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Chapitre 2 : Cadre conceptuel

2.3 La pratique réflexive interactionnelle en ligne

2.3.2 État de la recherche sur la pratique réflexive et l’interaction en ligne

2.3.2.3 La communication « un à plusieurs »

Ce type de communication est hybride en ce qu’il comprend un expéditeur mais plusieurs destinataires. La liste de diffusion et le blog en sont représentatifs. Toutefois, l’interaction que propose la liste de diffusion est semblable à celle du forum, ce qui la rapproche du type de communication « plusieurs à plusieurs ». Harrington et Hathaway (1994) se sont intéressés aux préjugés10 professionnels de 26 enseignants en formation initiale. Ils en concluent que la liste de diffusion permet de générer des préjugés mais que les participants n’étaient pas capables de les remettre en cause. Au contraire, les recherches de Whipp (2003 ; N=40), Piburn et Middleton (1997) et Heflich et Putney (2001 ; N=22) attribuent systématiquement des effets positifs de la liste de diffusion sur la pratique réflexive des enseignants en formation. Karsenti et al. (2002), dans une étude comparative du forum électronique et de la liste de diffusion en termes d’interactions de 1534 enseignants en formation initiale, ont d’ailleurs conclu que cette dernière permet des échanges plus soutenus, qu’ils attribuent à une plus grande facilité d’accès et d’utilisation.

Le blog propose un format d’interaction plus spécifique. En éducation, son aspect individuel en fait habituellement le « descendant » électronique direct du journal et du portfolio, à tel point que son aspect interactionnel est souvent négligé au profit d’une utilisation purement individuelle (ex. : Covert-Jenny, 2005). Dans cette perspective, ce n’est donc pas l’aspect interactionnel de l’outil qui prévaut mais son aspect scriptural. Par

10 La remise en cause de ses propres préjugés est une des finalités de la pratique réflexive, notamment dans

conséquent, il ne s’agit plus d’interaction réflexive mais bien d’écriture réflexive, soit « un outil de développement et d’affinement de la pensée par son caractère éminemment (auto)réflexif » (Vanhulle et Deum, 2006, p. 6-7). Pourtant le blog est également un outil interactif11. La communication qu’il établit est caractérisée par la prévalence de l’expéditeur sur les destinataires, ces derniers ayant les attributs d’un auditoire. Dès lors, le bloggeur a davantage un statut d’auteur que d’interlocuteur et la communication tient plutôt de la publication que de l’interaction (Soubrié, 2006). Le blog ne se limite donc pas à une version électronique du journal réflexif et semble représenter une innovation non négligeable pour la pratique réflexive. C’est ce qu’indiquent les analyses de contenu et les entrevues de Shoffner (2005 ; 2006) chez neuf étudiants en formation initiale. Dans son étude préliminaire de 56 enseignants en formation initiale, Hernandez-Ramos (2004) aboutit à des résultats plus mitigés. Il conclut notamment que l’aspect public des blogs peut être une source de motivation mais également d’inhibition, notamment pour les étudiants moins familiers d’Internet. Xie, Ke et Sharma (2008) se sont intéressés à l’effet des commentaires du blog sur la pratique réflexive de 44 étudiants. De façon inattendue, il en ressort que les blogs ayant reçu des commentaires se sont avérés moins réflexifs que les blogs n’en ayant pas reçu. Autrement dit, il semblerait ici que l’interaction des blogs soit contre-productive en termes de pratique réflexive. Deux raisons sont avancées par les auteurs pour expliquer ces résultats : le blog, utilisé en tant que e-journal réflexif, est une activité avant tout individuelle qui peut être perturbée par une intervention extérieure ; la qualité des commentaires (il s’agissait de commentaires de pairs) est susceptible de freiner la pratique réflexive. Enfin, West et al. (2006) se sont également heurtés à un certain nombre d’obstacles dans la promotion de la pratique réflexive par le blog auprès de 86 enseignants en formation initiale, bien qu’ils jugent l’expérience globalement positive. Ces auteurs distinguent trois obstacles particuliers : une intégration pédagogique du blog sans réelle fonction ni planification de la part des enseignants ; des difficultés techniques de la part des étudiants ; un manque de compréhension de l’exploitation épistémique du blog par les apprenants.

11 Précisons à cet effet qu’un blog peut être collectif, ce qui peut en faire une variante du forum (voir par

exemple Yang, S.-H. (2009). Using Blogs to Enhance Critical Reflection and Community of Practice.

Les quelques résultats que nous avons présentés ci-dessus sont parcellaires mais permettent de donner une vue d’ensemble des types de recherches qui ont été menés sur le rapport entre la pratique réflexive et l’interaction en ligne en éducation. À cet égard, quelques remarques générales peuvent être faites. D’abord, cet aspect-ci de la pratique réflexive semble donner lieu à des recherches empiriques récentes (une vingtaine d’années environ, si l’on en croit les premières études effectuées) dont il est difficile de dégager des résultats solides et corroborés. En effet, suite à la revue de littérature menée par Zhao et Rop (2001) sur 28 études traitant de 14 communautés éducatives virtuelles, dont six se réclament de la pratique réflexive, ces auteurs notent que malgré les attentes que les communautés éducatives virtuelles soulèvent en termes de pratique réflexive, « little is known about their effectiveness [of CMC] for teacher learning » (p. 12). Barnett (2002) tient le même discours dans sa recension de 24 études des années 1990 portant sur l’interaction en ligne en réseau. Il en conclut que malgré les préjugés favorables de la pratique réflexive et de l’interaction en ligne, « the research findings are mixed regarding the power of electronic networks to support reflection » (p. 11). De la recension de la littérature qu’ils présentent, Wade et al. (2008) concluent également que « despite the promise of CMD [Computer-Mediated Dialogue], research findings are mixed about whether it [forum] actually produces greater critically reflective thinking among prospective teachers » (p. 400).

Cependant, quelques tendances semblent se dessiner. D’abord, il paraît communément admis dans la littérature que la flexibilité temporelle (particulièrement pour la communication asynchrone) et spatiale de l’interaction en ligne représente un avantage en termes de pratique réflexive (Zhao et Rop, 2001). Des trois types de communication évoqués, la communication « plusieurs à plusieurs » parait à la fois le type le plus représenté et le plus positif vis-à-vis de la pratique réflexive, notamment de par son aspect collaboratif. Pourtant, les conclusions des revues de littérature de Zhao et Rop (2001), de Barnett (2002) et de Wade et al. (2008) ainsi que de certaines recherches citées ici nous invitent à la prudence. La communication « un à un » semble assez limitée dans la mesure où elle implique peu d’interactants, à quoi s’ajoute éventuellement une relation asymétrique (ex. : formateur et enseignant en formation), ce qui peut freiner l’interaction et la pratique

réflexive. La communication « un à plusieurs » est plus ambiguë : la liste de diffusion semble effectivement faciliter la pratique réflexive, au même titre que le forum, alors que le blog connaît des résultats beaucoup plus incertains. Étant donné la diversité d’instruments d’analyse mentionnés ci-dessus, il nous semble nécessaire d’esquisser dès la partie suivante ceux qui semblent les plus à même de rendre compte de la pratique réflexive