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3.1Position du chercheur et nature des relations avec le terrain de recherche et la

problématique de recherche

M on parcours professionnel dans la Chaîne Logist ique, long de plus de vingt années, m’a donné la conviction que la Chaîne Logist ique est un terrain où se développent de nombreuses connaissances qui gérées peuvent contribuer à une meilleure performance de la Chaîne Logist ique.

A la suite d’un master de recherche effect ué en collaboration avec le Cnam et Siemens VDO Dayt on, en 2005, dont le sujet visait à analyser si la Chaîne Logist ique possède un terrain (cadre et processus) favorable à l’apprent issage organisationnel (Argyris et Schön, 2000), j’ai proposé à l’Ecole Cent rale Paris, un sujet de t hèse sur la gestion des connaissances dans la Chaîne Logist ique.

Après validat ion et affiliation fin 2007, dans le Laborat oire Génie Industrie, dans le Knowledge M anagement Research Group, j’ai recherché un terrain de recherche organisat ionnel. Cet te mot ivat ion ét ait renforcée par deux point s. Premièrement car ces sujet s sur la gestion des connaissances dans une fonction aussi t ransversale que la Chaîne Logist ique sont peu abordés dans la litt érat ure et sont au demeurant complexes à comprendre. Deuxièmement mon parcours professionnel de logisticien dans de nombreuses fonctions logistiques (Administ ration des ventes, responsable des opérat ions, responsable chaîne logistique, responsable gest ion de la demande Europe, …) m’a convaincue de l’importance de gérer la connaissance logistique pour une plus grande performance organisationnelle et reconnaissance de sa mission et des acteurs qui la composent.

M on object if ét ait clair. Je souhait ais cont inuer d’exercer m on métier de logisticien, et me servir de mon context e professionnel pour mener cet te thèse. Aussi je post ulais dans

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différentes entreprises en proposant mes compétences et aussi ce sujet de recherche soutenu par l’Ecole Cent rale Paris.

En Décembre 2007, l’entreprise Bonfiglioli Transmissions qui recherchait un Responsable Logist ique a retenu ma candidat ure et a accepté mon sujet de recherche « dans la mesure où il me laisserait assez de t emps pour réaliser mes missions ».

Je les rassurai en expliquant que je réaliserais ma mission en la centrant sur les connaissances de l’organisation. En outre j’expliquai que je souhait ais utiliser le déploiement d’un ERP dans l’organisat ion, ainsi qu’une part ie de ma mission me le demandait, t out en le focalisant sur les connaissances processus et humaines de l’organisat ion. Je garant is aussi que le t ravail de rédact ion, de recherche litt éraire, les réunions à l’Ecole Cent rale Paris se feraient sur mon t emps de congés et les week-ends.

M ener cette recherche-intervention présente deux atouts :

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Créer un climat de confiance avec l’entreprise permett ant de mener l’expériment at ion en toute sérénité. Int roduire la Gest ion des Connaissances dans la chaîne logist ique intra-organisat ionnelle est aujourd’hui encore une prat ique innovant e. Aussi l’ent reprise peut êt re craint ive vis-à-vis d’une telle expériment at ion. La présence d’une chercheuse-intervenant e ayant une vingtaine d’années d’expérience en management de la chaîne logist ique et ayant réalisé un master de recherche en parallèle de son activité professionnelle permet de rassurer l’entreprise. De plus l’équipe encadrante de l’Ecole Centrale Paris est composée d’une experte Système de Gest ion des Connaissances et de deux experts en management de la chaîne logistique.

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Pouvoir mener une expériment at ion à un niveau hiérarchique suffisamment élevé pour mener l’ét ude sur l’ensemble de la chaîne logist ique int ra-organisat ionnelle. Le fait d’être posit ionnée à la tête du Département Logist ique et d’avoir le sout ien de la Direct ion Générale pour une telle expérimentation est un point fort de la recherche. Ce qui m ’a perm is d’inst rumentaliser cet te recherche de l’int érieur de

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l’organisat ion en collaborat ion avec les acteurs, et en ayant accès de manière int errompue avec les données primaires et secondaires de l’organisat ion.

J’ai opérationnalisé seule l’intervention en complète immersion dans le contexte et cela de manière adapt at ive et itérat ive avec les acteurs de la Chaîne Logistique. Cett e int ervention s’est concrétisée par la mise en place de différent es act ions intent ionnelles qui ont ét é évaluées selon leur niveau d’acceptabilité et employabilité dans la durée.

Par le biais d’échanges mensuels avec les membres de l’équipe encadrante, des orientat ions ont été données pour améliorer l’int ervent ion, la cadrer et recadrer au regard de la question de recherche à explorer. Ce cadrage fut extrêmement important pour la maturat ion de la problémat ique qui fut très longue du fait du caractère qualitatif, explorat oire, constructivist e et itératif de cette recherche.

3.2Les raisons d’une posture épistémologique constructiviste pragmatique

Les travaux en Sciences de Gestion qui affichent une posture const ructivist e sont de plus en plus nombreux (Chanal, Lesca, & M artinet, 1997), pourtant de nombreux t ravaux montrent qu’il peut exist er des incohérences ent re l’int ent ion de mener à bien une post ure constructivist e et son opérationnalisation (Charreire & Huault, 2001).

Il est import ant de bien se posit ionner car il exist e deux grands paradigmes épistémologiques construct ivistes : celui développé par Guba & Lincoln (1989; 1998), et celui développé à partir des années 2000 par Von Glaserfeld (2001; 2005) le const ructivisme radical dit aussi pragmatique qui rejoint la conception du construct ivisme téléologique de Le M oigne (2001; 2002; 2003).

Notre t ravail de recherche se situe dans le second paradigme, bien que ces deux courants aient quelques points en commun. En premier ces paradigmes part agent le principe

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d’inséparabilité entre le système observé et le chercheur qui l’étudie. Deuxièmement ils s’accordent à considérer les connaissances comme l’ensemble des représent at ions intelligibles générées par les individus afin de donner un sens aux situations auxquelles ils sont confront és dans un context e commun. Enfin pour ces deux paradigmes la connaissance n’est pas une vérité absolue (Avenier, 2011, p. 376).

Pourtant il exist e des divergences concernant la nat ure des connaissances (hypot hèses gnoséologiques) et la constit ution, le rôle, la valeur et validit é de la connaissance (hypot hèses mét hodologiques) (Tableau 14).

Pour le construct ivisme radical ou pragmatique la nat ure de la connaissance s’appuie sur une hypot hèse phénoménologique. Elle dépend de l’individu qui agit dans le context e analysé en créant des connaissances en fonct ion de ses expériences passées, de ses finalités intent ionnelles, de ses valeurs et de sa culture. La connaissance n’a donc pas de valeur objective et exhaustive du réel. Le système analysé par le chercheur se constitue donc de multit udes d’expériences humaines. Pour exposer la nat ure des connaissances qui s’y déroulent le chercheur peut à contrario du paradigme épistémologique selon Guba et Lincoln émettre plusieurs hypothèses.

Selon le paradigme épistémologique radical ou pragmatique la connaissance se valide dans l’action cognitive intent ionnelle afin de const ruire des représent at ions fonctionnelles, adapt ées et viables pour faire évoluer durablem ent le syst ème étudié. Dans le paradigme constructivist e proposé par Guba & Lincoln, la validité de la connaissance repose sur un consensus des individus du syst ème afin de mieux comprendre le syst ème ét udié.

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Tableau 14 : Paradigmes et hypothèses constructivistes (adapté de Avenier, 2011, p.377).

Not re travail s’inscrit dans le paradigme épistémologique construct iviste radical car il ambit ionne de créer des connaissances en s’appuyant sur une mét hodologie de type Recherche-Intervention qui vise à organiser grâce à une action cognit ive intentionnelle un Syst ème de Gestion des Connaissance dédié à la Chaîne Logistique.

3.3M éthodologie

Sur ces sujet s de recherche provenant d’un problème complexe qui touchent les processus organisat ionnels, la recherche-act ion (Baskerville R. , 1999) ou sa variante plus ingénierique la recherche-intervention (David, 2000) paraissent des méthodes part iculièrement adaptées. Plus précisément nous choisissons la recherche-intervention qui présent e de nombreux avantages.

La recherche-intervent ion a pour object if tout à la fois de résoudre un problème opérationnel, mult i-rat ionnel, souvent mal structuré car émergent et enraciné dans une grande complexit é humaine et organisat ionnelle et d’enrichir le corpus de connaissances

Paradigme Epistémologique Constructiviste Radical/ Pragmatique

Glaserfeld (2001); Le Moigne (2001, 2002, 2003)

Paradigme Epistémologique Constructiviste Post-M oderniste Guba & Lincoln (1989, 1998)

Relation entre le chercheur

et le phénomène étudié ?

Nature de la connaissance ?

Hypothèse de la connaissance phénoménologique :

L'individu ne connaît que sa propre expérience du réel, il ne connaît donc pas le réel objectivement et exhaustivement, La connaissance dépend de l'individu dans son contexte (finalités intentionnelles, culture, valeur, ...) -> la connaissance identifiée par le chercheur découle de plusieures hypothèses fondatrices postulé es

Hypothèse d'ontologie relativiste :

Il existe plusieurs réalités socialement construites,

non gouvernées par des lois naturelles, …. -> la connaissance identifiée par le chercheur découle d'une hypothèse fondatrice postulée

Validit é de la connaissance ?

La connaissance se valide factuellement dans l'action. Principe du Verum/ Factum (Vico, 1858)

La connaissance se valide par consensus entre les individus

Rôle de la connaissance ?

Organiser un système composé d'expériences humaines grâce à l'action cognitive intentionnelle en vue de constructions symboliques (représentations) fonctionnelles, adaptées et viables

pour évoluer

Améliorer les compréhensions des situationsétudiées grâce à l'élaboration d'un consensus de la part des individus du sytème étudié

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théoriques considérées comme insuffisantes sur ces problèmes organisat ionnels complexes et faisant souvent appel à des savoirs non act ionnables (Chanal, Lesca, & M artinet , 1997).

La recherche-intervention part du principe que les organisations humaines ne peuvent êt re comprises qu’en adoptant une vision globale et que la meilleure manière de comprendre ces organisat ions est d’introduire des changements et d’observer l’effet de ces changements. La recherche-intervention « recouvre donc une volonté de transformat ion plus affirmée que la recherche-action, faisant place à une ingénierie du management » (Lallé, 2004, p. 46). De ce fait le chercheur effectue la recherche à l’intérieur de l’organisat ion, il contribue aux act ions de l’organisation, il insère des changement s intentionnels qui conduisent à une implicat ion des act eurs de l’entreprise dans le projet de transformat ion.

Dans ce processus méthodologique, des allers retours entre le terrain et la théorie sont nécessaires (Figure 18) pour dét erminer la problémat ique, instrument aliser et art iculer la recherche-intervention et pour analyser les résultats issues de l’opérat ionnalisation de la recherche-intervent ion.

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La variant e ingénierique de la Recherche-Act ion la Recherche-Int ervent ion comporte trois phases de t ravail (Baskerville R. , 1999) :

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une phase de diagnostic qui implique une analyse du cont exte de l’organisat ion étudiée en collaboration avec les acteurs de l’ent reprise

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une phase dite « thérapeutique » dans laquelle le chercheur introduit des éléments de t ransformation de l’organisat ion pour étudier leurs im pact s

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une phase sur le retour des apprentissages.

La Recherche-Intervention repose quat re principes (David, 2000) :

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un objectif de compréhension en profondeur du fonctionnement du système, associé à une démarche d’investigat ion part iculière conduisant le chercheur à utiliser sa position pour coproduire des connaissances depuis l’int érieur du système et non depuis l’extérieur ;

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la product ion de connaissances se fait dans l’int eract ion avec le t errain. Elle se fait not amment via la concept ion et la mise en œuvre d’out ils de gest ion et de procédures;

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le chercheur parcourt différents niveaux théoriques le conduisant notamment à revisiter sans cesse les théories existantes grâce aux matériaux empiriques. Ceci nécessite notamment pour le chercheur de maîtriser les concepts de la théorie des organisat ions, de connaît re les out ils de gestion mais également de savoir acquérir les compét ences t echniques ;

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l’intervention a nat urellement un caract ère normat if.

C’est pourquoi la recherche-intervention invit e le chercheur à ut iliser un context e t héorique ouvert et mult idisciplinaire qui au fil de la recherche, grâce aux itérat ions ent re différents niveaux théoriques, recent rera la problémat ique industrielle et scient ifique. (David, 2000; Paillé, 2006).

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3.4Principes de précaution du chercheur

Le chercheur doit rythmer, cadrer et encourager « l’act ion collective » (Hatchuel & Weil, 2006) dans un but de compréhension et de résolution commune de la problémat ique de recherche. Tout ceci en faisant preuve d’une grande rigueur pour correspondre aux critères mét hodologiques et épistémologiques reconnus par les scientifiques. Une recherche-intervention s’inscrit dans une posture constructiviste dont les résultats doivent êt re validés selon des principes de crédibilité, fiabilité et transférabilité (M akamurera, Lacourse, & Cout urier, 2006).

Plus part iculièrement nous nous rat tachons au paradigme épistémologique constructivist e radical ou pragmatique (Avenier, 2011). Selon ce paradigme le principal critère de scient ificité est « d’expliciter au mieux le cheminement poursuivi jusqu’à la product ion des résultats en référence avec l’objectif de la recherche » (Rix-Lièvre & Lièvre, 2009, p. 164).

Cett e rigueur doit avoir comme fil conduct eur écout e, empat hie, principe d’enracinement , d’exhaust ivité, de justesse, de conversat ion et d’opport unismes mét hodologique (Dobscha & Ozanne, 2001).

En out re mon statut de salarié dans l’ent reprise doit aussi êt re considéré dans le principe de précaut ion du chercheur. Ce st at ut de « chercheur-act eur » (Lallé, 2004) nécessite de nombreux efforts. Le premier est de raccrocher son activité professionnelle à sa recherche. C’est pour cela que j’ai choisi de quitter Siemens VDO Dayton chez qui j’avais réalisé un master de recherche pour t rouver un t errain vierge de tout e recherche et en adéquat ion avec mon object if de recherche.

Suit e aux ent ret iens d’embauche, j’ét ais convaincue que Bonfiglioli Transmissions correspondait à un t errain parfait de par la mission principale proposée, l’exist ence récente de la fonct ion logistique qui correspondait à mes connaissances techniques logistiques éprouvées durant plus de 15 ans.

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Les phases d’intériorisation et d’extériorisation soutenues par l’équipe du laborat oire de recherche m’ont permis l’ancrage théorique, la construct ion collect ive d’un sens académique à donner aux act ions que j’intent ionnalisais. Ces échanges représent èrent un soutien formidable pour dépasser isolement, incertit udes, …

Consciente que le statut de « chercheur-act eur » peut êt re considéré comme trop empirique et peu validé d’un point de vue académique et scientifique, j’ai effect ué de nombreuses itérat ions ent re le t errain de recherche et la litt érat ure.

3.5Rétrospective de la Recherche-Intervention

Notre recherche-intervention s’est déroulée sur trois années (Tableau 15).

Tableau 15 : Chronologie de la Recherche-Intervention

La phase d’audit a permis :

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comprendre la culture de l’organisat ion,

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de représenter le réseau d’influence entre les acteurs intervenant dans la Chaîne Logist ique,

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d’identifier les connaissances logist iques individuelles et la maturité de la Chaîne Logistique chez Bonfiglioli Transmissions (connaissances collect ives ou organisat ionnelles).

Les phases de t hérapeutiques ont permis :

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une modélisation des processus logistiques en fonction des modèles d’affaires de l’organisat ion

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un enrichissement des connaissances logist iques collect ives

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une adaptation du syst ème de gestion et d’informat ion

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un enrichissement des document s processus

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un enrichissement d’apprentissage grâce aux dysfonctionnements

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une évolut ion des cartographies de connaissances individuelles en fonct ion de l’évolution dans la prat ique du poste

Notre Recherche-Intervention s’ét ant déroulée dans la durée, sur une période de 3 ans, nous avons choisi de séparer la phase thérapeut ique en 2 t emps. Le premier t emps correspond à la phase de mise en place d’un ERP associée à la démarche de Gest ion des Connaissances. Le second correspond à la période postérieure à la phase d’implant at ion (Tableau 16) c'est -à-dire à une phase d’ut ilisat ion, d’appropriation de l’out il et de la démarche de Gest ion des Connaissances. Néanmoins nous verrons que cet te seconde ét ape a rapidement ét é associée à un projet d’améliorat ion des processus lié un object if de certificat ion groupe. Aussi nous avons ancré ce second temps thérapeut ique dans une démarche de qualité totale.

Le choix de bien différencier ces deux phases thérapeutiques a aussi été motivé par les itérat ions fait es, tout au long de not re recherche, avec la litt érature concernant les Systèmes d’Informat ion. En effet les travaux issus du courant interact ionnist e soulignent les changement s organisationnels et d’innovat ions peuvent intervenir aussi bien pendant le phase d’implantation des syst èmes d’informat ion qu’après selon les usages qu’en font les act eurs (Orlikow ski, 1992; Akrich, 1993).

111 Tableau 16 : Détails des phases de la Recherche-Intervention

La phase d’évaluation, du fait de l’appartenance du chercheur à l’organisat ion, a pu s’effectuer de manière cont inue et de l’int érieur de l’organisat ion. Elle a permis essentiellement de valider le niveau d’appropriation de la démarche de Gest ion des connaissances par les collaborat eurs et par l’organisat ion elle-même, et de révéler les changements qui se sont opérés.

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