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Chapitre 3 : Positionnement épistémologique

Introduction

La phénoménologie existentielle est, comme son nom l’indique, la combinaison de deux mouvements philosophiques subjectivistes : la phénoménologie et l’existentialisme. Ces mouvements émergent au début du XXe siècle dans un contexte de crise idéologique de la société occidentale, causée notamment par une montée de l’anarchisme et du nihilisme (Hirschman et Holbrook, 1992). Cette combinaison de mouvements est évoquée une première fois dans le travail de Heidegger (1986 [1927]), puis dans les travaux de Camus (1942), Sartre (1943, 1946) et surtout de Merleau-Ponty (1942, 1945). Abordant des facettes fragmentées de la vie humaine, ces travaux tendent à présenter une ontologie de l’existence et un positionnement indépendant de l’homme dans le monde : l’homme est un Être pensant qui a conscience de son être - son Dasein (i.e. être-là) (Heidegger, 1986 [1927]) - à travers ses perceptions du monde, elles-mêmes conduites par l’interaction et les expériences de son « corps propre » (Merleau-Ponty, 1945) avec le monde. C’est le corps qui est le sujet et l’objet de toutes les « cogitations » (Merleau-Ponty, 1945) existentielles de l’homme, grâce auxquelles il « prend en main son sort, il devient responsable de son histoire par la réflexion, mais aussi bien par une décision où il engage sa vie (…) » (Merleau-Ponty, 1945 : p. XVI). Autrement dit, l’homme se définit par ses expériences vécues, et est libre dans le choix de construire sa vie selon leurs propres préférences.

Bien que la phénoménologie existentielle soit introduite dans les recherches cliniques depuis les années 1960, elle n’est intégrée dans les recherches en comportement du consommateur que depuis les années 1980. Ces travaux se focalisent sur : la signification de l’acte de consommer et les expériences vécues des consommateurs (Hirschman et Holbrook, 1982, 1986; Holbrook, 1986) ; la construction existentielle du soi à travers l’acte de possession (Belk, 1988) ; la perception de l’image sociale du corps (Thompson et Hirschman, 1995), de la liberté de choix (Thompson et al., 1990), de la masculinité (Holt et Thompson, 2004), du risque (Thompson, 2005) et du désir (Belk et al., 2003) dans les expériences quotidiennes de la consommation. Dans le même esprit que les travaux cités, notre recherche s’inscrit dans la perspective de la phénoménologie existentielle.

premier temps, nous commençons par une discussion sur la construction des connaissances en regard de la réalité sociale selon la phénoménologie et l’existentialisme. La question : comment nos connaissances du monde se construisent-elles ? sera évoquée. Dans un second temps, nous discutons de la méthode d’extraction des connaissances à partir des données collectées.

Structure du chapitre 3 est présentée comme suite.

Tableau 9 : Structure du chapitre 3 : « Positionnement épistémologique »

Section 1 : Intégration de la phénoménologie existentielle dans la recherche en comportement du consommateur

Sous-section 1 : La construction personnelle de la réalité objective selon la phénoménologie Sous-section 2 : La construction personnelle de la réalité objective selon l’existentialisme Sous-section 3 : Intégration de la phénoménologie existentielle dans la recherche en comportement du consommateur

Section 2 : Contextualisation de la recherche : une vue panoramique sur le contexte vietnamien

Sous-section 1 : Structure socio-culturelle du contexte vietnamien

Section 1. Intégration de la phénoménologie existentielle dans la recherche en

comportement du consommateur

Sous-section 1. La construction personnelle de la réalité objective selon la

phénoménologie

La phénoménologie est, selon Merleau-Ponty (1945 : p. I) :

« L’étude des essences, et tous les problèmes, selon elle, reviennent à définir des essences : l’essence de la perception, l’essence de la conscience, par exemple. Mais la phénoménologie, c’est aussi une philosophie qui replace les essences dans l’existence et ne pense pas qu’on puisse comprendre l’homme et le monde autrement qu’à partir de leur « facilité ». »

Admettons ici que la phénoménologie cherche à comprendre des caractéristiques abstraites, universelles et immuables du monde objectif à travers les expériences vécues de l’individu. Le monde évoqué ici est bien entendu la réalité objective qui inclut la relation entre l’individu et les autres, entre lui et les objets matériels, et entre lui et la spatio-temporalité. Cette définition délivre deux idées majeures sur la construction des connaissances du monde objectif.

La première idée majeure consiste à considérer la construction des connaissances comme un processus personnel qui est conduit pendant l’interaction de l’individu avec le monde externe. Le monde objectif est toujours là. Il ne se présente pas à l’individu sous forme d’images synthétiques construites par des analyses et des explications causales scientifiques, mais il s’ouvre à l’individu selon l’interaction entre lui et l’individu. En se basant sur ses propres expériences avec le monde objectif, l’individu construit l’image du monde objectif en lui et lui donne un sens. En s’engageant dans le monde, l’individu a conscience du sens du monde selon sa propre perception. La recherche de la construction personnelle de la réalité objective doit donc prendre la conscience comme point de départ.

Ceci nous amène à la seconde idée majeure : puisque chaque individu a une conscience différente du monde selon ses expériences vécues, on ne peut comprendre le monde que par la « psychologie descriptive » (Husserl, 1931, cité par Merleau-Ponty, 1945). C’est-à-dire une

c’est revenir « aux choses-mêmes », comme le souligne Husserl (1931, cité par Merleau-Ponty, 1945). Cela signifie également revenir à la connaissance d’emblée du monde perçu, une connaissance non affectée par les déterminations scientifiques, abstraites et non-significatives pour l’existence de l’individu. À ce titre, Husserl (1931) propose la réduction phénoménologique – la réduction transcendantale - comme un « retour à une conscience transcendantale devant laquelle le monde se déploie dans une transparence absolue, animé de part en part par une série d’aperceptions que le philosophe [et les chercheurs] seront chargés de reconstituer à partir de leur résultat. » (Merleau-Ponty, 1945 : p. V).

Ainsi, le philosophe et les chercheurs, dans leur quête de l’essence du monde objectif, doivent se détacher du monde extérieur - un monde secondaire construit par les déterminations scientifiques - et se focaliser uniquement sur les expériences vécues, les types de cogitation (i.e. percevoir, imaginer, vouloir…) inscrites dans la conscience de l’individu, comme l’exprime Husserl (1990 [1907] : 102) :

« Ce que nous mettons hors de jeu, c’est la thèse générale qui tient à l’essence de l’attitude naturelle ; nous mettons entre parenthèses absolument tout ce qu’elle embrasse dans l’ordre ontique : par conséquent tout ce monde naturel qui est constamment ‘là pour nous’, ‘présent’, et ne cesse de rester là à titre de ‘réalité’ pour la conscience, alors même qu’il nous plaît de le mettre entre parenthèses. »

Ce détachement n’est néanmoins pas une rupture permanente avec le monde,

« mais [le] fait surgir comme un dépassement de l’égo, vers un sens « qu’il porte en lui ». Réciproquement, c’est la réduction transcendantale qui interprète l’intentionnalité comme visée d’un sens et non comme quelque contact avec un dehors absolu. »

(Ricoeur, 1954 : 87)

Les chercheurs doivent donc transcender leur Moi intérieur, se positionner en troisième personne et décrire le sens du monde perçu pendant qu’ils interagissent avec le monde extérieur, sans le juger. Ils doivent être, selon Husserl (1931) « un spectateur in-intéressé, impartial, s’arracher à l’intérêt pour la vie » (Ricoeur, 1954 : 88, soulignage de l’auteur). Husserl (1931) nomme « réduction phénoménologique » cette méthode d’extraction des connaissances collectées. Reprenons l’exemple du rouge de Merleau-Ponty (1945 : p. V) pour illustrer cette

réduction phénoménologique : Je sens ainsi du rouge, ceci est aperçu comme manifestation d’un certain rouge senti. Ce rouge senti est perçu comme manifestation d’une surface rouge. Cette surface rouge manifeste le profil d’un carton rouge. Et enfin ce carton rouge renvoie au profil d’une chose rouge, ou d’un livre.

Cependant, puisque les chercheurs sont dans un contact perpétuel avec le monde objectif, il est impossible d’avoir une réduction complète permettant d’obtenir « une pensée qui embrasse toute notre pensée » (Merleau-Ponty,1945 : p. IX). Ainsi, tout ce que les chercheurs peuvent affirmer « de vrai » sur leurs expériences du monde doit être renouvelé constamment.

Cette réduction phénoménologique ne s’applique pas qu’aux objets mais aussi aux autres individus. Dans une démarche de compréhension de la construction de la réalité objective par les autres individus, les chercheurs doivent concevoir ces derniers comme des objets étudiés et leurs expériences vécues comme des textes (voir Hirschman et Holbrook, 1992). Les chercheurs doivent donc scrupuleusement transcrire les expériences dans les mots énoncés par les individus eux-mêmes, sans y ajouter de jugement. Il faut également compter sur la description des expériences propres des chercheurs durant leurs interactions avec les sujets étudiés. Dans cette tâche, les chercheurs doivent suivre la « règle de l’horizontalisation » (Spinelli, 1989 :18). Selon cette règle, les chercheurs évitent de privilégier leurs textes (i.e. leurs expériences avec le monde et leurs expériences dans l’interaction avec les individus étudiés) au détriment d’autres textes (i.e. les expériences vécues par les individus étudiés) et vice versa. Les textes des deux parties doivent être considérés comme ayant valeur égale, ce qui vaut aussi pour les éléments au sein-même des textes.

Sous-section 2. La construction personnelle de la réalité objective selon

l’existentialisme

Comme pour la phénoménologie, l’existentialisme conçoit la construction de la réalité objective comme un processus personnel basée sur l’existence de l’individu dans le monde objectif, qui s’exprime à travers les expériences vécues (Pollio et al., 1989 : 4). Pour les deux philosophies, le sens du monde objectif d’un individu n’est compris qu’à travers la description. Néanmoins, l’existentialisme se distingue de la phénoménologie dans l’ontologie de la construction de la

C’est-à-dire qu’un Étant se définit soi-même une fois qu’il comprend réflexivement son Être et l’Être des autres Étant qui diffèrent de lui.

Prenons l’exemple d’une expression orale pour illustrer ce principe. Une expression orale n’est définie comme une parole que si elle est composée de mots qui énoncent les pensées et les émotions de celui qui parle et qui amènent dans l’esprit de l’auditeur une seconde existence de l’image d’une parole. Par contre, cette expression orale devient « cri » si les mots et les pensées en sont absents. Cela signifie qu’une expression orale ne devient cri ou parole que lorsqu’elle se prononce. Ce principe existentiel vaut également pour les hommes, comme l’explique Sartre (1946 : 21) dans L’existentialisme est un humanisme :

« L’homme existe d’abord, se rencontre, surgit dans le monde et il se définit après. L’homme, tel que le conçoit l’existentialiste, s’il n’est pas définissable, c’est qu’il n’est d’abord rien. Il ne sera qu’ensuite, et il sera tel qu’il se sera fait. »

Ici, exister dans le sens sartrien signifie agir, réfléchir, sentir et vivre les émotions subjectives que l’individu aperçoit dans son interaction avec le monde objectif. Ainsi, la recherche à comprendre la construction de la réalité objective chez l’individu, c’est le recours vers l’existence de ce dernier, dans ses actes, sa compréhension de lui-même, et non pas vers l’essence de sa conscience sur le monde objectif.

Merleau-Ponty (1945) va plus loin dans cet argument en affirmant que la construction de la conscience du monde objectif est conduite par le corps. Pour l’auteur, « le corps est le pivot du monde » (Merleau-Ponty, 1945 : 111), un « véhicule de l’être au monde », et, « avoir un corps, c’est pour un vivant se joindre à un milieu défini, se confondre avec certains projets et s’y engager continuellement » (Merleau-Ponty, 1945 : 97). En vivant son corps, l’individu interagit avec le monde, le perçoit, acquiert la conscience « d’être-au-monde » et donne un sens aux choses du monde. En ce sens, il s’agit également de rappeler qu’exister c’est surtout devenir, parce que :

« [l]’homme n’est rien d’autre que son projet, il n’existe que dans la mesure où il se réalise, il n’est donc rien d’autre que l’ensemble de ses actes, rien d’autre que sa vie. »

Ce constat de Sartre (1946) fait écho à la philosophie d’Heidegger (1962), pour qui l’existence de l’homme est transtemporelle : la compréhension de soi par l’individu n’existe pas seulement d’emblée dans sa conscience, mais elle embrasse également les expériences de son passé et les projets de son futur. La construction de la réalité objective chez l’individu n’est donc jamais accomplie, elle évolue selon la compréhension de soi de l’individu.

En somme, l’existentialisme permet la liaison entre subjectivisme et relativisme : il s’agit d’une philosophie qui étudie l’homme comme sujet d’action dans sa relation avec son monde vécu. Dans la recherche de la construction de la réalité objective, il importe que les chercheurs se positionnent comme sujets participant directement au monde vécu. Il ne s’agit pas d’adopter la posture du « spectateur impartial » proposé par Husserl (1931), qui prend appui sur l’égo transcendantal pour observer le monde. Ils doivent plutôt décrire le monde phénoménal perçu par les sujets et être fidèles à leur conscience intérieure (i.e. leurs émotions, leurs imaginations, leurs motivations…).

Sous-section 3. Intégration de la phénoménologie existentielle dans la recherche

en comportement du consommateur

Dans la recherche de nouveaux paradigmes visant à étudier le changement dans la structure des motivations, des besoins, des désirs ou des angoisses dans les comportements des consommateurs postmodernes, la phénoménologie existentielle émerge comme une des méthodologies qui met l’éclairage autant sur le rôle de la pratique de consommation que les expériences vécues des consommateurs (Goulding, 1999 ; Hirschman et Holbrook, 1992). D’une part, elle repositionne les consommateurs comme des sujets libres cherchant à bricoler leurs identités fragmentées, à accomplir leurs projets de vie et à agir contre/pour le changement des structures sociales grâce au marché (Askegaard et Linnet, 2011). D’autre part, elle contextualise ces expériences vécues. C’est-à-dire qu’elle étudie les consommateurs dans leur relation avec le contexte social, culturel et politique où se situent les consommateurs (Thompson et al., 1989), ainsi que dans leur projection des expériences passées et des projets d’avenir sur l’instant présent.

Dans leur papier d’introduction de la phénoménologie existentielle sur les recherches en comportement du consommateur, Thompson et al. (1990) insistent sur trois concepts clés :

1) Intentionnalité

L’intentionnalité est un concept introduit par Brentano et Husserl (Pollio et al., 1997), qui admet l’idée que les expériences humaines et le monde vécu se co-constituent l’une l’autre. Comme l’écrit Ihde (1979 : 42 - 44) que « chaque expérience implique un phénomène vécu, qui réfère ou reflète le mode d’expression auquel cette expérience se réfère »74

. Cela signifie que l’existence humaine se dirige constamment vers le monde objectif : elle est au monde mais elle ne la possède pas (Merleau-Ponty, 1945 : p. V). Par conséquence, dans la recherche en comportement du consommateur, les chercheurs ne se détachent pas forcément du contexte de recherche, mais, en revanche, il leur est nécessaire d’étudier les consommateurs dans leur contexte vécu. Ils doivent faire vivre les expériences vécues de leurs informants, et mettre en avant les expériences vécues de ces derniers davantage que leurs catégories conceptuelles.

2) Dialogue émergeant

Selon Thompson et al. (1990), le dialogue doit émerger naturellement durant l’interaction entre les chercheurs et leur terrain. Ce dialogue doit être établi par les informants plutôt que par des questions spécifiques prédéterminées.

3) Cercle herméneutique

Pour Ricoeur (1986 : 197), les structures des connaissances ainsi que les actions humaines peuvent être considérées comme des livres ouverts qui attendent de recevoir des significations grâce à de nouvelles interprétations des lecteurs. Dans la recherche des expériences vécues des consommateurs, les chercheurs deviennent donc des lecteurs qui les lisent et les interprètent pour établir une compréhension de ces textes. Une lecture herméneutique de ces textes permet aux chercheurs de capter dans la totalité le sens du monde vécu des expériences des consommateurs (Hirschman et Holbrook, 1992). C’est ce qu’évoque Gadamer (1996 [1960] : 271) sur la lecture herméneutique :

« [c]elui qui veut comprendre un texte accomplit un processus de conception. Il a d’avance un sens du tout, dès qu’un premier sens se présente dans le texte. Ce dernier se présente seulement dans la mesure où on lit le texte avec des attentes d’un certain sens. L’élaboration d’une telle conception, qui est évidemment révisée en permanence, et qui avance en progressant dans le texte, est la compréhension de l’écrit. »

Les chercheurs pratiquent donc un processus de va-et-vient pour relier toutes les parties du texte dans sa totalité. Ils sont donc contraints de réviser constamment leurs textes pour saisir les thèmes communs supportés par le discours des informants afin de garantir l’objectivité de leur interprétation. D’ailleurs, la structure d’interprétation doit être compréhensible et accessible aux autres chercheurs (Thompson et al., 1990)

La figure 7 ci-dessous illustre l’application de l’approche phénoménologique-existentielle dans la recherche en comportements du consommateur.

Figure 7 : L’application de l’approche de la phénoménologie-existentielle dans la recherche en comportements du consommateur (Adapté de Thompson et al., 1994 : 434)

Puisque notre recherche porte sur la construction de style de vie des jeunes Vietnamiens dans le contexte d’une société en transition, sous-développée économiquement, à travers la consommation des produits culturels transnationaux, une approche phénoménologique existentielle nous permet :

1) D’analyser les significations des produits culturels globaux (i.e. la musique, dans notre cas) au regard des jeunes de marché qui intègrent tardivement le système économique et culturel mondial. En effet, dans ce contexte, la consommation des produits globaux chez ces jeunes consommateurs est souvent décrite en lien à la relation hiérarchique et

« Périphéries ». Ceci reflète la perspective du « Système-Monde » (voir chapitre 1) adoptée par les chercheurs pour étudier les marchés émergents. Par ce faisant, ces travaux ignorent la « vraie » voix des jeunes consommateurs des marchés émergents. Divergents de ces travaux, par l’approche phénoménologique existentielle, nous rendons la « vraie » voix à nos informants.

2) De mieux comprendre l’influence de « musicscape » - le paysage musical – global à la construction des styles de vie des jeunes locaux. Selon Laughey (2006), les recherches sur la culture des jeunes prennent appui davantage sur la construction d’une culture dont la musique fait partie, à côté des autres artefacts tels que les vêtements, le style de coiffure et les langages argots adoptés par les jeunes (e.g. Goulding et Saren, 2009 ; Hodkinson, 2002 ; Thornton, 1995). Ces recherches, selon les termes de Laughey (2006), privilégient davantage la structure que l’agence. C’est-à-dire que l’intérêt propre de l’individu dans son interaction avec le paysage musical cède la place à l’intérêt de la communauté. En ne retenant que les comportements des jeunes dans leurs activités de loisirs, ces recherches laissent d’ailleurs en suspens les autres activités de leur vie quotidienne. Par exemple, Goulding et al. (2002) se focalisent ainsi davantage sur la formation des communautés de la musique dance dans le contexte des weekends, sans s’interroger sur le rôle de la musique dance dans la vie quotidienne des membres de ces communautés. Ce même type de réflexion vaut également pour les goths (Goulding et Saren, 2009 ; Hodkinson, 2002), les fans de la musique électrodance (Cléret, 2011), du rap (Cléret, 2012) ou les fans de la musique pop (Hogg et Banister, 2007). Puisque les expériences vécues de consommateurs sont continues, fragmentées et en changement continuel (Pollio et al., 1997), étudier l’interaction du paysage musical avec les activités quotidiennes permet de comprendre comment la musique influence les expériences vécues de ces jeunes.

3) De répondre à l’appel de la diversification épistémologique et méthodologique dans la recherche en comportements du consommateur dans des contextes non-occidentaux (Jafari et al., 2012). De fait, selon Jafari et al. (2012), les recherches en comportements du consommateur dans les contextes non-occidentaux visent à tester les théories développées pour les marchés occidentaux dans les marchés non-occidentaux, sans prendre en compte les différences sociologique, culturelle, politique et idéologique de ceux-ci. D’une part, une telle méthodologie empêche les chercheurs de mieux comprendre le marché ainsi que la structure des comportements des consommateurs non-occidentaux. D’autre part, elle abandonne les consommateurs aux stéréotypes sur les non-occidentaux, créés par les institutions occidentales (voir Huntington, 2007

[1996] ; Said, 2005 [1978]). Donc, par l’approche phénoménologique existentielle, nous déconstruisons ces mythes et actualisons ce qui manque aux chercheurs occidentaux dans leur recherche sur les consommateurs non-occidentaux.

Section 2. Contextualisation de la recherche : une vue panoramique sur le

contexte vietnamien

En adoptant la phénoménologie existentielle comme le paradigme de notre recherche, nous devons nous plier à ses instructions méthodologiques pour conduire scientifiquement notre