CHAPITRE II LE CADRE CONCEPTUEL
2.2 LE CHANGEMENT DE LA PRATIQUE ENSEIGNANTE
Au chapitre premier, nous avons discuté du fait que l’enseignement incarne une pratique professionnelle. D’une part parce qu’il s’agit d’un métier s’adressant à autrui et d’autre part, parce que l’acte d’enseigner inclut une capacité importante de résolution de problèmes par la réflexion dans l’action. Également, nous avons défini la pratique enseignante comme étant un acte complexe, situé, interactif et évolutif, qui
suppose des ajustements constants. Au début du second chapitre, il s’est avéré clair
que le moyen privilégié pour développer et ajuster la pratique professionnelle d’un enseignant était la formation continue. Puisque nous souhaitons documenter les liens
possibles entre des activités de formation continue et des changements qui en
découlent dans la pratique enseignante, et qui correspondent à des bénéfices sur le
plan professionnel, il importe à ce stade de préciser ce que nous entendons par les
notions de changement et de bénéfice. Ainsi, considérant ce contexte d’apprentissage par la formation continue, nous nous attardons à une définition du changement qui
prend en compte la notion de bénéfice et qui voit le changement comme un processus
d’ « énovation ».
Tout d’abord, B. Charlier (1998) propose de définir la notion de changement de pratique enseignante de la façon suivante :
Lorsque nous parlons de changement de pratique d’enseignement, nous évoquons les changements mis en œuvre par un enseignant au moment de la planification de l'enseignement, de la phase interactive ou de la phase postinteractive. Il peut concerner ses schèmes d'action, ses décisions de planification ou ses connaissances, de même que les actions mises en œuvre, les interactions avec les pairs et la réflexion exercée sur l'action. (p.78)
B. Charlier (1998) insiste sur le fait qu’un enseignant doit avoir un certain niveau de
maitrise de sa pratique pédagogique et qu’elle se soit stabilisée pour s’y appuyer et pour la remettre en cause. En d’autres termes, la pratique enseignante doit être suffisamment significative pour que l’enseignant puisse y fonder son projet. L’auteur
ajoute que pour qu’il y ait un changement, un effet sur l’acte d’enseigner, le projet de développement et de changement doit être ancré dans l’histoire personnelle du praticien. Conformément à la définition présentée, l’enseignant doit être en mesure de
remettre en cause sa pratique pour aspirer au changement. C’est donc dire que ce
dernier doit faire preuve d’une pratique réflexive active.
Chez d’autres auteurs, c’est l’intérêt du participant pour la modification de sa pratique qui s’avère nécessaire à tout changement. En ce sens, Crozier et Friedberg (1981) expliquent que « les membres d’une organisation ne sont pas, en
effet, attachés de façon passive et bornée à leur routine. Ils sont tout à fait prêts à
changer très rapidement s’ils sont capables de trouver leur intérêt dans les jeux qu’on leur propose » (p.386). Il importe de comprendre que les enseignants ont tout intérêt à
s’investir dans un processus de changement pour améliorer leur pratique. De ce fait, le changement de pratique peut être envisagé comme une opportunité à saisir ou
comme « la possibilité qu’entrevoit l’acteur de saisir une occasion d’agir en espérant
un gain » (L'Hostie, 1998, p. 83). Ainsi, en utilisant les ressources internes et externes
adéquates, l’enseignant peut aspirer à réaliser des bénéfices. Dans cette étude, nous entendons donc la notion de bénéfice comme un gain qui se produit dans la pratique
d’un enseignant. Nous souhaitons en effet comprendre comment la formation continue peut bonifier la pratique enseignante.
Dans ce contexte, le changement peut être compris en termes d’ « énovation ».
D’un côté, l’ « innovation » réfère à un remplacement des pratiques existantes où le changement se base sur l’implantation d’une nouveauté ou sur le remplacement des pratiques existantes (Gélinas, 2004; Masciotra & Medzo, 2009). D’un autre côté,
l’ « énovation » réfère au « processus d’émergence basé sur la création de sens et concernant le changement comme un soutien à l’adaptation des pratiques » (Gélinas, 2004, p. 40). En d’autres termes, l’énovation consiste « à engager les enseignants
dans un processus de changement au départ des pratiques actuelles afin de les
enrichir, de les élargir et de les renouveler progressivement » (Masciotra & Medzo,
2009, p. 17). Les pratiques existantes représentent ici le point de départ du processus
de changement. Il ne s'agit pas de les remplacer, mais de poursuivre leur
développement. Ce modèle du changement des pratiques s’accorde donc avec la
vision de Crozier et Friedberg (1981) qui expliquent que le changement peut être
compris en termes d’acquisition de capacités :
Le changement réussi ne peut donc être la conséquence du remplacement d’un modèle ancien par un modèle nouveau qui aurait été conçu d’avance par des sages quelconques; il est le résultat d’un processus collectif à travers lequel sont mobilisées, voire créées, les ressources et capacités des participants nécessaires pour la constitution de nouveaux jeux dont la mise en œuvre libre – non contrainte – permettra au système de s’orienter ou de se réorienter comme un ensemble humain et non comme une machine. (p. 391)
Il importe de nuancer que ces changements peuvent s’opérer de façon
consciente ou non et que ce ne sont pas tous les aspects de la pratique qui peuvent
être sujets à changement: « Certains fonctionnements, organisations, rapports
demeureront relativement identiques, d’autres encore seront modifiés de façon plus
radicale et enfin il y aura aussi instauration de nouveautés » (Masciotra & Medzo,
En terminant, pour qu’un enseignant s’inscrive dans un processus de transformation de sa pratique, il importe qu’il soit actif dans son apprentissage. En ce
sens, les auteurs Masciotra et Medzo (2009) expliquent que l’apprentissage est actif
« lorsque l’apprenant s’engage activement dans une activité dans laquelle il
transforme quelque chose tout en se transformant lui-même » (p.24). Ce phénomène
correspond en d’autres termes à une transformation de l’objet et à une transformation de soi, nommé « double transformation ». Dans le contexte de cette recherche, une
double transformation pourrait correspondre à l’utilisation d’un nouvel outil
technologique pour animer une période d’évaluation sommative en classe. Dans cet exemple, l’enseignant utilise un outil technopédagogique découvert lors d’une
formation. D'abord, il l’adapte à l’usage qu’il souhaite en faire en classe selon son contenu et les éléments de compétence qu’il souhaite évaluer. L’enseignant a appris non seulement l’existence d’un tel outil, mais il a aussi développé sa capacité à l’utiliser. Il l’a adapté à son contenu et finalement, il a offert un environnement plus dynamique et interactif à ses étudiants en classe. Bref, il a été actif dans ses
apprentissages et engagé personnellement dans la transformation de ses pratiques.