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Comparaison avec le site de la Maison Blanche

À la sortie du site de l’Elysée, le 29 mars 2010, la presse n’a retenu qu’une chose : la

ressemblance du site avec celui de la Maison Blanche (whitehouse.gov) : mêmes codes

couleurs, même utilisation des capitales, même «rotateur» faisant défiler avec des photos

grand format les dernières actions du président, même pieds de page, bandeaux de navigation

très similaires, etc.

Une de nos hypothèses de départ disait que, même si le site elysée.fr semble s’inspirer

de près du site de la maison blanche, ces éléments ont été adoptés à cause de leur pertinence

objective et de façon presque inévitable. Nous disions en outre que, mis à part l’architecture

de la page d’accueil, la ressemblance était assez superficielle.

Les services de l’Elysée et le développeur du site confirment cette hypothèse : ils

expliquent que les sites institutionnels, que ce soit elysee.fr ou whitehouse.gov, répondent aux

mêmes problématiques et que quelques ressemblances, comme par exemple le logo au centre,

sont inévitables. Une fois passée la « home page », sur le fond, il existerait de nombreuses

différences.

Cependant, nous avons plusieurs raisons de penser le contraire. Nous allons donc

comparer les deux sites pour essayer d’aboutir à une conclusion.

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Les Etats-Unis montrent souvent l’exemple en termes d’usage des nouvelles

technologies et communication politique. Ce fut le cas avec l’utilisation de la télévision et des

medias par Kennedy, ce fut le cas avec l’utilisation d’internet par Obama.

Or, dire que l’Elysée a pris exemple sur la Maison Blanche pour construire son site est

un euphémisme. Nous allons passer en revue les points de ressemblance de la page d’accueil

des deux sites :

1- La perspective de la balustrade : L’Elysée a choisi pour son nouveau site un fond

blanc (plutôt grisé) avec, en perspective, la balustrade qui entoure la cour d’honneur du Palais

de l’Elysée. Il s’agit d’une technique graphique qui crée un effet visuel, élargit le page et

nous introduit à l’intérieur de la page.Cet effet visuel avait déjà été utilisé par le site de la

Maison Blanche.

2- Des logos à la même place : En haut et au centre de la page d’accueil. C’est très

réussi sur le site de l’Elysée. Sur le site de la Maison Blanche l’espace qui entoure le logo est

moins airé et moins clairement identifiable avec son Pays.

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3- Des « rotateurs » (headers) similaires. Le « header » de la Maison-Blanche est un

peu plus grand que celui de l’Elysée, mais la photo dans celui de l’Elysée occupe toute la

largeur de la page, c’est qui est visuellement plus attractif et moderne.

4- Des onglets similaires : Blanc sur fond bleu et en lettres capitales. Les deux sites

utilisent la même charte graphique. La Maison-Blanche compte sept onglets. L’Elysée en a

six.

5- Une même ergonomie : Design très similaire, informations de la page d’accueil

organisées en trois colonnes. Trois colonnes de même largeur :

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6- Les codes couleurs et la typographie des actualités est très similaire : Les titres en

bleu, les textes en gris. A décharge de l’Elysée on peut dire que les couleurs nationales sont

les mêmes (bleu, blanc, rouge ; dont la dernière est généralement à éviter en graphisme, car

trop « violent »); et que le gris est la couleur la plus appropriée pour écrire sur fond blanc.

7- Même formule « Restez connecté(e ) ». À la place de la formule traditionnelle

« Partagez les articles » pour inviter les internautes à diffuser les informations du site sur les

différents réseaux sociaux, l’Elysée.fr reprend la formule de la Maison Blanche « Stay

connected ».

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Voici les captures d’écran des deux sites soulignant l’ensemble des ressemblances :

On peut noter toutefois quelques différences en page d’accueil :

-Le « carrousel » tournant de l’Elysée, juste sous le « rotateur », est inexistant sur le

site de la Maison Blanche.

-Le menu déroulant des onglets supérieurs de la Maison Blanche, n’est pas déroulant

sur le site de l’Elysée, ce qui nuit un peu à la navigation.

-La « Médiathèque » de l’Elysée est à la place de « the photo of the day » de la

Maison Blanche-

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-Le contenu des trois colonnes est différent. Sur le site de l’Elysée on note quelques

doublons. Par exemple la rubrique « suivez les dossiers » apparaît trois fois sur la même

page : dans les onglets supérieurs, dans la colonne centrale et dans le menu de rappel en pied

de page. Le moteur de recherche apparait à deux endroits différents (voir page 67).

Après cette analyse, il apparait évident que, malgré quelques différences mineures, le

site de l’Elysée s’est volontairement et directement inspiré du site de la Maison Blanche.

Etait-ce évitable ? Nous pensons que oui. Certes, dans la mesure où il était question de faire

un très bon site et que le site de la Maison Blanche était objectivement très bien réussi (de

surcroît avec les mêmes couleurs de la République Française), il était peut-être « inévitable »

de s’en inspirer. Mais un autre site institutionnel développé aussi par Nexint nous fournit la

preuve en images qu’il était possible de s’en inspirer sans pour autant garder la même charte

graphique :

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Des différences plus profondes :

En surface, la similitude graphique de deux sites est troublante. Cependant, sous la

surface, on trouve des différences importantes.

La première différence est technique. Sur elysée.fr on retrouve des innovations qui ne

sont pas encore arrivées sur le site de la Maison Blanche, notamment l’indexation

automatique des discours. L’Elysée a aussi gagné la course pour développer une application

iPad avant la Maison Blanche.

Différences de style :

Sur le site de la maison Blanche il y a une multitude de personnes qui s’expriment. On

y vante les réalisations collectives d'une administration (avec des lois, des réformes, des

conséquences pour le citoyen américain). Le site de l’Elysée met l’accent sur l’action au jour

le jour d’un seul homme (ses déplacements passés, son agenda, ses discours), avec un style un

Une façon révolutionnaire de présenter l’information

Une autre différence notable est la manière qu’a l’Elysée de traiter les dossiers et les

actions du Président, avec un découpage en trois temps.

En interne, les services de l’Elysée surnomment ces dossiers d’informations les « big

fat stories ». Ce terme a été inventé par le site « Daily Beast » pour désigner leurs « cartes

mentales » ou « heuristiques » (mind map) pour présenter l’information. On peut supposer

que l’Elysée s’est inspiré de ce site pour concevoir leurs propres « big fat stories » :

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Dans la capture d’écran suivante, on peut voir un « big fat story » de l’Elysée

progressif en « J-1 ». Le jour « J », quasiment à temps réel, seront publiés les vidéos et les

discours, le jour « J+1 » seront publiées les mesures annoncées et les éventuelles suites de

l’action :

Les déplacements les plus importants du Président sont retracés de cette manière, dans

une mise en page très bien conçue, avec de documents permettant une mise en contexte du

déplacement, la publication du texte et de la vidéo de l’intervention (indexée

automatiquement) du Président, la publication d’un bref reportage avec les extraits les plus

saillants du déplacement.

L’exploit de l’Elysée a consisté à être le premier site en France à utiliser cette manière

de présenter l’information. Même les sites d’information français ne l’avaient pas fait

auparavant.

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Alain Joannes, dans un article sur les medias players, attribue à Médiapart

l’introduction en France de la « carte mentale ». Or, le site de l’Elysée l’avait déjà fait trois

mois à l’avance. Le site pure player l’a fait seulement en juillet 2010, à l’occasion de l’affaire

Bettencourt : « Quant à l'innovation (de Mediapart), elle apparaît dans la carte mentale (mind

mapping) de l'affaire en question (Bettencourt). Carte interactive qui n'est pas très originale

par rapport à ce que proposent quotidiennement les sites d'information américains et

britanniques mais qui, dans le pauvre contexte hexagonal, peut être saluée comme une

prouesse »

30

.

Selon Alain Joannes, la carte explique dix fois mieux qu’un texte la structure du

dossier exploré par les journalistes. Alain Joannes, qui ignore que l’Elysée a utilisé des cartes

mentales bien avant Mediapart, déclare : « Cette explicitation aurait pu être proposée par des

journaux imprimés sur papier ou par des chaînes de télévision: ils ne l’ont pas fait. Mediapart

l’a fait avec la supériorité du web: l’interactivité. Chaque point nodal de la carte renvoie d'un

clic à un article. C’est du rich media journalistique avec une image comme porte d’entrée

conduisant à des contenus textuels. L’infonaute choisit sa manière d’assimiler l’enquête »31.

Les cartes heuristiques appartiennent au champ des solutions « simplexes »,

« permettent de traiter très rapidement (…) des situations complexes, en tenant compte de

30

Alain Joannes, Mediapart: affirmation d'une "marque media" sur le web,

http://www.journalistiques.fr/post/2010/07/07/Mediapart%3A-affirmation-d-une-vraie-marque-media

31

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l’expérience passée et en anticipant l’avenir. Elles facilitent (…) la compréhension des

intentions d’autrui. Elles maintiennent ou privilégient le « sens ». De telles solutions ne

dénaturent pas la complexité du réel »

32

. Selon Wikipedia, les cartes heuristiques

33

(du grec

ancien εὑρίσκω, trouver), sont des diagrammes qui représentent des liens sémantiques entre

différentes idées ou des liens hiérarchiques entre différents concepts.

L’une des rares journalistes à avoir noté le caractère révolutionnaire de ce mélange

entre site d’information et site de communication institutionnel a été Caroline Deschamps, de

Public Sénat : « finalement la grande nouveauté, c’est que le nouveau site se démarque très

franchement du précédent (…) Elysée.fr, bien qu’institutionnel, ressemble à un site

d’infos…une manière peut-être détournée de courcircuiter les médias ? Reste à voir qu’elle

sera la réactivité de l’équipe web de l’Elysée face à un imprévu ou à une actualité chaude »

34

Fabrice Epelboin va plus loin dans ses soupçons : « la mission du site, faire la

“pédagogie de l’action présidentielle”, est parfaitement réussie, mais c’est aussi… quelque

peu dérangeant. Est-ce bien le rôle d’un chef d’Etat de réaliser ce qui aurait dû être

expérimenté par la presse, en termes de visualisation de l’information, depuis des lustres ? (il

parle ici de la carte mentale). Est-ce bien là une façon transparente de présenter

l’information ? Comment prétendre à l’objectivité quand ont livre à la fois la

contextualisation et la synthèse d’une information en pâture à une meute de journalistes qui

travaillent un chronomètre à la main ? »

35

Une fois passée la page d’accueil à du type Maison Blanche, et en dehors des pages

encyclopédiques institutionnelles, le site est conçu comme un nouveau média. Grâce à

l’importance qui est donnée à la partie écrite, il s’inscrit dans le temps long d’internet. Car

internet, contrairement à certaines idées reçues, se construit plus par sédimentation que par un

flux d’informations rapides. D’où l’importance que les vidéos soient bien expliquées par des

32

Alain Berthoz, La simplexité, Odile Jacob, 2009, p.17. Voir aussi : Pierre Nobis, « La carte

heuristique : une construction simplexe »,

http://documentation.spip.ac-rouen.fr/spip.php?article343

33

Ou mind map en anglais, carte des idées, schéma de pensée, carte mentale, arbre à idées ou

encore topogramme,

34

Caroline Deschamps, « Le site de l’Elysée fait sa mue », Public Senat

35

Fabrice Epelboin , « Elysée.fr : la partie immergée de l’iceberg », readwriteweb.com,

http://fr.readwriteweb.com/2010/03/30/a-la-une/elysefr-partie-immerge-de-liceberg/

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textes, et bien répertoriées et indexées. Parce que, « si publier en ligne est facile, exister en

ligne est plus exigeant. Il vous faut gagner la confiance de l’auditoire »

36

. Google agit comme

un gigantesque filtre qui fusionne autorité et popularité basées sur le nombre de liens de

références entrant et sortant d'un site. Ce système bâtit littéralement une réputation et une

notoriété a posteriori.

Les concepteurs d’elysee.fr ont compris que le web est un gigantesque espace,

hétérogène et en constante évolution. Il se compose des centaines de milliards de pages,

chacun peut publier ce qu’il souhaite quand il veut, les modes d’interaction y sont toujours

plus variés. Pour que l’information que l’on produit soit valorisée il faut qu’elle soit bien peu

« bulletin municipal ». On fait référence uniquement à Nicolas Sarkozy, sur les vidéos c’est

seulement Nicolas Sarkozy qui s’exprime (sauf dans quelques reportages où des personnes

« normales » parlent des actions de Nicolas Sarkozy) et non le gouvernement, sur les photos

c’est Nicolas Sarkozy qui apparait.

Cette manière de personnaliser et centraliser la communication, qui peut être

contreproductive, tient en partie à la place institutionnelle qu’occupe la Présidence de la

République en France et en partie au style particulier de Nicolas Sarkozy pour exercer ses

fonctions. Les noms des dossiers du site elysee.fr ressemblent à des noms des ministères :

Agriculture, Pêche et Ruralité, Culture, Défense, Développement durable, Diversité/Égalité de

chances, Économie, Éducation. Emploi/Travail, etc. Cependant, les contenus des dossiers sont

préparés par les conseiller élyséens concernés et non par les ministères.

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