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4.1 Les paradoxes, dilemmes et incongruités en tant que manifestations de la

4.1.3 Une communauté marquée par des appartenances multiples : le

Lorsqu’Engeström définit ce qu’il entend par « communauté » dans le système d’activité, il fait référence aux individus qui partagent un intérêt dans l’activité ou qui l’influencent, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’organisation. Dans notre cas, cette communauté est formée par les enseignants et leurs collègues, à la fois du côté de l’enseignement que du côté des services qui y sont associés au sein de l’Université, dont la finalité concerne l’apprentissage des étudiants et l’avancement des connaissances. La communauté inclut donc des acteurs ayant différents points de vue et intérêts.

De plus en plus, la visée des enseignants ne peut pas s’accomplir sans des interactions qui s’étendent à l’extérieur des murs de l’institution. En effet, on assiste à la

multiplication de programmes d’études conjoints entre plusieurs universités et à l’ouverture des cours à des étudiants « délocalisés » partout dans le monde.

Les universités tissent des liens non seulement avec d’autres institutions d’enseignement, mais aussi avec le monde corporatif, l’industrie, les organisations gouvernementales, les ONG, les groupes communautaires, formant ainsi des réseaux d’acteurs qui traversent les frontières de l’organisation (Slaughter et Rhoades, 2004).

Nous avons vu plus tôt que critères d’embauche et de promotion des professeurs- chercheurs sont fortement liés à leurs activités scientifiques (recherche, publication, développement de la discipline), qui par définition, s’effectuent au sein d’une communauté rassemblée autour d’une problématique et d’intérêts. Cela fait en sorte que l’allégeance des professeurs aille d’abord à leur discipline, avant d’aller à l’institution d’enseignement qui les emploie :

For the academic, both status and job security are dependent less on their current university and more on the “invisible college” of academics in the same or cognate disciplines at other institutions (Pollock et Cornford, 2004 p. 37). Ainsi, cette double appartenance à l’institution qui les embauche et à la discipline peut donner lieu à certains dilemmes auxquels font face les enseignants. D’une part, leur salaire provient de leur université d’attache, mais les subventions de recherche et autres paramètres structurant leurs activités excèdent le cadre institutionnel :

Le déroulement des carrières, et toutes les marques de reconnaissance scientifique qui le conditionnent, dépendent de la communauté des pairs, qui ne saurait évidemment se restreindre à l’espace de l’établissement (Gueissaz, 1999 p. 19).

Les professeurs-chercheurs font partie de réseaux internationaux qui deviennent plus importants pour eux que leurs liens départementaux ou institutionnels :

Scientific work in this networked setting has more in common with an ecosystem than with a corporation. Knowledge work is not based on a top- down command-and-control hierarchy. In this complex system, scientists

combine and recombine in research teams based not on academic discipline or institutional affiliation or geographic location but on the unique requirements of the problems they want to address (Staley et Trinkle, 2011).

L’exemple suivant illustre bien la complexité des rapports entre l’enseignant- chercheur, son institution et sa discipline:

(…) the university’s best-known and most important professors are usually rewarded with reduced teaching loads, especially at the undergraduate level (Ritzer, 2006 p. 29).

Plus l’enseignant-chercheur est reconnu, plus les incitatifs sont puissants pour qu’il s’éloigne de son université et par le fait même, de l’enseignement. Son institution d’attache a peu de moyens à sa disposition pour le motiver à garder un contact avec les étudiants qui en sont aux débuts de leurs parcours universitaires. Plusieurs étudiants n’entameront jamais de programmes de maîtrise ou de doctorat et auront donc moins d’occasions de pouvoir bénéficier de l’expertise des enseignants qui préfèrent enseigner des séminaires aux cycles supérieurs et/ou se concentrer sur des activités de recherche telles que des colloques, des projets à l’étranger, des partenariats internationaux, etc. Les enseignants perçoivent une grande dévalorisation de l’enseignement au premier cycle et de toutes les activités qui s’y rattachent, comme la disponibilité aux étudiants, comme si « l’enseignement était un mal nécessaire » (Dyke, 2006 p. 38). Les développeurs remarquent également cette tension :

Y'a des professeurs qui n'aiment pas faire de la recherche (…) Par contre, y'en a d'autres qui sont faits pour ça. Ils aiment la recherche. Ils vont chercher des fonds, des intervenants, ils prennent leur valise à 5 heures, puis à 11 heures ils sont rendus au Mexique ou en France, pis ça grouille, pis ils reviennent et ils repartent et leur vie est comme ça : ce sont des chercheurs. Mais ça m'a déçu de voir qu'ils abandonnaient la réalité d'être avec des étudiants et tout ça [Développeur 1, mai 2009].

Puisque les professeurs-chercheurs doivent répartir leur temps entre leurs activités d’enseignement, de recherche et de services à la collectivité, ils sentent souvent une

pression occasionnée par le manque de temps. D’ailleurs, une étude portant sur l’évolution du travail professoral au sein des universités québécoises a révélé que 72% des professeurs en début de carrière estiment ne pas avoir suffisamment de temps à consacrer à leur perfectionnement professionnel (Bertrand, 2004). Non seulement l’apprentissage d’une nouvelle technologie demande du temps, mais les efforts doivent ensuite être maintenus pour alimenter et animer l’espace de cours en ligne:

J'ai pas vraiment le temps d'y consacrer 3-4 jours dans la semaine, car comme vous le savez, l'enseignement c'est juste une partie de la tâche du professeur, il faut faire des demandes de subventions, tu publies des livres, tu diriges des groupes de recherche, il faut que tu fasses du service à la collectivité, alors, on manque de temps. Si on avait, comme au collège ou au secondaire, juste l'enseignement, ça pourrait toujours aller, mais malheureusement ce n'est pas le cas [Professeure et directrice de programmes 16, juin 2009].

Nous pourrions également évoquer ici les liens entre les activités de recherche et les intérêts du secteur privé, puisque de plus en plus, les enseignants-chercheurs se doivent de développer des partenariats leur permettant d’obtenir les fonds nécessaires à la conduite de leurs recherches, étant donné que les subventions des organismes publics sont bien souvent insuffisantes. Toutefois, nous ne nous attarderons pas davantage sur ce point qui mériterait à lui seul un projet de recherche complet. Pour les fins de notre propos, mentionnons simplement qu’il s’agit d’un autre exemple illustrant la dislocation des formes institutionnelles traditionnelles au profit d’un réseau distribué qui forme l’écosystème dans lequel œuvrent les enseignants- chercheurs.

Un contexte similaire prévaut du côté des enseignants qui ne conduisent pas d’activités de recherche. Prenons l’exemple de plusieurs chargés de cours qui entretiennent un lien serré avec le milieu professionnel, portant ainsi tour à tour les chapeaux professionnels et disciplinaires. D’une part, c’est souvent leur expérience professionnelle qui leur permet d’asseoir leur légitimité dans le monde académique. Et d’autre part, le fait d’œuvrer en milieu universitaire leur donne accès à un champ

d’action et des ressources différentes. Des tensions marquent ce rapport entre le pôle « discipline » et le pôle « professionnel ». L’historien Julien Prud’homme, qui a étudié ces dynamiques au sein de certains départements universitaires québécois a d’ailleurs soulevé la difficulté pour certains enseignants qui gardent un rapport à la profession de réussir à « se fondre à l’espace académique » (Prud'homme, 2009).

Si on considère que l’activité des enseignants est médiée par les outils, lorsqu’on étudie leurs usages de ces derniers, il importe de tenir compte des appartenances multiples des enseignants et du décloisonnement grandissant de leurs activités, qui créent de nouveaux besoins.

4.1.4 La division du travail: collaborer dans une culture organisationnelle