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Chapitre seize

Dans le document BOUTONS ET DENTELLE PENELOPE SKY (Page 156-164)

Pearl

Je me suis réveillée dans un lieu inconnu. Le soleil entrait par la fenêtre ouverte, et le gazouillis des oiseaux a empli mes oreilles. Ils se parlaient entre eux, communiquant dans un langage que je ne comprendrais jamais.

La lumière a réchau é ma peau, me faisant oublier la froidure de l’hiver. Elle toquait à mes paupières, m’invitant à me réveiller même si je me sentais toujours épuisée.

J’ai fini par ouvrir les yeux et regarder autour de moi.

Les volets étaient ouverts, laissant entrer la brise dans la chambre. Les rideaux beiges, tirés, contrastaient avec les murs bruns. Le haut de la fenêtre avait une forme ovale qui me faisait penser à une voûte gothique.

J’ai étudié le reste de la pièce. Un canapé circulaire marron entourait une table ronde. Il était blanc, rehaussé de coussins dorés. Un téléviseur était accroché au mur, en surplomb d’une cheminée en pierre. Il y avait une coi euse blanche contre un mur, avec des brosses et des pots de maquillage antiques. La pièce était aussi grande qu’une

maison. La porte dans l’angle devait s’ouvrir sur une salle de bain.

C’était la première fois depuis mon enlèvement que je me réveillais sans avoir peur. La première fois que le chant des oiseaux faisait o ce de réveille-matin. Je n’avais pas vu une fenêtre ouverte depuis des mois, et j’avais oublié à quel point c’était agréable.

Je me suis levée et me suis dirigée vers la fenêtre. Je portais la même robe que la veille. Les volets étaient grand ouverts. Sous mes yeux s’étendaient à perte de vue des rangées de vignes —  jusqu’à des collines au loin. Aucune maison n’était en vue. J’étais isolée, loin de toute ville.

Le soleil brillait haut dans le ciel, illuminant chaque parcelle de terre où portait l’œil. J’étais au deuxième étage, je voyais de l’herbe en bas. Elle était luxuriante et sombre, plus sombre que le feuillage de la vigne.

J’ai posé mes doigts sur le rebord de la fenêtre et j’ai senti la liberté courir dans mes veines. Je pourrais sauter par la fenêtre et courir le plus vite possible, puis me perdre dans les vignes. L’idée était si tentante et facile.

Mais serait-ce si facile ?

Je me suis retournée et j’ai examiné le mobilier de la pièce. Il y avait des étagères croulant sous les livres et une pile de magazines sur une table basse, un vase contenant une rose fraîche, cueillie du matin. Dessous, il y avait un mot écrit à la main.

Ne t’enfuis pas.

Il n’était pas signé, mais je savais qui l’avait écrit.

J’ai examiné la salle de bain. Un carrelage impeccable, et une décoration magnifique empreinte de culture italienne.

Ma prison était sublime. N’importe qui rêverait de vivre dans un tel endroit.

Je suis sortie de la salle de bain et me suis dirigée vers les portes qui accédaient au reste de la maison. Si la fenêtre était ouverte, j’imaginais que je pouvais m’aventurer dans la maison.

J’ai ouvert les portes et je suis sortie dans le couloir. Il y avait un grand escalier sur ma droite, tandis que le couloir continuait à gauche.

Une voix est sortie de nulle part.

– Bonjour, mademoiselle.

Un majordome en trois-pièces est apparu. Il se tenait avec élégance en dépit de son âge, et l’a abilité brillait dans ses yeux. Il semblait ino ensif, doux comme un agneau.

– Qui es-tu ? laissai-je échapper.

– Lars. Ravi de faire votre connaissance.

Ça ne répondait pas à ma question

–  Sa Grâce s’apprête à prendre son petit déjeuner.

Désirez-vous vous joindre à lui ?

Avais-je le choix ? J’avais faim. Et je voulais des réponses.

– OK.

– OK ? Ma question exige un oui ou un non.

Je lui ai lancé un regard agacé.

– Bien sûr.

– Ça ira. Suivez-moi.

Il est passé devant moi et a descendu l’escalier jusqu’au rez-de-chaussée. Les portes et les fenêtres étaient voûtées comme celle de ma chambre. Le carrelage rutilait comme s’il était neuf et l’endroit était spacieux, luxueux. Mon ravisseur ne vivait pas seulement dans un manoir. Il vivait dans

l’élégance. La demeure de Bones était fade et moche — à son image. Cet endroit était décoré avec goût.

Lars m’a accompagnée dans une salle à manger. Une immense fenêtre occupait tout un mur, faisant la part belle aux vignes qui entouraient la maison. La table en acajou était assez grande pour asseoir seize personnes. Invitait-il régulièrement seize personnes à dîner ?

Lars a tiré une chaise, puis il l’a repoussée une fois que j’étais assise.

– Il ne va pas tarder.

Il est sorti en laissant les battants de la double porte ouverts. J’ai entendu des bruits de casserole en provenance de la cuisine, signe qu’il préparait le petit déjeuner.

Je suis restée assise en silence, absorbée par la vue magnifique face à moi. Malgré ma peur, je ne pouvais pas nier la beauté du paysage. Je n’avais jamais rien vu de semblable dans ma vie, et je doutais de revoir un jour un paysage di érent.

Quelques instants plus tard, il est entré en costume bleu foncé et cravate violette. Il avait belle allure, comme la première fois que je l’avais vu au bar. Il marchait avec assurance, les épaules larges et puissantes. Sa présence, même silencieuse, su sait à en imposer. Il était à la fois terrifiant et fascinant.

Au moment où il s’est assis, Lars est entré dans la pièce comme s’il attendait son signal. Il a posé devant lui une omelette aux œufs blancs avec des champignons, tomates et épinards, une tasse de café et le journal du matin.

L’homme l’a remercié en italien. Du moins, c’est ce que j’ai cru comprendre.

Lars a posé le même plat devant moi, avec un journal en anglais. Puis il est sorti en refermant les portes derrière lui.

Mon ravisseur a bu son café et ouvert le journal, faisant comme si je n’étais pas là. Il ne m’a même pas regardée. Son attitude laissait penser qu’on avait déjà déjeuné ensemble avant — plusieurs fois.

J’ai mangé en silence, savourant le goût de l’omelette.

Tout semblait frais, comme cueilli du matin. Les légumes n’avaient pas l’air de provenir du supermarché. Ils étaient bios, à l’évidence. Le café était meilleur que le jus de chaussette de ma précédente prison. Tout était mieux, en fait. Un exemplaire du New York Times était posé devant moi, avec des titres dans ma langue.

Il ne faisait toujours pas attention à moi. Il tournait les pages et continuait de lire.

– Donc… qu’est-ce que je…

– Tu pourras me parler quand j’aurai fini ma lecture.

Il a parlé sans lever les yeux de son journal. Il a avalé quelques bouchées et bu son café.

Quel connard.

Trente minutes plus tard, il a replié le journal, qu’il avait lu de la première à la dernière page, et l’a posé sur la table.

– Oui ? dit-il.

J’ai lu le journal en signe de protestation, l’ignorant comme il m’avait ignorée.

Il a avalé une gorgée de café et m’a regardée.

– Rancunière, hein ?

– Je n’aime pas être traitée comme un chien, voilà tout.

–  Eh bien, j’espère que tu apprendras rapidement à apprécier ce traitement.

Il m’a arraché le journal des mains et l’a posé sur le sien.

Cet homme était exaspérant. J’avais envie de lui planter ma fourchette dans l’œil, mais je savais que je le raterais.

– Tu as eu mon mot ce matin.

Je détestais quand il me posait une question sous la forme d’une a rmation. Quelle arrogance. Il se comportait comme si tout lui appartenait — moi y compris.

– Il serait inutile de t’enfuir.

Je voulais savoir pourquoi, mais je refusais de le demander, par défi.

–  J’ai implanté un mouchard dans ta cheville. Je saurais quand tu pars et où tu vas. La ville la plus proche se trouve à cinquante kilomètres. Tu n’auras pas le temps d’y arriver, même en voiture.

J’ai instinctivement tâté mes chevilles, jusqu’à ce que je sente une bosse sur la droite.

– Espèce de monstre.

– Je peux l’enlever si tu veux.

– Alors, fais-le tout de suite.

–  Mais tu resteras enfermée dans ta chambre en permanence. Je ferai installer des barreaux aux fenêtres et on te montera tes repas. Si c’est ce que tu préfères, alors je l’enlève.

L’ombre d’un sourire est passée sur ses lèvres.

Putain d’enfoiré.

– Qu’en dis-tu ?

J’ai regardé ailleurs, refusant de formuler une réponse verbale.

– C’est bien ce que je pensais.

Il était assis le dos parfaitement droit comme s’il assistait à une réunion d’a aires. Le costume, sur lui, paraissait souple plutôt que serré. Chaque fois qu’il bougeait, ses mouvements étaient empreints d’élégance. Il était un tueur quand il le fallait — et un diplomate le reste du temps.

– Pourquoi suis-je ici ?

En me réveillant ce matin, je n’avais détecté aucune douleur. Il semblait avoir tenu parole et ne pas m’avoir violée à mon insu. Et il n’avait laissé personne d’autre me toucher.

Je ne voulais pas lui faire confiance ni lui être reconnaissante pour sa clémence passagère. Il était le mal incarné. Il était mon ennemi. À la première occasion, je le tuerais. Et j’y prendrais du plaisir.

– Parce que je veux que tu sois là.

– Pourquoi as-tu empêché ces hommes de faire ce qu’ils voulaient avec moi ?

– C’était le seul moyen de te canaliser.

– Mais tu m’as eue. Tu m’as empêchée de mettre fin à ma misérable existence.

Il a bu une gorgée de café.

J’attendais une réponse.

Il ne me l’a jamais donnée.

Je me suis impatientée.

– Euh, allô ? Je t’ai posé une question.

– Tu peux demander ce que tu veux. Ça ne veut pas dire que je vais te répondre.

J’avais envie de gifler sa belle gueule. Je voulais que son teint parfait rougisse sous mes doigts.

– Pourquoi m’as-tu enlevée à Bones ? – Bones est mon ennemi.

– D’accord... mais quel est le rapport avec moi ?

– Il tient à toi. Il t’apprécie. Il est plus facile de faire du mal à quelqu’un en s’en prenant à une personne qu’il aime.

Je pourrais le démembrer vivant, ça lui ferait moins mal que ce que je m’apprête à te faire subir.

Mon sang s’est glacé. J’avais bêtement cru que cet homme était moins dangereux que les autres. J’avais peut-être pris la mauvaise décision. Derrière la façade de cette belle demeure se cachait en réalité le terrain de jeu du diable.

– Tu te trompes. Je ne compte pas pour lui. Mon absence ne l’empêchera pas de dormir.

–  C’est là où tu as tort. Je l’ai vu avec toi. Il n’a jamais emmené une esclave à l’usine. Ni à l’opéra. Et il n’a jamais refusé de donner une esclave en pâture à ses hommes. Si ce n’est pas de l’amour, alors je ne sais pas ce que c’est.

Comment savait-il tout cela ?

Étrangement, il lisait dans mes pensées.

–  Je vous ai observés à l’opéra. Je t’ai dit de ne pas t’enfuir parce que je voulais t’enlever et que ça aurait foutu mon plan en l’air. Je ne t’aidais pas. Je m’aidais moi.

Le grand mystère était résolu.

– Et maintenant ? Tu vas lui demander une rançon ?

–  Non. Je ne te rendrai jamais. Même pour tout l’or du monde.

Ma situation s’assombrissait de seconde en seconde.

– Alors, tu veux dire que… je serai à jamais ton esclave ? Il a reposé son café et m’a regardée droit dans les yeux.

– Seulement jusqu’à ce que je te tue.

Dans le document BOUTONS ET DENTELLE PENELOPE SKY (Page 156-164)