• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 : Cadre conceptuel

2.2 La pratique réflexive interactionnelle

2.2.3 Aboutissants et limites de la théorie vygotskienne pour la pratique réflexive interactionnelle

2.2.3.1 Aboutissants de la théorie vygotskienne

Rappelons que nous nous sommes limité à présenter les aspects de la théorie vygotskienne pertinents pour notre étude. Afin d’en dégager les aboutissants, commençons par reprendre les grands traits de la théorie vygotskienne, que nous proposons dans la Figure 1. Cette figure se découpe en trois losanges :

• Vygotsky (1962) pose que les fonctions mentales supérieures sont d’abord stimulées par l’interaction verbale, en tant que medium principal de l’interaction sociale (losange gauche), par l’étayage ;

• une fois que les fonctions mentales supérieures ont été stimulées dans l’interaction verbale, l’individu est alors en mesure de les internaliser afin de pouvoir les exploiter par la suite de façon autonome (losange droit) ;

• entre la stimulation des fonctions mentales supérieures dans l’interaction verbale et leur internalisation se trouve la zone proximale de développement (losange central) qui correspond aux fonctions mentales supérieures que l’individu a développées dans l’interaction verbale mais qu’il n’a pas encore internalisées.

Figure 1. Modélisation de la médiation sémiotique (Vygotsky, 1962).

En transposant la théorie de la médiation sémiotique sur la pratique réflexive, nous sommes donc amené à postuler que les situations d’interaction des enseignants-stagiaires sur leurs pratiques de stage forment des occasions de développement de leur pratique réflexive. Dans de telles situations d’interaction, la pratique réflexive se développerait dans l’interaction verbale entre un enseignant-stagiaire et son environnement humain et social avant qu’il ne se l’approprie individuellement au niveau cognitif. L’interaction verbale des enseignants-stagiaires sur leur pratique professionnelle (qui correspond au plan inter- psychologique) formerait une étape où l’enseignant-stagiaire, grâce à l’étayage qui lui est donné, dépasserait sa compréhension initiale de sa pratique professionnelle. Il générerait ainsi de nouvelles connaissances et développerait par là même sa pratique réflexive. Les nouvelles connaissances développées dans l’interaction seraient ensuite internalisées au

niveau intra-psychologique, ce qui permettrait alors à l’enseignant-stagiaire d’exercer sa pratique réflexive avec plus d’autonomie dans sa pratique professionnelle. Par le concept de médiation sémiotique, l’interaction verbale est donc convoquée comme un des « moteurs » possibles de développement de la pratique réflexive.

La Figure 2 donne une représentation visuelle du rapport entre l’interaction verbale et la pratique réflexive. En reprenant les apports théoriques de Vygotsky (1962), nous postulons que la pratique réflexive peut être stimulée au niveau inter-psychologique lorsque le praticien est engagé dans des activités d’interactions verbales avec ses pairs à propos de sa pratique professionnelle. La pratique réflexive ainsi stimulée serait ensuite internalisée au niveau intra-psychologique, ce qui permettrait à l’enseignant de la réinvestir en autonomie dans sa pratique. La zone proximale de développement, en tant que distance entre la pratique réflexive développée en collaboration et en autonomie, représenterait le lieu de développement de la pratique réflexive. Enfin, la relation intime qu’entretient la pratique réflexive avec l’action professionnelle nous invite à situer cette dernière comme le point de départ du processus réflexif.

Ainsi, le processus réflexif que nous présentons comprend une phase d’action professionnelle qui s’offrirait comme l’objet de réflexion sur lequel l’enseignant interagit avec ses pairs a posteriori, ce qui stimulerait sa pratique réflexive au niveau inter- psychologique. La pratique réflexive stimulée en collaboration serait internalisée au niveau intra-psychologique puis réinvestie en autonomie dans l’action professionnelle, qui s’offrirait de nouveau comme un objet de réflexion, etc. Le processus réflexif alternerait donc entre des étapes de pratique professionnelle, de retour réflexif en collaboration et de réinvestissement en autonomie. Parce qu’il ne s’applique qu’aux situations d’interaction, ce modèle nous invite à parler de pratique réflexive interactionnelle.

Figure 2. Modélisation de la pratique réflexive interactionnelle.

Si l’interaction est un « moteur » de co-construction de la pratique réflexive des enseignants-stagiaires, il est alors possible de penser qu’elle représente également un « indicateur » de ce processus. Dans cette lignée, Ohlson (1996) remarque que « abstract concepts, ideas and principles find their primary expression in cultural products, not in goal attainement. In particular, there is a deep connection between abstract knowledge and discourse » (p. 51). Le rapport entre cognition et discours paraît donc une avenue intéressante pour mieux comprendre la pratique réflexive en formation initiale. Dès lors, c’est donc dans les interactions verbales que l’on va chercher les manifestations discursives du processus réflexif. L’analyse des interactions verbales comme « traces » de co- construction des apprentissages forme déjà un objet de recherche dans les domaines de l’acquisition des langues étrangères (voir par exemple Matthey, 1996) et de l’acquisition de concepts scientifiques (voir par exemple Baker, 1994 ; 1996a et b ; Baker et Lund, 1997 ; De Vries, Lund et Baker, 2002).

La modélisation que nous proposons ci-dessus nous permet ainsi d’expliquer le rapport théorique entre la pratique réflexive et l’interaction verbale. À ce point-ci du texte, quelques précisions s’imposent : (1) d’abord, ce modèle se limite au cas où la pratique réflexive est mise en rapport avec l’interaction verbale. Autrement dit, il ne permet pas de préjuger de la pratique réflexive lorsqu’elle se déroule individuellement. À cet égard, les modèles théoriques présentés en partie 2.1.2 sont complémentaires à celui-ci dans la mesure où ils proposent un éclairage individuel du processus réflexif ; (2) ensuite, rappelons que ce modèle s’applique aux situations d’interaction entre professionnels. Transposé au contexte du stage d’enseignement, il s’agirait donc d’enseignants-stagiaires qui interagissent entre eux sur leurs pratiques professionnelles, ce qui impliquerait nécessairement qu’ils ne soient pas en train d’enseigner. Autrement dit, il s’agit d’une réflexion-sur-l’action (Schön, 1983). En revanche, ce modèle est invalide lorsque l’enseignant-stagiaire est en action (i.e. en train d’enseigner), puisqu’il serait alors isolé de ses collègues (sauf dans des situations exceptionnelles telles que le team-teaching), de sorte qu’aucune interaction entre eux ne pourrait avoir lieu. Par conséquent, dans le cas de la pratique réflexive enseignante, ce modèle couvre la réflexion-sur-l’action mais pas la réflexion-dans-l’action (Schön, 1983).

Le Tableau II permet de mieux situer le contexte où s’applique la pratique réflexive interactionnelle. Il représente différents contextes d’application de la pratique réflexive, critériés par le nombre (collectif vs individuel) et le rapport à l’action (pendant ou après l’action). Au regard de ces deux paramètres, la pratique réflexive interactionnelle prendrait place dans un contexte de réflexion collective et ultérieure à l’action.

Tableau II

Place de la pratique réflexive interactionnelle

Le modèle de pratique réflexive interactionnelle permet de théoriser, ne serait-ce que provisoirement, le rapport entre l’interaction verbale et la pratique réflexive. Si la théorie vygotskienne fournit un apport intéressant, son application à notre étude engendre cependant des limites, que nous précisons dans la partie suivante.