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Comparaison des deux niveaux de tarification

Il a toujours existé plusieurs objectifs à la tarification dans le secteur ferroviaire : d’un côté refléter les coûts d’usage et couvrir le coût total, de l’autre permettre à chaque citoyen d’exercer son droit au transport. L’ouverture à la concurrence intramodale prochaine du secteur et la concurrence intermodale qui existe depuis le développement de l’automobile et du transport aérien ont conduit les pouvoirs publics à autoriser la SNCF à différencier ses tarifs suivant les dessertes et suivant les passagers, au détriment des objectifs d’égalité d’accès au service public intangibles dans d’autres industries (télécommunications, électricité). On peut résumer ce double objectif sous forme de tableau.

Tarification de l’infrastructure (amont)

Tarification de l’exploitation (aval)

Objectifs des pouvoirs publics Refléter les coûts (« signal prix ») Equilibre budgétaire

Assurer le droit au transport Adapter la tarification à la concurrence inter et intramodale

Stratégies des acteurs (RFF ou SNCF)

Couvrir les coûts fixes au maximum en utilisant un mark

up de Ramsey-Boiteux

Augmenter la recette moyenne par train, sous contrainte d’un tarif de vente maximum

Conséquences possibles Pour les sillons les plus demandés, les redevances peuvent être très élevées

Pour les trains les plus

demandés, la recette maximum est limitée par les plafonds tarifaires imposés par le service public

Tableau 7 : Les objectifs de la régulation tarifaire (modèle actuel)

On peut donc arriver à une situation paradoxale : exploiter les trains les plus demandés pourrait ne pas être rentable pour la SNCF alors même que les travaux économiques sur cette question (par exemple le mémoire de Dupuit en 1849) démontrent que c’est précisément la tarification élevée lorsque la demande est forte et solvable qui permet la couverture des coûts complets.

On pourrait en première approche penser qu’une limitation des redevances d’infrastructure - parallèle aux plafonds tarifaires imposés par la régulation des tarifs des billets – peut potentiellement

résoudre cette contradiction. Néanmoins, une telle limitation serait contradictoire avec l’objectif d’une rationalisation des comportements des entreprises ferroviaires via la mise en place d’un signal prix (les prix des sillons les plus demandés ne reflétant pas l’importance de la demande et les coûts de congestion associés). Cela remettrait également en question l’objectif d’équilibre budgétaire fixé depuis le rapport Nora (1967).

Dans le modèle de libéralisation proposé par la Commission européenne, la différenciation des services entre activités commerciales et service public permet de ne pas être confronté à cette difficulté.

Service Public Activité commerciale

Tarification infrastructure Tarification exploitation Tarification infrastructure Tarification exploitation Objectifs Informer les pouvoirs publics sur les coûts engendrés par le service Permettre l’accès aux citoyens Permettre la concurrence (Equilibre budgétaire) Assurer la rentabilité du service Stratégies des acteurs

Coût complet pris en charge par les pouvoirs publics, quelle que soit la forme de la tarification (voir

infra)

Définir un service public pertinent aux regards des coûts

Tarification au coût marginal (voir ajout d’un

mark-up Ramsey-

Boiteux)

Maximiser les recettes

Conséquences Existence de subventions pour le service ou l’infrastructure

Seules les activités rentables sont maintenues. Des subventions peuvent être versées à l’infrastructure si les bénéfices collectifs du mode de transport le justifient (en particulier le faible niveau de pollution)

Tableau 8 : Les objectifs de la régulation tarifaire (modèle communautaire)

Dans le cas des services publics, on se trouve finalement dans une situation assez proche de celle des transports urbains. La question de la tarification de l’infrastructure n’a pas réellement de pertinence

(doit-on tarifier au coût directement imputable ? au coût complet ?), car c’est en dernier lieu toujours la puissance publique qui paye :

 soit les redevances d’accès sont faibles (fixées au coût directement imputable) et la puissance publique doit donner une subvention au gestionnaire d’infrastructure pour qu’il couvre son déficit,

 soit les redevances d’accès sont fortes (fixées au coût complet) et l’opérateur ne pouvant influer sur la tarification des passagers (celle-ci ayant été fixée au préalable dans le contrat de service public), il doit être subventionné pour couvrir son déficit d’exploitation.

L’objectif de la tarification est, pour reprendre la formule de Julien (Dehornoy, 2009) d’envoyer un « signal coût » aux autorités organisatrices – et non un signal prix – pour les informer sur le coût complet du service qu’elles organisent.

Dans le transport urbain la question de la tarification de l’infrastructure ne se pose pas, car le secteur n’a pas besoin d’être verticalement séparé : il n’y a qu’un opérateur unique une fois l’appel d’offres passé263. On pourrait aller jusqu’à dire que la question de la tarification de l’infrastructure pour les services conventionnés ne se pose dans le secteur ferroviaire que parce qu’il existe des lignes à usage mixte (circulations conventionnées/circulations non conventionnées). On constate d’ailleurs que la directive 2012/34/UE ne donne pas d’indication concernant la tarification des services conventionnés. Dans ce cadre, la France a choisi de mettre en place une tarification binôme, comme expliqué supra, alors même que cette tarification serait non conforme à la directive 2012/34/UE si elle concernait les circulations non conventionnées.

Cette forte disparité dans les modes de tarification, de l’infrastructure comme des services de transport, entre les activités organisées sous forme de service public (pour lesquelles la concurrence est introduite via des appels d’offres) et les activités commerciales (pour laquelle une concurrence sur le marché est possible) nous conduit à l’interrogation suivante : comment déterminer les modes qui relèvent d’une catégorie ou de l’autre ? Nous aborderons des éléments de réponse à cette question dans notre prochaine partie.

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Plus précisément, il peut exister différents opérateurs si l’AOT a préféré allotir le service afin d’augmenter le nombre de concurrents pour les différents lots (on trouve ce cas au Royaume-Uni). Toutefois, cette présence d’entreprises multiples ne s’explique pas pour des raisons de concurrence ex post, mais par la volonté de l’AOT d’augmenter la pression concurrentielle ex ante.

La concurrence est une rude école et nous comprenons parfaitement que la SNCF veuille la supprimer, mais la tranquillité de la SNCF ne saurait s’identifier avec l’intérêt général

Maurice Allais, (1948, p.257)

Partie 3.

La concurrence en prix dans le secteur ferroviaire : Pourquoi le