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Comparaison avec les galaxies à grand z

Si l’on entreprend de comparer les galaxies à bas et à grand z à travers le prisme Lyα, il apparaît qu’on observe parmi les premiers des densités de colonne manifes-tement plus élevées. IZw 18 et SBS 0335-052, ou du moins les régions de formation stellaire dans ces galaxies, affichent des pics de densité à NHI ∼ 0.9 − 3 × 1021

cm−2. Ces deux objets coïncident avec l’aile de grandes NHI dans la distribution de l’ensemble des systèmes DLAs observés dans le sondage SDSS (cf. Prochaska et al. 2005).

De plus, on compte très peu de galaxies distantes possédant une absorption Lyα aussi forte que IZw 18 ou SBS 0335-052. Par exemple, seulement 25% des galaxies de Shapley et al. (2003) montrent Lyα en absorption, et le spectre composite de ce quart de l’échantillon montre un profil plus étroit. Parmi les profils d’absorption les plus larges connus dans les LBGs à z > 3, on peut citer les galaxies amplifiées par lentille gravitationnelle MS 1512-cB58 et FORJ0332-3557 dont la largeur d’absorp-tion correspond à NHI ∼ 0.7 − 2.5 × 1021 cm−2 (Pettini et al. 2000; Cabanac et al. 2008). Mais mise à part cet aspect, les LBGs en général, et ces deux galaxies en particulier, se distinguent de IZw 18 à plus d’un titre. Les objets à forte absorption révèlent aussi une forte atténuation par la poussière4(E(B−V ) ∼ 0.169±0.006), et un taux de formation stellaire élevé (SFR corrigé de l’extinction ∼ 52 ± 5 M yr−1). Cette catégorie d’objets affiche de surcroît des vitesses d’expansion dans le MIS assez élevées (vexp = 100 − 300 km s−1). Pour finir notre comparatif, remarquons que IZw 18 est une galaxie de faible luminosité avec un très faible taux de formation stellaire

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E(B − V )⋆ se réfère à l’extinction du continu stellaire. L’extinction dans le gaz, qui est plus pertinente ici, est souvent presque deux fois supérieure (Calzetti et al. 2000)

SFR(UV) = 0.3 M yr−1 (Grimes et al. 2008), avec une luminosité UV 2 à 3 ordres de grandeur inférieure aux LBGs, une extinction modique (E(B − V ) <

∼ 0.05), ainsi qu’un MIS quasi-statique.

S’agissant des LBGs, Schaerer & Verhamme (2008) avaient établi que l’absorp-tion Lyα dans cB58 est principalement due à la présence d’une quantité relative-ment élevée de poussière et une grande densité de colonne, conditions suffisantes pour transformer une émission Lyα intrinsèque prédite en une forte absorption mal-gré la présence de cinématique dans le MIS (vexp ∼ 220 km s−1). Dans IZw 18, les effets géométriques ainsi qu’un milieu interstellaire statique opèrent le même genre transformation.

Nous proposons ici deux points essentiels qui réconcilient toutes ces observations et qui constituent les raisons principales de l’absorption Lyα dans les galaxies proches et lointaines. (1) En général le milieu interstellaire froid dans les LBGs possède une géométrie sphérique en expansion à des vitesses très élevées (vexp ∼ 100 − 300 km s−1) (cf. Shapley et al. 2003; Schaerer & Verhamme 2008; Verhamme et al. 2008). Dans ce cas, les facteurs importants qui gouvernent la sortie des photons Lyα sont NHI et τa. En particulier, il faut une grande quantité de poussière pour contrebalancer l’effet de la cinématique et atténuer efficacement l’émission Lyα. (2) Dans les galaxies de l’Univers local, en présence d’un milieu interstellaire statique, et d’une grande densité de colonne NHI, une petite quantité de poussière suffit à l’obtention d’une forte absorption Lyα. Les effets géométriques explorés dans ce travail peuvent également créer ou renforcer cette absorption Lyα.

En guise de synthèse, on peut attribuer la distinction entre le groupe (1) et (2) aux propriétés cinématiques du milieu interstellaire, c’est à dire aux vents galac-tiques, qui sont souvent associés à l’augmentation du SFR, de la masse de la galaxie, ou bien du SFR spécifique5 (Martin 2005; Rupke et al. 2005; Schwartz et al. 2006; Grimes et al. 2008). Physiquement, l’augmentation de la vitesse d’éjection du MIS est due à l’énergie mécanique libérée par les épisodes de formation stellaire intense dans la galaxie qui elle même augmente avec la masse et la luminosité. Alors à plus faible luminosité et plus faible formation stellaire (SFR), la rétroaction des étoiles sur le MIS est insuffisante pour initier des vents galactiques, et on observe plutôt un MIS quasi-statique comme dans IZw 18 et les objets semblables. Il reste encore à déterminer les processus physiques qui gouvernent la géométrie du MIS et créent de telles valeurs de NHI dans IZw 18 et autres objets proches.

4.4 Conclusion

Nous avons employé un code Monte Carlo de transfert radiatif Lyα MCLya pour modéliser des observations HST et expliquer quantitativement l’intrigante absorp-tion Lyα dans la galaxie IZw 18. Nous avons ensuite établi les raisons physiques de l’absorption Lyα, et la continuité entre les galaxies à petit et à grand z. Pour résumer :

• L’application du modèle de coquille sphérique au spectre intégré de la région NW de IZw 18 nous a permis de reproduire l’absorption Lyα observée avec

NHI = 6.5 × 1021 cm−2 et E(B − V ) = 0.05. A cause de la grande densité de colonne et d’un milieu interstellaire statique, même une forte émission Lyα intrinsèque (EWLyα = 200 Å) est transformée en une absorption. Dans ce cas de figure, la perte des photons Lyα n’est possible que par destruction par la poussière.

• Le second modèle à géométrie étendue (plan de Hi), motivé par les observa-tions radio, nous a permis d’obtenir le même ajustement du profil Lyα sans poussières (E(B − V ) = 0) et avec une densité de colonne plus faible (NHI

= 3 × 1021 cm−2), et ce en ne considérant que l’émission en direction de l’ob-servateur.

• Les variations spatiales du profil Lyα à travers la région NW sont reproduites par et attribuées aux effets transfert radiatif. Après simulation de la carte UV de la source, nous avons observé à différents endroits du nuage de Hi une variation, en accord avec les observations, de la largeur de l’absorption. Ceci s’explique par la diffusion des photons Lyα combinée à la variation spatiale de la source UV.

IZw 18 est loin d’être un cas isolé dans l’Univers local. D’autres galaxies abritant une formation stellaire intense, comme ii Zw 70, Mrk 36 et SBS 0335-052 affichent une forte absorption Lyα. Parallèlement, il s’avère que le milieu interstellaire est, dans toutes ces galaxies, proche d’un état statique. Visiblement ces objets possèdent aussi une très grande couverture de gaz neutre (NHI ∼ 10> 21 cm−2). L’absorption Lyα dans ces objets est vraisemblablement due aux mêmes effets que dans IZw 18, la diffusion résonante des photons Lyα dans un milieu diffusif statique et très dense qui confère à la poussière, même en très petite quantité, un pouvoir destructeur très efficace.

Quant aux LBGs et des LAEs à grand z, le chapitre précédent, ainsi que Schaerer & Verhamme (2008), nous ont appris qu’ils montraient des vents galactiques intenses (vexp ∼ 200 − 300 km s−1) et très similaires. Par conséquent, la transition entre émission et absorption Lyα est censément due à l’augmentation de NHI et de la quantité de poussière.

A la lumière de ces efforts de modélisation complémentaires, nous proposons une certaine synthèse hiérarchique des paramètres qui contrôlent la visibilité de la raie Lyα, que ce soit entre objets du même groupe, ou bien dans le cadre d’une continuité entre les galaxies à petit et à grand redshift. On peut affirmer que la transition entre émetteurs et absorbants Lyα dépend fortement de la poussière et de la densité de colonne NHI. Mais la présence de cinématique dans le milieu interstellaire rehausse la position de cette transition dans l’espace de ces paramètres, à savoir qu’il faudra une extinction et une NHI bien plus grandes pour espérer atténuer l’émission Lyα si le MIS est en expansion. N’oublions pas pour finir, d’une part les effets de ligne de visée qui peuvent accroître l’absorption, et d’autre part l’effet inverse que peut avoir une distribution inhomogène du gaz et de la poussière.

La dépendance de la visibilité de l’émission Lyα ainsi que son intensité discutées jusqu’ici, et les limitations inhérentes au modèle vont maintenant pouvoir être testés au moyen d’un échantillon statistique d’émetteurs Lyα. Le chapitre suivant constitue

une continuité naturelle à tout le travail mené jusqu’ici. On peut désormais examiner la physique Lyα dans une perspective cosmologique sur une échelle de redshift plus importante.

De la physique à l’astrophysique :

échantillon GALEX d’émetteurs Lyα

à z ∼ 0.3

L’heure est désormais à une pause rétrospective sur notre investigation du com-portement de la raie Lyα dans les milieux astrophysiques. Répit avant-courrier, par la même occasion, de l’importance du chapitre à suivre. Depuis l’ère de l’IUE à celle du HST, les observations en imagerie et spectroscopie des analogues proches des starbursts lointains ont éclairé d’une lumière nouvelle la situation inextricable dans laquelle se trouvait l’étude des émetteurs Lyα à grand redshift. Il me faut pré-ciser, à titre personnel, l’enthousiasme et l’avantage évidents de travailler au sein de l’équipe pionnière à prendre la mesure de l’importance d’une problématique qui ira crescendo durant plus de trois décennies, avec l’expérience et l’héritage scientifique subséquents.

Ce bref rappel historique ne doit pas pour autant occulter l’apport des modèles numériques à la compréhension du patchwork que constituent les paramètres inter-venant dans la visibilité de la raie Lyα. L’approche numérique que l’on vient de présenter apporte les bases d’une unification entre les propriétés des galaxies Lyα depuis le “voisinage” jusqu’au plus grand redshift, en identifiant les raisons profondes des principales différences observées.

Il en est des résultats observationnels comme des conclusions de l’investigation numérique. La portée des interprétations, et nous l’avons suffisamment allégué, est circonscrite, en premier lieu, par le nombre réduit de galaxies dans notre étude pilote qui confisque tout caractère statistique à cette approche. Difficile dans ce cas de prétendre à la moindre généralisation aux observations de l’Univers profond. D’autre part, si l’on doit émettre une réserve au sujet du modèle utilisé, ce serait sans doute l’absence d’une configuration multi-phase du milieu diffusif qui est susceptible d’altérer les résultats obtenus. Parallèlement à l’implémentation de cet ingrédient dans les simulations, une approche empirique fait également défaut, que ce soit à grand ou à petit redshift.

C’est à la faveur de ces interrogations que va émerger l’idée à la base du travail qui va conclure cette thèse et ouvrir de nouvelles perspectives. Le télescope spatial GALEX (Galaxy Evolution EXplorer ) a enfin offert des capacités de sondage dans

l’Univers local similaires à celles obtenues à grand z, grâce notamment à son large champ de vue et son instrumentation dédiée au domaine UV, ingrédients incon-tournables pour mener ce type de programme. Deharveng et al. (2008) ont alors publié le résultat de 96 émetteurs Lyα, spectroscopiquement identifiés à un redshift 0.2 <

∼ z ∼ 0.35, sur un champ total de 5.65 deg< 2. La possibilité d’un échantillon sta-tistique, avec des effets de sélection très bien maîtrisés, à un redshift suffisamment proche pour permettre leurs observations complémentaires, faisaient de ces objets une opportunité quasi-idéale pour répondre aux besoins énumérés ci-dessus. Après certaines discussions, principalement autour de la stratégie observationnelle, avec Jean-Michel Deharveng notamment, on décida de demander du temps de télescope à l’ESO afin d’acquérir des données spectroscopiques complémentaires pour la partie australe de l’échantillon.

La stratégie consistait, dans sa première partie, à obtenir des spectres sur tout le domaine optique afin de construire toutes les grandeurs relatives à la physique Lyα à savoir l’extinction nébulaire, la métallicité, et surtout la fraction d’échappement de Lyα. La seconde partie du programme visait une configuration instrumentale avec une très haute résolution spectrale afin de résoudre le doublet de Sodium Na i D, dont le profil est un bon traceur de la cinématique du gaz froid (Schwartz & Martin 2004; Schwartz et al. 2006). De cette façon, on aurait un ensemble statistique et cohérent de données empiriques sans précédent, avec des contraintes sur les paramètres les plus pertinents au regard de Lyα. Mais le temps d’observation requis est devenu assez important, avoisinant un “large programme”, selon les définitions de l’ESO, et le volet n’a pas été retenu pour cette fois-ci.

Il faut voir à travers ces considérations pratiques que la science en général, et l’as-trophysique en particulier, n’est pas seulement un engrenage d’idées et de réflexions destinées à appréhender les divers phénomènes observés. Dans le même ordre d’idées que la psychanalyse de la connaissance objective de Gaston Bachelard (Bachelard 1993), qui soulignait les obstacles affectifs à notre connaissance, il nous faut com-poser avec les contraintes matérielles qui ralentissent la progression de notre savoir en empêchant la réalisation d’une expérimentation, ou bien contraignant l’expéri-mentateur en question à adapter son approche de la problématique. On est ici au plus proche du caractère concret de notre pensée. Il serait complètement illusoire de croire que dans une quête phénoménologique on puisse faire abstraction -sans jeu de mots- des considérations et conditions expérimentales.

Cet entracte épistémologique nous introduit à l’alternative adoptée. Nous avons réorienté et restreint l’étude de la cinématique du gaz neutre à travers Na i D à deux galaxies pour commencer, avec l’avantage, d’une part, de choisir deux galaxies dont le reste des paramètres sont très bien cernés, Haro 11 et ESO 338-IG04, et d’autre part, d’avoir une information spatiale à l’aide de la spectroscopie multi-fibre du VLT (Very Large Telescope) que l’on comparera évidemment avec nos observations précédentes. Les observations sont programmées pour l’été 2009 sous l’identité 083.B-0470 (PI = M. Hayes)1. Cela constituera une étude pilote idéale qui, couplée à l’analyse du premier volet de notre programme, sera une très bonne motivation pour notre demande de temps pour l’ensemble de nos galaxies.

Mais revenons maintenant à notre programme accepté. C’est la matière

mière de ce chapitre dont nous allons présenter tout de suite les détails. Ce travail donne lieu à deux publications dans A&A (Atek et al. 2009c,a), auxquelles on se reportera pour une analyse plus détaillée que celle présentée ici. Dans le premier article, la première estimation empirique de la fraction d’échappement de Lyα statistiquement acceptable est présentée avec les implications sur les études Lyα par-ticulièrement à grand z. Le second article explore plus en détail les propriétés des LAEs à z ∼ 0.3 et plus généralement l’évolution des galaxies Lyα avec le redshift, insistant sur les raisons physiques de plusieurs tendances observationnelles.

5.1 Observations