pas utilisées contre eux lors de l’interprétation du contrat. Voir, P. MOUSSERON, J. RAYNARD, J.-B. SEUBE, Technique contractuelle, op. cit., n° 1607, p. 646.

396 Voir, G. HELLERINGER, Les clause du contrat, Essai de typologie, op. cit., n° 622, note 88, p. 317. La clause peut, par exemple, être formulée comme suit : « Pour l’interprétation du présent contrat, seront pris en compte tout accord passé antérieurement entre les parties ainsi que tout document échangé par les parties durant la négociation du présent contrat ou postérieurement à la conclusion de celui-ci ».

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l’interprétation de leur accord à des accords proches »397. Ce peut-être des contrats voisins liant les contractants, dès lors que l’on est en présence de contrats multiples, mais aussi des courriers échangés au cours des pourparlers ou encore des documents non contractuels ; tous ces éléments étant expressément indiqués dans l’instrumentum par la clause de voisinage398. Force est de constater qu’en l’absence de clause de voisinage, c’est ce que fait en pratique le juge, lorsqu’il se conforme à l’article 1188 du Code civil. Ce dernier a le pouvoir souverain de se fonder sur tous les éléments qui le conduiront dans la recherche du sens du contrat, à la condition que ceux-ci n’aient pas été écartés de l’interprétation par la volonté des parties. La clause de voisinage ne fait que confirmer ainsi le pouvoir d’interprétation du juge que celui-ci tient aussi de l’article 1189 du Code civil, selon lequel : « Toutes les clauses des conventions s’interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l’acte tout entier. Lorsque, dans l’intention commune des parties, plusieurs contrats concourent à une même opération, ils s’interprètent en fonction de celle-ci »399 ; une recommandation qui n’est pas sans rappeler la clause de voisinage. Bertrand Gelot prend, par ailleurs, le soin de préciser que la clause de voisinage doit être distinguée de la clause de complémentarité400 bien que celle-ci comporte, en particulier les mêmes effets.

§2. Les clauses exclusives d’interprétation

124. La clause exclusive restreint le juge dans la recherche des éléments contractuels lui permettant de repérer le sens du contrat lors de l’interprétation.

Afin de prévenir une interprétation éventuelle qui ne reflèterait pas le sens que lui ont donné les cocontractants dès la formation du contrat, ceux-ci peuvent se prémunir contre cette possibilité en prévoyant une clause d’exclusion portant sur des éléments susceptibles, selon l’interprétation qui leur sera faite, d’altérer le sens qu’ils ont donné au contrat. Tout comme l’interprétation effectuée par le juge en charge du litige sur un terme ou une clause contractuelle, le choix de la méthode applicable par celui-ci a aussi son importance. En anticipant en cas de litige toute interprétation de leur accord, que celle-ci soit subjective ou objective, les parties peuvent limiter l’intervention du juge en insérant une clause d’exclusion qui a pour effet d’écarter la méthode qu’elles ne souhaitent pas voir appliquée. En cela, les parties ont la faculté de sélectionner et d’imposer au juge, les dispositions appelées à régir l’interprétation du contrat. Réduisant les pouvoirs de ce dernier sur un élément du contenu contractuel, les contractants cherchent à contrôler le caractère incertain de l’intervention judiciaire. Il s’agit d’écarter dès la rédaction de l’acte, certaines règles indicatives qui s’offrent à lui, afin de réduire « l’aléa du choix de la méthode d’interprétation […] »401. Le

397 P. MOUSSERON, J. RAYNARD, J.-B. SEUBE, op. cit., n° 1609, p. 646.

398 Cf., B. GELOT, Finalités et méthodes objectives d’interprétation, op. cit., n° 296 et s.

399 Il était mentionné à la note n° 2 sous l’article 1161 ancien du Code civil, relative à la pluralité d’actes que : « Si une promesse de vente, considérée isolément, peut sembler claire et précise, le rapprochement de cette promesse et des conventions qui l’ont suivies peut faire naître une ambiguïté ; il appartient alors aux juges du fond de dégager des termes employés dans ces actes la véritable intention des parties ».

400 Cf., B. GELOT, Finalités et méthodes objectives d’interprétation, op. cit., n° 298, p. 165.

401 Cf., B. GELOT, Finalités et méthodes objectives d’interprétation des actes juridiques, op. cit., n° 287, p. 160.

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procédé ne relève pas d’une exception ; il participe de la technique employée régulièrement par les contractants dans la rédaction d’un acte juridique. Les règles d’interprétation ne sont que des méthodes402 qui permettent aux parties de soustraire à l’interprétation, par l’expression d’une volonté contraire sur certains textes, à la condition que ceux-ci ne présentent pas un caractère impératif. Ainsi, les articles 1188 et suivants du Code civil, mais aussi, certaines dispositions légales supplétives qui ne présentent pas un caractère d’ordre public peuvent faire l’objet d’une clause d’exclusion.

125. Pour ce qui est de la validité de certaines clauses d’exclusion d’interprétation, il est vrai qu’il ne s’agit pas pour les parties, à travers ces clauses, de remettre en cause le principe même de l’interprétation, ni de risquer un déséquilibre du contrat dès lors qu’elles porteraient atteinte au principe d’équité403. Hormis le caractère impératif de l’article 1104 du Code civil, les dispositions édictées par les articles 1188 à 1192 du Code civil ne sont pas des règles de droit, la règle de droit étant quant à elle juridiquement obligatoire. Dès lors qu’elles ne sont pas juridiques, ces règles ne doivent pas être qualifiées de supplétives, car les règles supplétives ne sont pas facultatives : elles s’imposent de droit si elles n’ont pas été écartées par une clause d’exclusion, et sont alors sanctionnées comme toute règle de droit. Ainsi, par exemple, la clause qui exclut les usages est efficace en droit positif, car les usages sont simplement supplétifs de la volonté des parties et peuvent à ce titre être écartés. En revanche, la pratique des clauses d’exclusion d’interprétation étant limitée aux seules règles supplétives, cela restreint ainsi les possibilités conventionnelles.

126. L’article 1160 ancien du Code civil qui stipulait que : « on doit suppléer dans le contrat les clauses qui y sont d’usage, quoi qu’elles n’y soient pas exprimées », rendait compte que les usages se présentent comme des normes supplétives, lesquelles à ce titre peuvent être écartées par les parties, dès lors qu’il s’agit de l’interprétation du contrat qu’ils ont conclu404. À cela, il nous faut ajouter que la clause d’exclusion s’impose quelle que soit la qualité des contractants, qu’ils soient particuliers ou professionnels405, mais aussi quelle que soit la nature des usages, ceux-ci pouvant être des usages locaux ou commerciaux. Bien que l’exclusion puisse être stipulée de manière générale comme le précise Bertrand Gelot406, les contractants peuvent écarter d’un contexte, un élément particulier comme par exemple la référence qui a trait à l’usage dans l’article 1194 du Code civil. Au-delà de l’exclusion d’éléments supplétifs tels que l’usage, lorsqu’un accord porte sur une opération contractuelle complexe qui fait appel à un vocabulaire spécifique, les parties souhaitant maitriser le sens des termes avaient

402 Voir, A. ETIENNEY DE SAINTE MARIE, « L’interprétation créatrice : l’interprétation et la détermination du contenu du contrat », in « l’interprétation : une menace pour la sécurité des conventions », op. cit., n° 45, p. 178.

403 Cf., B. GELOT, Finalités et méthodes objectives d’interprétation des actes juridiques, op . cit., n° 312, p. 172.

404 Cf., G. HELLERINGER, Les clauses du contrat. Essai de typologie, op. cit., n° 701, p. 356 ; voir également, B. GELOT, Finalités et méthodes objectives d’interprétation des actes juridiques, op. cit., n° 312, p. 172.

405 Par leur caractère même, les usages ne participent pas à l’ordre public de protection.

406 Cf., B. GELOT, Finalités et méthodes objectives d’interprétation des actes juridiques, op.

cit., n° 312, p. 172.

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la faculté d’exclure de l’interprétation, l’application de l’article 1158 ancien du Code civil qui a été abrogé.

127. La validité des clauses d’exclusion d’interprétation ayant été abordée, considérons maintenant ce que peuvent être les limites de ces clauses. S’agissant des limites de l’utilisation de la clause d’exclusion des méthodes d’interprétation, précisons que cette pratique ne laisse pas aux contractants le pouvoir absolu de priver l’interprète de sa libre recherche de la commune intention en lui retirant les moyens de mener à bien une interprétation efficace et raisonnable du contrat qui aurait pour effet néfaste de perturber l’équilibre contractuel. Il ne serait pas concevable en effet, s’agissant de l’article 1188 du Code civil, que les parties puissent l’exclure de l’interprétation, car il se présente plus comme un principe, qu’une règle d’interprétation. On touche ainsi aux limites du pouvoir de la volonté individuelle sur l’acte juridique ; « Les parties ne sauraient s’affranchir, par une clause, des effets régulateurs de l’équité et de la bonne foi dans l’interprétation de leurs actes »407, un principe confirmé en ce qui concerne la bonne foi par l’ordonnance du 10 février 2016, qui présente l’article 1104 du Code civil, comme une règle impérative selon laquelle : « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public ». Les parties au contrat indiquent ainsi dans l’acte instrumentaire, la méthode qu’elles ne souhaitent pas voir utilisée par le juge, et maitrisent en cela le choix de la technique applicable. Les directives d’interprétation non impératives que sont les articles 1188 et suivants du Code civil ou encore certaines dispositions légales supplétives, peuvent être soustraites par les parties à l’interprétation judiciaire parce qu’elles ne sont pas d’ordre public. Par cette technique, les contractants neutralisent en amont, la méthode d’interprétation qu’elles ne veulent pas voir appliquer. Ils en fixent les règles à l’attention du juge, sans pour autant que cette méthode soit considérée comme un principe. Il se peut en effet que certaines exclusions présentent un risque de déséquilibre du contrat, perdant ainsi leur efficacité408. D’une part, la liberté d’écarter une méthode n’est pas totale, car il ne serait pas réaliste de pouvoir, par l’exclusion d’éléments fondamentaux, enfreindre les principes de l’interprétation. Une clause excluant par exemple le recours à l’article 1188 du Code civil ou à l’article 1191 ou encore en écartant l’intention réelle des parties, ne pourrait avoir d’effet ; « la volonté ne pouvant sciemment se contredire »409. D’autre part, il faut prendre en considération que certaines clauses d’exclusion ne peuvent être acceptées que dans la mesure où elles ne portent que sur des méthodes « supplétives », tels que le sont les usages. Les clauses excluant le recours à l’article 1194 du Code civil, plus particulièrement celle des suites que donne l’équité, ou de l’article 1190 du même code, qui concerne l’interprétation contre le stipulant ou encore l’article 1602 du Code civil relatif à l’interprétation contre le vendeur.

407 Cf., B. GELOT, Finalités et méthodes objectives d’interprétation des actes juridiques, op.

cit., n° 307, p. 169.

408 Cf., B. GELOT, Finalités et méthodes objectives d’interprétation des actes juridiques, op.

cit., n° 311, p. 171.

409 Cf., B. GELOT, Finalités et méthodes objectives d’interprétation des actes juridiques, op.

cit., n° 315, p. 173.

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128. Ce qu’il faut voir dans les clauses d’exclusion, c’est qu’elles sont l’expression concrète de la volonté des parties sur le sens de leur accord410 et doivent à ce titre être respectées sur le fondement du principe pacta sunt servanda. Au-delà, elles renseignent sur la qualification du contrat, comme peut l’être par exemple une clause d’exclusion des usages, laquelle par déduction dénonce expressément ce sur quoi les parties se sont accordées.

410 Cf., B. GELOT, Finalités et méthodes objectives d’interprétation des actes juridiques, op.

cit., n° 310, p. 170.

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