Dans une étude canadienne [214] sur la perception des risques professionnels chez 101 jeunes adultes asthmatiques, 56% des sujets savaient indiquer des métiers avec des expositions qui pourraient aggraver leur asthme, et 35% des sujets déclaraient que l’asthme était un facteur important dans leur choix de carrière.
Dans la deuxième phase de l’étude ISAAC (Internationnal Study of Asthma and Allergies in Childhood) [215], des adolescents en formation professionnelle, dont la plupart avaient donc déjà fait un choix de carrière, étaient interrogés sur le métier qu’ils aimeraient exercer dans le futur, et sur l’influence de problèmes allergiques ou respiratoires dans ce choix. L’exposition potentielle à des asthmogènes dans les métiers choisis était évaluée par la matrice emploi‐exposition spécifique pour l’asthme. Seulement 8% des adolescents ayant des symptômes d’asthme, de rhinite ou de dermatite atopique déclaraient que leur maladie avait influencé leur choix de futur métier déclaré. Les adolescents avec une rhinite allergique choisissaient moins souvent des métiers à haut risque pour l’asthme (OR pour la rhinite non actuelle et la rhinite actuelle respectivement : 0.45 (0.18 – 1.13) et 0.57 (0.30 – 1.10)). Cette relation n’était pas observée pour l’asthme ou la dermatite atopique.
Métiers exercés à l’âge adulte
Dans une cohorte française de 12233 hommes suivis en 1990 et 1995 [209], l’asthme débutant dans l’enfance (évalué rétrospectivement) était associé à la catégorie socioprofessionnelle : les asthmatiques étaient moins souvent des ouvriers que les non‐asthmatiques, et tendaient à travailler plus souvent dans le secteur des services que les non‐asthmatiques.Chez 10452 adultes de l’étude américaine NHANES (National Health and Nutrition Examination Survey), l’influence de l’asthme débutant dans l’enfance (évalué rétrospectivement) sur le niveau de
diplôme et sur le métier le plus long a été étudiée [216]. Les sujets avec un asthme dans l’enfance avaient un niveau de diplôme plus élevé. Des différences significatives étaient observées dans les types de métier exercés par les non‐asthmatiques et les asthmatiques, et les auteurs évoquaient la possibilité que ces différences soient en partie dues à un biais de sélection à l’embauche. Cependant, l’effet de l’asthme dans l’enfance sur les métiers spécifiquement à risque pour l’asthme n’a pas été étudié.
Iwatsubo et al. [217] ont suivi des apprentis coiffeurs (métier à haut risque pour l’asthme) durant leurs premières années d’apprentissage, ainsi que des apprentis employés de bureaux. Au début de l’étude, les apprentis coiffeurs avaient significativement moins de symptômes respiratoires que les apprentis employés de bureau (OR entre 0.2 et 0.5 selon les symptômes).
Expositions professionnelles à l’âge adulte
Dans une population suédoise de 49321 hommes nés en 1949‐1951, Wiebert et al. [218] ont étudié l’influence de l’asthme ou la rhinite allergique diagnostiqués au moment du service militaire (1969‐ 1970) sur les professions exercées tous les 5 ans à partir de 1970. L’exposition professionnelle à des substances pouvant être irritantes pour le système respiratoire (et incluant également certains allergènes) a été estimée à l’aide d’une matrice emploi‐exposition. Les hommes avec un diagnostic d’asthme au service militaire étaient significativement moins exposés aux substances irritantes en 1970 (OR autour de 0.65), mais pas les années suivantes. Les hommes avec un diagnostic de rhinite allergique étaient significativement moins exposés tout au long de leur vie professionnelle (OR autour de 0.60).Plus récemment, chez les adultes (20‐44 ans) de l’étude ECRHS I, Olivieri et al. [219] ont cherché à déterminer, dans une étude rétrospective, si les sujets avec un asthme ayant débuté avant l’entrée dans la vie active étaient moins souvent exposés professionnellement à des expositions à risque. L’exposition au métier actuel était étudiée, sauf pour les sujets ayant déclaré soit avoir changé de métier à cause de problèmes respiratoires, soit avoir été exposé à des poussières, fumées, gaz et vapeurs dans un métier antérieur. Pour ces sujets, l’exposition au métier concerné était prise en compte. Les sujets avec un asthme ayant débuté avant l’entrée dans la vie active étaient significativement moins souvent exposés aux poussières, fumées, gaz et vapeurs, estimés par matrice emploi exposition (OR : 0.79 (0.68 – 0.92)) ou à des métiers classés comme à haut risque d’asthme
(0.85 (0.75 – 0.97)). Ces résultats indiquent la possibilité d’un biais de sélection à l’embauche. Cependant, comme l’ensemble de l’histoire professionnelle des sujets n’était pas connue, il ne peut pas être exclu que les associations observées soient en partie dues à une sélection en cours d’emploi (« survivor effect »).
Enfin, dans l’étude prospective BBC58 (1958 British Birth Cohort) [220], des sujets ont été suivis à 7, 11, 16 et 33 ans. Au premier métier, les sujets avec une histoire de rhume des foins / rhinite allergique dans l’enfance exerçaient significativement moins souvent des métiers classés comme à haut risque d’asthme (OR : 0.70 (0.56 – 0.88)) ou avec des expositions à des asthmogènes estimée par une matrice emploi‐exposition spécifique pour l’asthme (OR : 0.77 (0.62 – 0.96)). En revanche, une histoire d’asthme ou d’eczéma dans l’enfance n’était pas associée à une exposition plus faible au premier métier.
Conclusion
En conclusion, la présence d’un biais de sélection en cours d’emploi liée à l’asthme a été mise en évidence dans plusieurs études [31]. Des études montrent par ailleurs que l’asthme dans l’enfance ou l’adolescence influence les futurs choix de métier [214, 216]. Certaines études ont montré un biais de sélection à l’embauche plutôt en lien avec la rhinite allergique qu’avec l’asthme [215, 218, 220]. Une étude a observé une association négative entre l’asthme débutant avant l’entrée dans la vie active et l’exercice de professions à risque pour l’asthme en général, suggérant la présence d’un biais de sélection à l’embauche dans l’asthme [219]. Cependant, cette étude est basée sur des données rétrospectives, et l’histoire professionnelle complète des sujets n’était pas connue. L’existence d’un biais de sélection à l’embauche lié à l’asthme, et les caractéristiques cliniques et socio‐ démographiques qui peuvent influencer son ampleur restent à déterminer. Par ailleurs, si les études présentées ici ont mis en évidence, ou suggéré, la possibilité d’un biais du travailleur sain lié à l’asthme ou à des phénotypes associés, aucune étude n’a réellement quantifié l’impact que ce biais pouvait avoir sur les estimations de l’effet des expositions professionnelles sur l’asthme et son expression clinique, ni proposé une méthode permettant d’évaluer ces effets de façon non biaisée,