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Classification des classificateurs en chinois mandarin

Chapitre 2 Quelques caractéristiques des syntagmes nominaux en chinois

2.3. Une langue à classificateurs

2.3.2. Classification des classificateurs en chinois mandarin

Comme le montre le résumé qui précède, la classification des classificateurs en deux groupes, comptables et massifs, ne semble pas viable en chinois mandarin. Afin d’éviter de regrouper et mêler des classificateurs ayant des propriétés syntaxiques et sémantiques différentes, nous montrerons dans ce qui suit les classifications principales proposées dans la littérature et nous préciserons celle que nous préférons pour avancer notre analyse sur les quantificateurs.

Chao (1968) propose une classification en neuf catégories des classificateurs qui a longtemps fait autorité. A part deux catégories de classificateurs verbaux que nous ne faisons pas entrer dans notre travail sur les syntagmes nominaux, i.e. ‘les classificateurs spécialement associés aux constructions V-O’ et ‘les mesures des verbes’, les sept autres catégories sont listées en (30)-(36), avec deux exemples pour chaque catégorie. Ce sont les classificateurs individuels en (30), les classificateurs de groupe en (31), les classificateurs partitifs en (32), les classificateurs de contenant en (33), les classificateurs temporaires en (34), les classificateurs de mesure standard en (35) et les classificateurs de quasi-mesure en (36).

(30) Classificateur individuel

a. 三个苹果 b. 三本书 sān gè píngguǒ sān běn shū

trois CL pomme trois CL livre

‘trois pommes’ ‘trois livres’

(31) Classificateur de groupe

a. 三排苹果 b. 三种油 sān pái píngguǒ sān zhǒng yóu

trois CLrang pomme trois CLgenre huile

‘trois rangs de pommes’ ‘trois genres d’huile’

(32) Classificateur partitif

a. 三⽚苹果 b. 三滴油 sān piàn píngguǒ sān dī yóu

trois CLtranche pomme trois CLgoutte huile

(33) Classificateur de contenant

a. 三箱苹果 b. 三瓶油 sān xiāng píngguǒ sān píng yóu

trois CLboîte pomme trois CLbouteille huile

‘trois boîtes de pommes’ ‘trois bouteilles d’huile’

(34) Classificateur temporaire

a. ⼀桌⼦苹果 b. ⼀⼿油 yī zhuōzi píngguǒ yī shǒu yóu

un CLtable pomme un CLmain huile

‘une table couverte de pommes’ ‘une main couverte d’huile’

(35) Classificateur de mesure standard

a. 三公⽄苹果 b. 三升油 sān gōngjīn píngguǒ sān shēng yóu

trois CLkilo pomme trois CLlitre huile

‘trois kilos de pommes’ ‘trois litres d’huile’

(36) Classificateur de quasi-mesure

a. 三星期 时间 b. 三省 sān xīngqī (shíjiān) sān shěng

trois semaine temps trois province

‘trois semaines de temps’ ‘trois provinces’

Trois remarques sont à faire concernant la classification des classificateurs de Chao (1968). Premièrement, parmi ces sept catégories de classificateurs nominaux, il y en a quatre qui existent à divers degrés dans toutes les langues, à savoir les classificateurs de groupe, les classificateurs partitif, les classificateurs de contenant et les classificateurs de mesure standard, cf. (37). Si nous comparons (37) avec (30)-(36), nous pouvons constater que les expressions de mesure en français apparaissent dans la construction pseudo-partitive, i.e. Numéral + Expression de Mesure + de + Nom, au lieu de précéder directement les noms comme le cas en chinois mandarin.

(37) a. une rangée de tables b. une goutte de pluie c. une assiette de fruits d. un kilo de pommes

Deuxièmement, les classificateurs temporaires, comme l’a déjà remarqué Chao (1968), sont nominaux et forment une classe ouverte. Her (2010) indique aussi que tout ce qui peut fonctionner comme une unité de mesure peut être traité comme un classificateur temporaire, contrairement aux classificateurs individuels qui sont généralement résistants à l’innovation. Les noms comme liǎn ‘visage’, shēnzi ’corps’, kǎchē ‘camion’ et zhuōzi ‘table’ peuvent tous se comporter comme des classificateurs temporaires. Paris (1981) remarque que si le nom remplit l’espace ou couvre la surface décrite par le classificateur temporaire, le numéral ne peut pas être supérieur à yī ‘un’, sinon la phrase est agrammaticale, voir (34) répété en (38). Dans ce contexte, yī ‘un’ peut commuter, selon les cas, avec zhěng ‘entier’ ou avec mǎn ‘plein’, ou avec les deux. (39) et (40) sont équivalents au (34a) et (34b).

(38) a. * 三桌⼦苹果

* sān zhuōzi píngguǒ

trois CLtable pomme

Sens voulu :‘trois tables couvertes de pommes’

b. * 三⼿油 * sān shǒu yóu

trois CLmain huile

Sens voulu :‘ ‘trois mains couvertes d’huile’

(39) a. 整桌⼦苹果 b. 整⼿油 zhěng zhuōzi píngguǒ zhěng shǒu yóu

entier CLtable pomme entier CLmain huile

(40) a. 满桌⼦苹果 b. 满⼿油 mǎn zhuōzi píngguǒ mǎn shǒu yóu

plein CLtable pomme plein CLmain huile

‘la table couverte de pommes’ ‘la main couverte d’huile’

La troisième remarque concerne les classificateurs de quasi-mesure. Selon Chao (1968), les classificateurs de quasi-mesure sont à la fois des classificateurs et des noms. D’un côté, en tant que classificateurs, ils sont plus autonomes que les autres catégories de classificateurs puisqu’ils peuvent suivre un numéral tout seul sans nom, d’un autre côté, en tant que noms, ils peuvent être précédés d’un autre classificateur. (41) et (42) montrent que xīngqī ‘semaine’ et shěng ‘province’ se comportent comme un classificateur en suivant le numéral et aussi comme un nom en suivant la séquence Numéral-Classificateur. Et cette distinction syntaxique ne donne pas lieu à une différence interprétationnelle entre (41) et (42). (41) a. ⼀星期 yī xīngqī un semaine ‘une semaine’ b. 三省 sān shěng trois province ‘trois provinces’ (42) a. ⼀个星期 yī gè xīngqī un CL semaine ‘une semaine’

b. 三个省

sān gè shěng trois CL province

‘trois provinces’

Parmi les classificateurs de quasi-mesure listés dans Chao (1968), beaucoup sont des mots désignant une unité de temps. Cependant, ces mots se comportent de manière différente. Certains d’entre eux, contrairement à xīngqī ‘semaine’, ne peuvent pas se comporter comme des noms en étant précédés d’un autre classificateur. Prenons tiān ‘jour’ et nián ‘an’ comme exemple, l’insertion du classificateur général gè est interdite. En revanche, il y a d’autres mots, comme yuè ‘mois’ et

zhōngtóu ‘heure’, qui exigent toujours la présence du classificateur général gè. Ils se comportent

plutôt comme noms. Comparons (43)-(44) avec (41)-(42) pour voir la distinction syntaxique entre les trois types de mots désignant une unité de temps.

(43) a. ⼀ *个 天 yī (*gè) tiān un CL jour ‘un jour’ b. 三 *个 年 sān (*gè) nián trois CL an ‘trois ans’ (44) a. ⼀ * 个 ⽉ yī *(gè) yuè un CL mois ‘un mois’

b. 三 * 个 钟头 sān *(gè) zhōngtóu trois CL heure

‘trois heures’

Pour expliquer cette hétérogénéité, Paris (1981:77) propose l’existence d’un marqueur entre le numéral et les noms comme tiān ‘jour’ et nián ‘an’, en l’occurrence avec un classificateur zéro, analysant les classificateurs de quasi-mesure comme noms. Ainsi, yī tiān ‘un jour’ et sān nián ‘trois ans’ en (43) ont les structures illustrées respectivement en (45a) et (45b). Dans ce cas-là, tous les mots désignant une unité de temps se comportent de manière identique en tant que noms.

(45) a. ⼀ 天 yī ∅ Cl tiān un ∅ Cl jour ‘un jour’ b. 三 年 sān ∅ Cl nián trois ∅ Cl an ‘trois ans’

Vu que les mots désignant une unité de temps en chinois mandarin présentent différents comportements syntaxiques en ce qui concerne la présence ou l’absence d’un classificateur, Tang (2005) propose une analyse fondée sur un système binaire pour rendre compte de cette hétérogénéité. Selon elle, les mots désignant une unité de temps peuvent être divisés en trois groupes en fonction de deux traits syntaxiques, soit [±N] et [±Cl]. Ceux qui peuvent se comporter comme nom sont marqués par le trait [+N], sinon [-N] ; tandis que les autres qui se comportent comme classificateur sont marqués par le trait [+Cl] , sinon [-Cl]. Ainsi, Tang présente trois types de mots qui désignent une unité de temps en chinois mandarin, cf. (46).

(46) a. [+N, +Cl]: xīngqī ‘semaine’, xuéqī ‘semestre’, xiǎoshí ‘heure’, etc. b. [+N, -Cl]: yuè ‘mois’, zhōngtóu ‘heure’, lǐbài ‘semaine’, etc.

c. [-N, +Cl] : tiān ‘jour’, nián ‘année’, etc.

Selon les trois analyses présentées sur les mots désignant une unité de temps, il nous semble adéquat d’adopter celle de Tang (2005) traitant ces mots de manière distincte . Par conséquent, comme les classificateurs de quasi-mesure listés dans Chao (1968) ont le trait [+N, -Cl], comme yuè ‘mois’ et zhōngtóu ‘heure’, ils seront exclus de la catégorie des classificateurs dans la suite de notre travail. Il y a deux raisons en faveur de l’analyse de Tang (2005). D’une part, cette analyse permet d’unifier les classificateurs en fonction de leur propriété syntaxique commune, c’est-à-dire qu’ils interdisent la présence d’un autre classificateur, et d’autre part, cette analyse est conforme au principe d’économie en évitant d’introduire un marqueur de plus pour un classificateur zéro.