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Deux communications différentes pour les deux rives du fleuve

Chapitre 1 : Le patrimoine Bastidien

IV- Deux communications différentes pour les deux rives du fleuve

La rive gauche de la Garonne, soit le centre historique de Bordeaux, est dotée d'un patrimoine exceptionnel et très varié. On y trouve des bâtiments datant de toutes les époques historiques et notamment du 18ème Siècle, âge d'or de Bordeaux. L'architecture est majestueuse, monumentale et chaque coin de rue réserve une surprise au visiteur curieux d'apprendre. Cette richesse patrimoniale a d'ailleurs fait l'objet d'un classement au Patrimoine Mondial de l'Unesco en Juin 2007. Cela est un atout incontestable pour la ville de Bordeaux qui le met en avant pour attirer les flux touristiques sur son territoire. En 2014, 5.8 millions de personnes ont visité Bordeaux, générant 926 millions d’euros de retombées économiques141.

La rive droite dispose, comme nous l'avons vu précédemment, d'un patrimoine incomparable à

141 LARTIGUE Stéphane, « Tourisme à Bordeaux, des chiffres record », Journal Sud-Ouest, 16/10/2015, consulté le

10/03/2016. En ligne : www.sudouest.fr/2015/15/16/bordeaux-des-chiffres-du-tourisme-records-des-retombées- économiques-importantes-2156988-2780-php

Page Facebook de la mairie de quartier de la Bastide : vidéo du maire-adjoint, Jérôme Siri. En ligne : www.facebook.com/QuartierLaBastideBordeaux/?fref=ts

Site internet de l’Office du Tourisme de Bordeaux, page d’accueil de la rubrique concernant le quartier de la Bastide. En ligne : www.bordeaux-tourisme.com

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celui de la rive gauche. La Bastide possède en effet d'un patrimoine diversifié mais moins classique dans la définition même de patrimoine. Les patrimoines naturels et industriels sont encore des notions assez novatrices, moins connues du grand public.

Ces différences fondatrices entre les deux rives impliquent évidemment une communication différente et adaptée aux spécificités de chacune.

La rive droite mise sur la nouveauté, l'aspect alternatif et écologique notamment par l'intermédiaire de l'écosystème Darwin tandis que la rive gauche met en avant le patrimoine monumental.

Rive gauche :

Ce qui est mis en avant dans cette communication est l'aspect historique de la ville avec les nombreux monuments dont elle dispose : la place de la Bourse, les sites archéologiques, le

Site internet de l’Office du Tourisme de Bordeaux : promotion de la rive gauche par la représentation du patrimoine monumental. En ligne : www.bordeaux-tourisme.com

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palais Rohan, la porte Cailhau...soit les symboles de la rive gauche.

Rive droite : l'exemple de Darwin

Darwin donne l'image d'un lieu jeune, dynamique et branché en accord avec le 21ème Siècle : écologie, street art, aspect urbain. Le site internet est moderne, fonctionnel et surtout très visuel.

Deux vues du site internet de l’Ecosystème Darwin : une communication moderne et visuelle. Issu du site internet de Darwin : darwincamp.fr

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On note en effet la présence d'un grand nombre de photographies sur les différentes pages du site internet. L'objectif est « d’accrocher » le visiteur par l'image. Darwin est, pour la rive droite, un fabuleux outil car il bénéficie d'une reconnaissance nationale voire même internationale et cela ne fait qu’accroître la visibilité de cette rive.

L'Office du tourisme de Bordeaux contribue aussi à donner cette image « alternative » de la rive droite avec la mise en valeur de sites atypiques, reflétant la Bastide et son caractère marginal, original.

Les trois sites mis en avant sur cette page du site internet de l'Office du tourisme de Bordeaux sont le Jardin Botanique, la Caserne Niel et Darwin ainsi que le Caillou, scène Jazz située au cœur du Jardin Botanique.

On constate donc une nette différence dans la manière de communiquer sur les deux rives de la Garonne mais aussi entre les structures œuvrant sur une même zone. Cela est à mettre en lien avec les fonctions des structures communicantes et leurs objectifs premiers. En effet, un office du tourisme va communiquer davantage sur l'intérêt patrimonial et touristique du territoire sur lequel il est implanté puisque sa mission est de valoriser l'existant pour tenter d'attirer le plus grand nombre de visiteur possible. A contrario, une association de défense du patrimoine par exemple va axer son action de valorisation sur le bâti et l’histoire spécifique à un type de lieu. La communication faite sur la Bastide reflète une image de ce territoire et elle est directement reliée à la notion d'identité. C'est d'ailleurs une des problématiques à laquelle nous nous sommes

Les lieux incontournables de la Bastide selon l’Office du Tourisme de Bordeaux : accentuation de l’aspect vert et alternatif de la rive droite. En ligne : www.bordeaux-tourisme.com

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intéressés dans le questionnaire que nous avons réalisé en ligne. 8/ Selon vous, ce quartier a-t-il une identité propre ? Si oui, laquelle ?

Sur 37 enquêtés, 25 pensent que le quartier de la Bastide a une identité propre. Cette identité peut se décliner en plusieurs axes :

- une identité historique, marquée par le passé industriel et portuaire du quartier

- une identité populaire, le quartier est perçu comme un faubourg, un petit village préservé - une identité construite en opposition à la rive gauche

- une identité évolutive : autrefois enclavée et mal vue, aujourd’hui ouverte aux changements et une fierté retrouvée

- une identité urbaine et culturelle

- une identité en construction, liée aux projets de réaménagement

- une identité « hipster, bobo écolo, bohème chic » reliée au projet Darwin

- une identité architecturale pour certains : les façades de l'Avenue Thiers, les échoppes typiques, le lion bleu de Veilhan sur la place Stalingrad, et le patrimoine industriel

Les personnes ayant répondu négativement à cette question (6 sur 37) affirment que le quartier serait un « melting pot urbain », « multiculturel » et donc que l'identité serait plurielle et hétérogène. Une personne parmi ces six n'associe pas d'identité particulière à la Bastide puisque

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selon elle, le quartier est neuf et la nouveauté ne serait pas synonyme d’identité. Six personnes sur 37 ne savent pas répondre à la question.

Cette question de l'identité est centrale. Par cette étude, on voit bien que la Bastide est un espace complexe ancré à la fois dans une identité temporelle (historique) et spatiale (géographique). Les considérations sociales apparaissent aussi dans la problématique identitaire : beaucoup associent le quartier de la Bastide à un type de population précis (populaire) et perçoivent cet espace comme un « village », un « faubourg ». Cela est dû à l'Histoire de ce quartier. La majorité des personnes ayant répondu au questionnaire sont originaires de la rive gauche (29 personnes sur 37) : on peut donc penser que cette vision de la Bastide est celle des habitants de la rive gauche. Dans le même temps, il est vrai que ce quartier est populaire et ouvrier142.

Pour Jérôme Siri, maire-adjoint au quartier de la Bastide, l'identité serait avant tout liée à l'histoire même du quartier :

« Probablement que le fait que la Bastide il y a 150 ans était Cenonaise et soit devenue

Bordelaise, ça crée un peu de cohésion entre les habitants qui se sont retrouvés un peu « blackboulés » même si ça n’a pas eu de grande métamorphoses pour eux dans le quotidien mais en attendant, ça a provoqué, je pense, un rassemblement des personnes entre elles. Et donc il y a une identité qui est relativement forte et qui, curieusement traverse le temps, assez facilement. 143»

Le fait que la Bastide ait cette position géographique particulière (de l'autre côté du fleuve) et son histoire participent donc à la création d'une identité forte.

On peut aussi relier la notion d'identité à celle de patrimoine. En effet, on remarque qu'à la Bastide, le patrimoine est « utilisé » comme des éléments identitaires forts. Par le biais de ces bâtiments atypiques (Darwin, la Caserne des pompiers de la Benauge, les usines...), la Bastide diffuse une image originale et marginale. C'est d'ailleurs pour cela que les institutions en charge de la promotion touristique et patrimoniale communiquent grâce à ces édifices particuliers. Jérôme Siri, maire-adjoint au quartier, dit à ce propos :

142VICTOIRE Emile, Sociologie de Bordeaux, Paris, Editions La Découverte, 2007, pages 6 et 7, 128 pages. 143Entretien avec Jérôme Siri, maire-adjoint au quartier de la Bastide, réalisé le 25 Février 2016

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« Baser la valeur du développement du quartier sur des valeurs patrimoniales et historiques, oui c’est une vrai volonté et moi ce que je cherche en plus, c’est faire en sorte qu’une entreprise, une industrie ou un commerce qui vienne s’installer puisse se valoriser grâce aux valeurs intrinsèques du lieu dans lequel ils arrivent. C’est ça qui est important. Une entreprise qui s’installe dans le Mégarama, dans la gare d’Orléans, il faut que dans son adresse, il y ait « Gare d’Orléans ». Une entreprise qui viendra s’installer dans la caserne des pompiers, la caserne de la Benauge quand elle sera réhabilitée, bien au-delà de 2020, il faudra qu’elle puisse venir tout de suite se valoriser, grâce à ce patrimoine architecturale et à cette identification super facile qu’on a de la caserne des pompiers. 144»

Il y a donc une véritable volonté de conserver ces édifices patrimoniaux pour qu'ils servent d'éléments identitaires associés à la Bastide. Comme ils sont atypiques, l’identification est aisée. De plus, lorsque nous abordons les problématiques liées à l'identité du quartier, nous devons obligatoirement évoquer les projets de réhabilitation en cours. En effet, la Bastide était jusque dans les années 2000 et même encore aujourd'hui, un territoire enclavé par sa situation géographique et stigmatisée par son rôle industriel. Ces nouveaux projets visent à redynamiser le territoire Bastidien et d'ici 2030, le quartier s’apprête à accueillir des milliers d'habitants en plus.

On peut penser que cela va bouleverser la nature même du quartier, cet esprit de solidarité si souvent évoqué. Peut-on alors parler de phénomène de gentrification 145?

Brigitte Lacombe, présidente de l'Association Histoire(s) de la Bastide, évoque ce phénomène de mutation sociale comme un élément très positif pour le quartier :

« Moi je n’ai pas du tout peur qu’il y ait des gens aisés, au contraire, ils vont amener de la richesse, ils vont nous sauver, les commerces d’ici vont marcher, c’est bien ! »

Jérôme Siri, maire-adjoint au quartier, semble partager le même point de vue :

144Entretiens avec Jérôme Siri, maire-adjoint au quartier de la Bastide, réalisé le 25 Février 2016

145Selon CLERVAL Anne, géographe, la gentrification désigne « une forme particulière d’embourgeoisement qui

concerne les quartiers populaires et passe par la transformation de l’habitat, voire de l’espace public et des commerces. Cette notion s’insère dans le champ de la ségrégation sociale et implique un changement dans la division sociale de l’espace intra-urbain, qui passe aussi par la transformation physique ». Définition issue du site internet hypergeo.eu, consulté le 15/05/2016. En ligne : www.hypergeo.eu/spip.php?article497

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« La richesse vient du mélange. Je pense que le communautarisme qu’il soit intellectuel, religieux, économique est mauvais. »

A l’heure actuelle, la gentrification ne semble pas inquiéter la Bastide même si elle semble inévitable. Au contraire, l’arrivée de nouveaux habitants d’ici 2030 grâce aux projets de réhabilitation et de construction de logement apparaît ici comme un phénomène très positif puisque cela apportera de la « richesse » comme le dit la présidente de l’Association Histoire(s) de la Bastide, un dynamisme nouveau. Cela est vu comme un renouveau positif pour le quartier. Pourtant, on connait l’impact que ces politiques de renouvellement urbain ont eu sur d’autres quartiers de Bordeaux (Mériadeck ou Saint-Pierre), c’est-à-dire de pousser les populations les plus pauvres toujours plus loin dans la ville car elles ne peuvent plus assumer les couts financiers de la location d’un logement. La conséquence sous-jacente à ce phénomène de gentrification est la stigmatiser de ces populations. Même si la requalification de l’espace apporte de nombreux bénéfices au territoire en question, il n’en demeure pas moins que les conséquences sociales sont tangibles et dépendantes de ces changements. La Bastide est donc fortement sujet à ce genre de phénomène et déjà, on ressent cette « boboisation » en marche lorsque l’on se balade dans les rues de la Bastide. Enfin, cela implique une transition entre les anciens habitants et les nouveaux arrivants et cela constitue un enjeu essentiel pour la réussite de ces nouveaux espaces. Jérôme Siri, maire-adjoint au quartier prône la démocratie participative pour amener à une transition la plus douce possible : engager les habitants dans ces nouveaux projets pour qu’ils soient acteurs de la construction du nouveau quartier. 146

Ce premier chapitre concernant le patrimoine de la Bastide et sa valorisation nous montre que la diversité de ce patrimoine est peu connue des Bordelais qui n’osent souvent pas s’aventurer sur la rive droite du fait d’une frontière psychologique persévérante entre les deux rives. Pour autant, les projets de réhabilitation ont l’avantage de mettre en avant cette rive en mutation et cela se ressent dans la promotion touristique de la Bastide. L’accent est mis sur le changement.

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Chapitre 2 : la réhabilitation du patrimoine industriel, un parti prit