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Les chattes d’Alice LA BONNE RÉPONSE

« Quoi qu'on leur dise, elles ronronnent toujours pour vous répondre. « Si seulement elles ronronnaient pour dire « oui » et miaulaient pour dire « non », ou si elles suivaient une règle de ce genre, de façon qu'on puisse faire la conversation avec elles ! » avait-elle dit. « Mais comment peut-on parler avec quelqu'un qui répond

toujours pareil ? » En cette circonstance, la chatte noire se contenta de ronronner ; et il fut impossible de deviner si elle voulait dire « oui » ou « non ».

LA BONNE ATTITUDE

« Mais elle a refusé de regarder la Reine, expliqua-t-elle plus tard à sa sœur ; elle a détourné la tête en faisant semblant de ne pas la voir. Pourtant, elle a eu l'air un peu honteuse, de sorte que je crois que c'est bien Kitty qui

était la Reine Rouge. ») « Tiens-toi un peu plus droite, ma chérie ! s'écria Alice en riant gaiement. Et fais la révérence pendant que tu réfléchis à ce que tu vas… à ce que tu vas ronronner. Rappelle-toi que ça fait gagner du temps ! »

LA BONNE QUESTION

« Voyons, Kitty, réfléchissons un peu à une chose : qui a rêvé tout cela ? C'est une question très importante, ma chérie ; et tu ne devrais pas continuer à te lécher la patte comme tu le fais… comme si Dinah ne t'avait pas lavée ce matin ! Vois-tu, Kitty, il faut que ce soit moi ou le Roi Rouge. Bien sûr, il faisait partie de mon rêve… mais, d'un autre côté, moi, je faisais partie de son rêve à lui ! Est-ce le Roi Rouge qui a rêvé, Kitty ? Tu dois le savoir, puisque tu étais sa femme… Oh, Kitty, je t'en prie, aide-moi à régler cette question ! Je suis sûre que ta patte peut attendre ! » Mais l'exaspérante petite chatte se contenta de se mettre à lécher son autre patte, et fit semblant de ne pas avoir entendu la question. Et vous, mes enfants, qui croyez-vous que c'était ?»

4. LA REINE ALICE FACE AUX AUTRES REINES

Le chapitre IX, intitulé « la Reine Alice » (Queen Alice), met en scène une héroïne assez mal à l’aise dans son habit récent de souveraine. En effet : « elle se leva et se mit à marcher, assez raidement pour commencer, car elle avait peur que sa couronne ne tombât, mais elle se consola en pensant qu'il n'y avait personne pour la regarder. « Et d'ailleurs, dit-elle en se rasseyant, si je suis vraiment Reine, je m'en tirerai très bien au bout d'un certain temps ». [So she got up and walked about... rather stiffly just at first, as she was afraid that the crown might come off: but she comforted herself with the thought that there was nobody to see her, `and if I really am a Queen,' she said as she sat down again, `I shall be able to manage it quite well in time.]. Son élan de dignité se voit cependant vite freiné par la Reine Rouge :

« S'il vous plaît, commença-t-elle en regardant timidement la Reine Rouge, voudriez-vous me dire... – Tu ne dois parler que lorsqu'on t'adresse la parole ! dit la Reine Rouge en l'interrompant brutalement.»

`Please, would you tell me ... ' she began, looking timidly at the Red Queen.

`Speak when you're spoken to!' The Queen sharply interrupted her.

Aussi, quoique sacrée Reine, Alice n’a-t-elle pas le libre usage de sa parole. C’est pourquoi , « toujours prête à entamer une petit discussion » [always ready for a little argument], elle rétorque :

« Si on ne parlait que lorsqu'une autre personne vous adressait la parole, et si l'autre personne attendait toujours que ce soit vous qui commenciez, alors, voyez- vous, personne ne dirait jamais rien » ;

[‘If you only spoke when you were spoken to, and the other person always waited for you to begin, you see nobody would ever say anything ']

Raisonnement qui, convenons-en, est d’une logique irréprochable. Peut-être est-ce pour cela que son interlocutrice, taxant d’abord les propos pré-cités de « ridicules » [ridiculous!], change de tactique pour impressionner Alice : elle l’accuse d’avoir usurpé le titre de Reine : « Tu ne peux être Reine avant d'avoir subi l'examen qui convient. Et plus tôt nous commencerons, mieux ça vaudra. » [You can't be a Queen, you know, till you've passed the proper examination. And the sooner we begin it, the better.']. Le sentiment de puissance à peine effleuré au début du chapitre, se meut alors en inquiétude. Les deux reines détournent en effet les mots d’Alice, qui tente « piteusement » [in a piteous tone] de se défendre : « Mais je n'ai fait que dire : « Si »!, répondit la pauvre Alice »[`I only said "if"!' poor Alice pleaded]. Littéralement exclue de la conversation, Alice assiste, impuissante, aux procès d’intention menés par les Reines, qui se mettent à parler d’elle à la troisième personne :

– Elle prétend qu'elle n'a fait que dire « si »…

– Mais elle a dit beaucoup plus que cela ! gémit la Reine Blanche en se tordant les mains. Oh ! elle a dit beaucoup, beaucoup plus que cela !

`She says she only said "if" ... '

`But she said a great deal more than that!' the White Queen moaned, wringing her hands. `Oh, ever so much more than that!'

À toutes les tentatives de justification que profère l’héroïne, les deux mégères répondent avec alacrité et mauvaise foi, déplorant tantôt son « caractère détestable» [nasty, vicious temper], tantôt son manque d’éducation en matière de bonne manières [ I daresay you've not had many lessons in manners yet?']. Même lorsque ses arguments se tiennent, la Reine Rouge et la Reine Blanche essaient de la piéger. La situation d’évaluation devient insoutenable pour la pauvre Alice, qui se conforte à part soi : « Quelles bêtises nous disons...» [What dreadful nonsense we are talking!]

« Sais-tu faire une Addition ? demanda la Reine Blanche. Combien font un plus un plus un plus un plus un plus un plus un plus un plus un plus un ?

– Je ne sais pas, j'ai perdu le compte.

– Elle ne sait pas faire une Addition, dit la Reine Rouge. Sais-tu faire une Soustraction ? Ote neuf de huit.

– Je ne peux pas ôter neuf de huit, répondit vivement Alice ; mais…

– Elle ne sait pas faire une Soustraction, déclara la Reine Blanche. Sais-tu faire une Division ? Divise un pain par un couteau… qu'est-ce que tu obtiens ?

– Je suppose…. commença Alice. Mais la Reine répondit pour elle :

– Des tartines beurrées, naturellement. Essaie une autre Soustraction. Ôte un os d'un chien : que reste-t-il ? Alice réfléchit :

– L'os ne resterait pas, bien sûr, si je le prenais… et le chien ne resterait pas, il viendrait me mordre… et je suis sûre que, moi, je ne resterais pas !

– Donc, tu penses qu'il ne resterait rien ? demanda la Reine Rouge.

– Oui, je crois que c'est la réponse.

– Tu te trompes, comme d'habitude ; il resterait la patience du chien.

– Mais je ne vois pas comment…

– Voyons, écoute-moi ! s'écria la Reine Rouge. Le chien perdrait patience, n'est-ce pas ?

– Oui, peut-être, dit Alice prudemment.

– Eh bien, si le chien s'en allait, sa patience resterait ! s'exclama la Reine.

Alice fit alors observer d'un ton aussi sérieux que possible : 134 -

– Ils pourraient aussi bien s'en aller chacun de leur côté. Mais elle ne put s'empêcher de penser : « Quelles bêtises nous disons ! »

[‘And you do Addition?' the White Queen asked. `What's one and one and one and one and one and one and one and one and one and one?'

`I don't know,' said Alice. `I lost count.'

`She can't do Addition,' the Red Queen interrupted. `Can you do Subtraction? Take nine from eight.'

`Nine from eight I can't, you know,' Alice replied very readily: `but... '

`She can't do Subtraction,' said the White Queen. `Can you do Division? Divide a loaf by a knife ... what's the answer to that?' `I suppose... ' Alice was beginning, but the Red Queen answered for her. `Bread-and-butter, of course. Try another Subtraction sum. Take a bone from a dog: what remains?' Alice considered.

`The bone wouldn't remain, of course, if I took it... and the dog wouldn't remain; it would come to bite me ... and I'm sure I shouldn't remain!'

`Then you think nothing would remain?' said the Red Queen. `I think that's the answer.'

`Wrong, as usual,' said the Red Queen: `the dog's temper would remain.'

`But I don't see how ... '

`Why, look here!' the Red Queen cried. `The dog would lose its temper, wouldn't it?'

`Perhaps it would,' Alice replied cautiously.

`Then if the dog went away, its temper would remain!' the Queen exclaimed triumphantly.

Alice said, as gravely as she could, `They might go different ways.' But she couldn't help thinking to herself, `What dreadful nonsense we are talking!'

Voici un extrait de ce qui constitue une véritable joute verbale, totalement dépourvue de sens ; c’est l’épreuve orale apparemment inconditionnelle, et comparable à celle de l’échange entre Alice, le Griffon et la Simili-Tortue d’une part, à celle du tribunal d’autre

part, dans le texte d’Alice au pays des merveilles.

Les enseignements scolaires sont évoqués à de nombreuses reprises, et toujours satirisés dans un langage ludique et nonsensique propre à Lewis Carroll. L’examen se termine par une violente humiliation de la Reine Blanche par la Reine Rouge, et Alice se retrouve, on ne sait comment ni pourquoi, à devoir leur chanter une berceuse ; elle s’exécute, et les deux reines s’endorment sur son épaule. La chute de la conversation est au moins aussi brutale que son déroulement.

5. LE FESTIN DU SACRE

Après une brève transition sur le seuil d’un « porche voûté » 1, Alice arrive dans « la grand-

salle » où se donne le dîner de son intronisation. Dans une configuration similaire au procès du pays des merveilles, l’assemblée est nombreuse : « il y avait environ cinquante invités de toute espèce : certains étaient des animaux, d'autres, des oiseaux ; il y avait même quelques fleurs » [there were about fifty quests, of all kinds: some were animals, some birds, and there were even a few flowers among them] ; à son arrivée, « un silence de mort » s’installe [there was a dead silence the moment she appeared]. La petite fille prend place entre les deux reines, qui lui présentent tour à tour le « Gigot de Mouton » et le « Pudding ». Ainsi personnifiés, ces deux mets ne peuvent donc plus être mangés ; car comme le souligne la

Reine Rouge, « il est contraire à l'étiquette de découper quelqu'un à qui l'on a été présenté » [it isn't etiquette to cut any one you've been introduced to]. Ceci n’est qu’un exemple parmi les multiples absurdités qui se produisent tout au long du repas.

Nous retenons de cette ultime scène qu’Alice y est sollicitée pour s’exprimer devant tout le monde : « Tu devrais remercier par un discours bien tourné, déclara la Reine Rouge en regardant Alice, les sourcils froncés » [`You ought to return thanks in a neat speech,' the Red Queen said, frowning at Alice as she spoke].

Alice se lève alors, « très docilement, mais avec une certaine appréhension, pour prendre la parole » [Alice got up to do it, very obediently, but a little frightened]. Les Reines lui proposent même de l’aide, mais elle refuse : « Je vous remercie beaucoup, répondit Alice à voix basse ; mais je n'ai pas du tout besoin d'être soutenue ».[Thank you very much,' she whispered in reply, `but I can do quite well without.']

Alice commence donc son laïus ; dès ce moment, les personnages présents se dispersent, se transforment et « se mettent à voleter » dans le désordre le plus absolu. L’image la plus effrayante demeure sans doute celle de la Reine Blanche à qui Alice croit s’adresser, remplacée subitement par le gigot de mouton. Lorsqu’on se souvient qu’elle s’était transformée en brebis, on ne peut que comprendre Alice qui s’écrie : « je ne peux plus supporter ça!» [I can't stand this any longer!].

Pour tenter de mettre fin à ce capharnaüm, la petite fille, « en saisissant la nappe à deux mains», la « tira un bon coup, et assiettes, plats, invités, bougies, s'écroulèrent avec fracas sur le plancher » [seized the table-cloth with both hands: one good pull, and plates, dishes, guests, and candles came crashing down together in a heap on the floor].

La rupture du rêve intervient au moment où Alice se met à secouer la Reine Rouge, « jusqu’à ce qu’elle se transforme en chatte ». La description de sa métamorphose est même le seul et unique objet du chapitre X (Secouement/ Shaking), qui ne fait que quelques lignes. Le résultat, lui, ne fait qu’une phrase, et constitue le chapitre XI « Réveil/ Waking» : « et, finalement, c'était bel et bien une petite chatte noire » [and it really was a kitten, after all]. Petite chatte noire qui entendra le récit de ses aventures, comme nous l’avons déjà vu dans notre propos sur les monologues.

1 [an arched doorway], rappelant singulièrement celui de la maison de la Duchesse du pays des merveilles - gardé lui

Partie II