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Chapitre I Cadre méthodologique : présentation des choix opérés et des gestes scientifiques posés

II- E XPLORATIONS THEORIQUES PREALABLES ET ETAT DES CONNAISSANCES

3. L’acquisition du site par le Conservatoire du littoral 1998

3.2. Réseau des Grands Sites de France : la dernière protection depuis 2011

3.2.3 Collaborer avec tous les acteurs du territoire

Pour répondre à tous les critères d’éligibilité en vue de la labellisation, un dernier critère doit être envisagé, celui qui vise à promouvoir la collaboration avec les acteurs économiques et sociaux du territoire. Cette exigence, soumise aux logiques du développement durable, demande de trouver des partenaires économiques dans la région, qui sont, dans le cas présent, majoritairement des viticulteurs, considérant le paysage en

coteaux du vignoble de l’A.O.C.24 Banyuls-Collioure. Cette collaboration entre la collectivité territoriale gestionnaire et les acteurs économiques du territoire a pour fin, premièrement, de tirer l’économie du territoire vers le haut, deuxièmement, de penser en termes de « Grand Paysage », et d’esthétiser ce dernier en vue de satisfaire aux attentes des visiteurs potentiels.

a. Économie locale et logique du développement durable

Avant 2011, les acteurs économiques locaux n’avaient pas de lien de collaboration avec le Conseil Général rattaché directement à la gestion du site de Paulilles. Ce nouveau défi, qui consiste à travailler à l’échelle d’un territoire plus large que le périmètre du site classé de 32 hectares, pousse le Conseil Général à intervenir auprès d’acteurs nouveaux, avec qui il n’a pas l’habitude de collaborer :

Il faut qu’on travaille à l’échelle d’un territoire beaucoup plus large parce que le but (…) c’est d’avoir un rayonnement le plus large possible et de faire vivre toute l’économie d’un territoire et de tirer toute la vie d’un territoire vers le haut en terme de qualité. C’est-à-dire qu’on vise pas l’excellence pour notre propre gestion, on vise l’excellence pour tout le monde autour, pour tous les acteurs économiques. (Philippe Jacquet, chef du pôle aménagement et gestion des sites au Conseil Général des P-.O)

Ce discours de gouvernance est également nouveau, et s’adapte à l’exigibilité des critères du développement durable requis par le ministère de l’écologie. La question du développement économique du canton a été évacuée pendant de nombreuses années, afin de concentrer tous les efforts à la réalisation du projet de réhabilitation. De plus, cette question économique était implicitement liée à la rationalité d’urbanisation et de « balnéarisation » du territoire, rappelant la malencontreuse affaire du « Port Méry ». À présent, à travers un nouveau discours établi par le ministère de l’écologie, le développement économique s’inscrit dans une logique durable et devient acceptable, car non menaçant pour la préservation du littoral. Ainsi, une nouvelle politique de tourisme durable peut être légitimement énoncée, sous le principe que « tout le monde y gagne en termes d’image » :

24 A.O.C. : Appellation d’Origine Contrôlée est un label français qui détermine l’origine de la fabrication d’un

Et tout le monde y gagne! Les visiteurs y gagnent parce qu’ils vont arriver dans un territoire où y’a des labels sur le logement, sur toutes les structures d’hébergement, sur la restauration, sur les lobbies du tourismes etc., qui seront beaucoup plus au top en termes de renseignement, d’accueil enfin voilà quoi! (Philippe Jacquet, chef du pôle aménagement et gestion des sites au Conseil Général des P-.O)

Cette nouvelle logique, certifiant un tourisme de qualité au moyen des labels d’excellence, indique la mutation économique actuelle qui se produit au sein des territoires protégés. La valorisation économique se fait à présent en termes de rayonnement et de labellisation. Il est intéressant de soulever le fait que, à l’analyse des résultats ici collectés, l’économie d’un territoire ne se chiffre plus en fonction d’un nombre d’emplois, mais s’évalue en termes d’image. Ce tournant soulève de nombreuses questions sur les futures retombées économiques et sociales de ces nouvelles démarches de gestion territoriale.

Ce travail avec les acteurs locaux et économiques du territoire se fait en particulier avec les viticulteurs, parce qu’ils sont les propriétaires des vignes en terrasses qui surplombent la baie de Paulilles. La valeur patrimoniale de l’ensemble du paysage doit être préservée, afin de pérenniser la beauté de l’anse de Paulilles. La maîtrise du paysage passe donc par la volonté des acteurs économique de préserver leur patrimoine paysager, et dans le cas précis des viticulteurs, il est important qu’ils puissent vendre leur production de vin qui, elle aussi, est menacée :

Donc, c’est ça, aujourd’hui, pour moi le vrai enjeu il est là, dans le sens où, sur les 32 hectares y’a un propriétaire, le Conservatoire, y’a un gestionnaire, le Conseil Général. On a des projets, on les fera, on est maître d’ouvrage, on connaît, on le fera, on maîtrise. Autour on maîtrise moins, autour c’est beaucoup plus compliqué, y’a une multitude de maîtrise de base, y’a un multi secteur et c’est beaucoup plus lourd le travail qu’il y a à faire et donc pour préserver (Philippe Jacquet, chef du pôle aménagement et gestion des sites au Conseil Général des P-.O)

Le nouvel enjeu est de préserver le paysage au-delà des 32 hectares du site classé. Le Conseil Général doit donc sortir de son périmètre pour intervenir dans la gestion du travail des viticulteurs, ce qui n’est pas toujours reçu par ces derniers comme une aide dénuée de sens stratégique. Pendant mon enquête de terrain, j’ai eu l’occasion de discuter avec des viticulteurs qui me disaient avoir eu leur lot de contraintes imposées par l’état, et que cette nouvelle gouvernance que s’arrogeait le Conseil Général ne faisait que mettre davantage de pression sur leur calendrier déjà serré. Je n’ai pas mené d’entretien avec ces viticulteurs, dans le cadre de cette recherche de doctorat, mais il est certain que ces nouveaux enjeux

esquissent des recherches à venir, qui pourraient évaluer les retombées de cette politique de développement durable sur le territoire de Paulilles.

b. Mettre en place une nouvelle gouvernance

Le prochain défi, pour le gestionnaire du « Grand Site de l’anse de Paulilles », est de mettre en place une nouvelle gouvernance et de trouver une nouvelle légitimité, afin de favoriser une collaboration optimale avec les acteurs économiques du territoire, qui sont majoritairement des viticulteurs. Mais jusqu’à quel point ces derniers sont-ils prêts à s’impliquer? Vont-ils jouer le jeu? Dans quelle mesure la construction de cette nouvelle légitimité de la part du gestionnaire ne va-t-elle pas être interprétée comme une ingérence dans le travail au quotidien des viticulteurs? Il est important de rappeler que le réseau des Grands Sites n’apporte pas de subventions aux viticulteurs; il permet seulement de consolider l’image du patrimoine paysager de l’anse et de garder le site de Paulilles comme le cœur battant de la protection du territoire :

Donc y’a vraiment une vraie gouvernance à mettre en place à une échelle beaucoup plus large et là c’est pas le Conseil Général qui est maître d’ouvrage de tout quoi! (…) Et ce grand paysage, si faute d’entretien, il venait à disparaître euh… Paulilles ne serait plus Paulilles quoi! (Philippe Jacquet, chef du pôle aménagement et gestion des sites au Conseil Général des P-.O)

Roland Gallina appuie cette vision, mais aborde la crainte que le site souffre de son isolement, s’il reste confiné à son périmètre de 32 hectares. Il sait que la démarche à mettre en place pour trouver une nouvelle légitimité n’est pas encore gagnée :

ce qu’on craint aujourd’hui, c’est que notre site soit confiné à quelques hectares clos, c’est qu’il se confine un peu trop et qu’il sèche quoi! Qu’il sèche! Je pense qu’il faut une irrigation, une ouverture, des cercles d’influences, un véritable périmètre de Grand Site. D’autant plus qu’aujourd’hui, ce réseau nous le permet (…) Voilà, bon après il va falloir trouver une nouvelle légitimité, nous on a peur, avec Philippe, parce que déjà c’est compliqué (…) (Roland Gallina, adjoint au chef du pôle aménagement et gestion des sites au Conseil Général des P-.O)

Les motivations du gestionnaire (Conseil Général) à s’impliquer auprès des acteurs économiques résident dans le fait de vouloir protéger l’image et le paysage de Paulilles. Il est d’emblée possible de se demander si le prestige et l’excellence propres aux logiques du développement durable auront vraiment un impact concret pour les viticulteurs. Ces

logiques sont supposées améliorer l’image du vin de Banyuls et de Collioure pour en favoriser la vente. Jusqu’à quel point ces logiques peuvent-elles générer des retombées économiques durables, afin que les habitants du canton puissent continuer à travailler et à vivre dans leur pays grâce aux bénéfices de la vente de leur produit? Il reste donc à observer comment vont réagir les viticulteurs, qui sont pris au sein du réseau, garant du développement durable. En 2011, ils réclamaient une plus grande visibilité en souhaitant vendre leur vin à Paulilles, ce que le Conservatoire du littoral a refusé catégoriquement. Pourtant, le Conseil général, toujours dans une logique de compromis, a installé un point de vente sur le terrain de stationnement du site. Le propriétaire du site et son gestionnaire sont constamment en train de mettre en place ce type de compromis afin d’harmoniser leurs propres rationalités, qui entrent en tension, voire en contradiction, avec celles des acteurs locaux.

3.3. Réflexions sur la question de l’agrégation des rationalités de