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PARTIE II : A. VARIEGATUM ET A. HEBRAEUM, DEUX ESPECES POTENTIELLEMENT

2. INTERACTIONS INTERSPECIFIQUES ENTRE A. VARIEGATUM ET A. HEBRAEUM

2.2. Compétition et différence des traits d‟histoire de vie d‟A. variegatum et A. hebraeum

A. hebraeum

Dans un endroit donné, l‟espèce dominante, dite la « plus compétitive » est celle ayant notamment des traits de vie plus « adaptés » aux conditions du milieu : une meilleur fitness liée aux conditions environnementales, une meilleur capacité à coloniser des animaux indemnes, ou une plus faible sensibilité aux prédateurs ou pathogènes. La coexistence ou l‟exclusion des deux espèces localement et régionalement dépendent également de l‟existence ou non d‟une différenciation entre les deux espèces de leurs traits de vie, de leur capacité de dispersion et de colonisation de nouveaux territoires.

2.2.1. Influence du climat sur la fitness des deux espèces

Dans les conditions optimales de température et d‟humidité, les deux espèces montrent des paramètres de vie relativement semblables en termes de capacité de gorgement, d‟éclosion des œufs et de réalisation de la mue. Cependant, les femelles gorgées d‟A. hebraeum sont plus légères que les femelles gorgées d‟A. variegatum et pondent légèrement moins d‟œufs : Norval (1974) trouve que les

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femelles d‟A. hebraeum pondent en moyenne 14711 œufs (6366 – 18765 œufs, n=26 femelles) à 26°C et 90% d‟humidité relative, alors que Barré (1989) trouve que les femelles d‟A. variegatum pondent en moyenne 19961 œufs (16204 et 25644 œufs, n=13 femelles, données confirmées par Smith (1973) et Dipeolu & Ogunji (1980)).

La différence des traits d‟histoire de vie des deux espèces en fonction des conditions climatiques ont été présentés au chapitre II.2.1.2.

2.2.2. Capacité de dispersion des deux espèces

La capacité de dispersion des tiques est liée à celle de leurs hôtes car, dans l‟environnement, les tiques ne se déplacent que de quelques mètres au maximum (Barré 1989, Norval 1989). Les immatures peuvent être dispersés sur plusieurs milliers de kilomètres par les oiseaux migrateurs : des immatures d‟A. variegatum ont ainsi déjà été trouvés sur des oiseaux en Europe, alors que l‟espèce y est absente (Morel 1981). Les mouvements d‟animaux vivants, en particulier s‟ils ne sont pas traités contre les tiques avant leur exportation, est à l‟origine de transfert de tiques sur de longues distances. C‟est par ces mouvements d‟animaux que la tique A. variegatum a été introduite en Guadeloupe puis en Martinique, et à Madagascar (Barré & Uilenberg 2010).

Localement, la dispersion des tiques est liée à la taille de l‟habitat et la distance parcourue de leurs hôtes sauvages, et aux mouvements des animaux domestiques. La distance journalière parcourue par les bovins est fonction des habitudes locales, et de la disponibilité en pâtures et en eau. Ils peuvent ainsi parcourir jusqu‟à une dizaine de kilomètres par jour en saison sèche pour trouver un point d‟eau, alors qu‟ils ne parcourent que 2-3 km en saison des pluies. Des phénomènes de transhumance peuvent aussi exister selon les régions. La distance et la fréquence de dispersion des tiques est donc très spécifique à chaque région.

Puisque les deux tiques se nourrissent sur les mêmes hôtes, elles devraient avoir la même capacité intrinsèque de dispersion. Cependant ces possibilités de dispersion (distance, fréquence) sont fonction des conditions régnant dans les zones où les deux espèces sont présentes.

2.2.3. Aptitude à coloniser des animaux indemnes d’Amblyomma

La colonisation d‟animaux indemnes de tiques Amblyomma survient à deux occasions : lors de l‟introduction de tiques dans un nouveau territoire, ou lorsque les animaux ont été traités contre les tiques. Les larves des deux espèces ont une attitude dite passive de recherche d‟hôtes, attendant en haut des herbes le passage d‟un hôte. Leur capacité à coloniser de nouveaux hôtes est probablement similaire entre les deux espèces. Au contraire, les nymphes et les adultes sont en recherche dite active des hôtes. Les stimulus permettant l‟attraction des adultes vers les animaux indemnes ne sont pas

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complétement élucidés pour les deux espèces. Le CO2 émis par les hôtes permettrait l‟activation des adultes et des nymphes, qui se mettraient alors en mouvement en recherche d‟hôtes. Au contraire de ce qui se passe avec les nymphes, le CO2 ne serait pas suffisant pour orienter les adultes vers les hôtes, du moins pour A. hebraeum et les A. variegatum provenant du Zimbabwe et du Kenya (Norval 1987, 1988b, Norval et al. 1989, Norval et al. 1992a, Anderson et al. 1998, Maranga et al. 2003). En revanche, en Guadeloupe, Barré et al. (1997, 1998) observent une bonne attraction des adultes d‟A. variegatum vers les pièges à CO2. Cette différence de comportement entre les populations d‟A. variegatum présentes en Afrique et dans les Antilles pourrait s‟expliquer par une adaptation de ces dernières (ou sélection), améliorant leur capacité d‟invasion de nouveaux territoires. Pour les

A. hebraeum et A. variegatum africaines, d‟autres substances émises par les hôtes (odeurs, métabolites

du rumen, hormones…) interviendraient peut-être majoritairement pour orienter les tiques vers les hôtes non infestés (McMahon & Guérin 2000, Donzé et al. 2004).

D‟après la littérature, il est difficile de savoir s‟il existe une différence de capacité entre les deux espèces pour coloniser de nouveaux hôtes. Norval et al. (1992b) observent une légère différence de rapidité de la fixation des deux espèces sur des bovins indemnes, A. hebraeum étant le plus rapide. Sur moutons et lapins, la différence est plus marquée entre les deux espèces : alors que les mâles d‟A. hebraeum se fixent rapidement et en proportion élevée sur moutons et lapins indemnes, peu de mâles d‟A. variegatum se sont fixés. Cependant dans cette expérience, la différence d‟attractivité des hôtes indemnes n‟est pas testée sur les deux espèces, et on ignore si une des deux espèces est plus propice à infester rapidement les hôtes que l‟autre. A l‟inverse, les mâles d‟A. variegatum une fois fixés sur l‟hôte pourraient attirer plus rapidement les individus conspécifiques, car ils commencent à émettre les phéromones AAAP 3 jours plus tôt que les mâles d‟A. hebraeum (Rechav et al. 1977, Norval & Rechav 1979, Barré et al. 1998), ce qui pourrait leur donner un avantage dans la colonisation des hôtes, surtout si le traitement acaricide des animaux est régulier tous les 15 jours.

2.2.4. Sensibilité aux prédateurs et pathogènes

Comme nous l‟avons vu dans le chapitre I.1.6.2, l‟impact quantitatif des prédateurs et pathogènes sur les populations d‟A. variegatum et A. hebraeum est inconnu, même si la prédation est supposée induire une forte mortalité sur les stases gorgées. Les mentions disponibles sont le plus souvent des observations anecdotiques ou des études partielles testant la sensibilité d‟une des deux espèces aux prédateurs et pathogènes. Actuellement nous ne savons pas si les deux espèces présentent une même sensibilité aux prédateurs ou pathogènes, ou si une espèce peut être limitée par la présence d‟un prédateur - bien qu‟improbable, les prédateurs étant généralistes - ou un pathogène. Les interactions espèces-pathogènes sont le plus souvent spécifiques et il peut en effet être envisagé une différence de sensibilité entre les deux espèces. De plus, certaines espèces de tiques, dont A.

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prédateurs importants des tiques (Yoder et al. 1993, Pavis et al. 1994, Yoder & Domingus 2003). La substance secrétée par A. variegatum aurait également un effet antibactérien, notamment contre

Bacillus thuringiensis. La sécrétion d‟une telle substance par A. hebraeum n‟a pas été étudiée. Si les

sécrétions émises par les deux espèces induisent des effets protecteurs différents envers les fourmis ou autres prédateurs et bactéries, la survie d‟une espèce pourrait être supérieure à l‟autre, lui conférant ainsi un avantage compétitif.