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En ce qui concerne le commanditaire, comme son nom l’indique, son activité est caractérisée par la commande : « les peintres actifs, dès qu’ils acquièrent un certain renom, travaillent exclusivement sur commande » (Pomian 1987 : 131). L’artiste qui travaille pour un commanditaire est celui qui a réussi à se faire connaître hors du cercle social de son mécène et pour qui la reconnaissance de son travail est assez répandue pour lui permettre de vivre, à son compte, de commandes (Haskell 1991 :20). Ces commandes sont usuellement pour des bâtiments publics, la plupart du temps des bâtiments religieux, et peuvent être d’une envergure importante, telles que des fresques ou des retables (Haskell 1991 : 20-21). Les ordres religieux, ou les personnages importants de l’Église sont parmi les plus grands commanditaires. Des œuvres profanes sont aussi commandées pour les demeures privées (Baxandall 1972; Haskell 1991). Le contrat n’est pas toujours présent, cela dépend plutôt de l’importance de la commande (Haskell 1991 : 25). Tout comme pour le mécène, l’un des aspects incontournables concernant le contrat a trait à la qualité de la couleur (Baxandall 1972 : 8). Cet élément laisse transparaitre une allusion sociale aux couleurs employées ainsi qu’à la qualité de ces dernières (Baxandall 1972 : 11). Il nous apparaît donc que cet aspect particulier de la peinture participe activement au caractère ostentatoire que cette dernière a à l’égard de son commanditaire. Cet accord de fait entre le commanditaire et l’artiste touche aussi les questions relatives aux mesures et à l’emplacement de l’œuvre, au sujet, au délai d’exécution et, bien sûr, au prix. À l’égard du thème de l’œuvre, il nous faut noter que, tout comme pour le mécène, une esquisse à l’huile (modello) ou un dessin

préliminaire peuvent être exigés (Haskell 1991 : 29). Le prix, quant à lui, inclut les clauses relatives à l’habitation, aux repas et à l’équipement nécessaire pour l’accomplissement de l’œuvre (Haskell 1991 : 31). Le rôle du commanditaire est très similaire à celui du mécène. Par contre, les conditions nécessaires pour être le mécène d’un artiste, soit de l’inviter à vivre dans son palais, de le payer sur une base régulière, de lui fournir repas et équipement, requièrent une fortune considérable; cela n’est évidemment pas à la portée de tous. La différence majeure entre le mécène et le commanditaire est la durée de la relation. L’artiste fait partie de la « famiglia » du mécène, tandis qu’il est, pour le commanditaire, un individu à qui l’on confie la création d’une œuvre, la relation se terminant une fois l’œuvre complétée (Haskell 1991 : 24-25). Les similitudes entre la figure du mécène et celle du commanditaire sont nombreuses. Les motivations, par exemple, sont souvent les mêmes. Ce qui diffère fondamentalement est plutôt de l’ordre des sujets et de la pérennité de la relation. La particularité commune du mécène et du commanditaire est qu’ils ont modifié la pratique des siècles antérieurs à l’égard de la création artistique. Pour la première fois, l’artiste créé suivant un contact direct avec un client; avec des instructions précises quant à la taille et au sujet d’une œuvre (Haskell 1991 : 34). Leur relation et leur rapport sont ainsi établis et reconnus (Haskell 1991 : 34).

Ce dont nous avons discuté jusqu’à présent démontre que le statut de l’artiste change. Il n’est plus un simple artisan pratiquant une fonction mécanique, mais bel et bien un artiste en mesure de créer un bien auquel on confère un haut prestige symbolique à l’égard du pouvoir et de la richesse, en plus de participer à la décoration des palais privés et des églises. Nous observerons maintenant un aspect qui laisse transparaître cette transformation, soit le changement d’importance accordé à la matérialité de l’œuvre au profil de la main de l’artiste.

Au cours du 15ème siècle, les clients de l’artiste semblent avoir été moins prompts à afficher

leur opulence publiquement (Baxandall 1972 : 14). L’intérêt qu’ils ont porté aux couleurs et à la matérialité de l’œuvre est alors remplacé par l’habileté de celui qui peint (Baxandall 1972 : 14). Pour illustrer ceci, Baxandall utilise l’exemple de l’argent, ou plutôt explique comment on calcule la valeur d’une œuvre commandée. La distinction entre la valeur des matériaux précieux, d’une part, et de l’autre, l’habileté de leur maniement, peut nous sembler quelque peu étrange. Pourtant, durant la Renaissance la dichotomie entre qualité de matériaux et qualité d’exécution est au

centre de la discussion sur l’art (Baxandall 1972 : 16). Un exemple indicatif de cela est

There are painters who use gold in their pictures, because they think it gives them majesty : I do not praise this. Even if you were painting Virgil’s Dido – with her gold quiver, her gold hair fastened with a gold clasp, purple dress with a gold girdle, the reins and all her horse’s trappings of gold – even then I would not want you to use any gold, because to represent the glitter of gold with plain colors brings the craftsman more admiration and praise.

Lorsque Alberti prescrit l’utilisation de couleur plutôt que de l’or véritable, celui-ci indique qu’il est du devoir d’un « bon » artiste de faire preuve de son habileté; donc, de ne pas se satisfaire uniquement du matériau employé. Pour le client sagace, une autre façon de s’assurer que son argent est judicieusement dépensé en termes d’habileté est de discerner les sommes relatives au paiement d’un maître par rapport à celles d’un assistant (Baxandall 1972 : 18-19). Ceci est aussi indicatif de l’évolution du statut de l’artiste puisque le maître est payé plus chèrement que l’assistant (Baxandall 1972 : 19). Dès lors, on lui reconnaît d’emblée un talent digne de paiement. Par ailleurs, l’entente entre le payeur et l’artiste stipule clairement les éléments qui doivent être peints par le maître, les figures étant considérées plus importantes que l’architecture ou le paysage de l’arrière-plan (Baxandall 1972 : 22). Vers la fin du 15ème siècle il y a suffisamment de

clients préférant démontrer leur opulence par l’achat de l’habileté plutôt que par la matérialité pour permettre une compréhension plus articulée de l’individualité d’un peintre (Baxandall 1972 : 23). Son statut est définitivement changé, pour le mieux, à la fin du siècle et ce, en bonne partie par le soutien accordé per le mécène et le commanditaire.