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CHAMPS THEORIQUES DE L’ANTHROPOLOGIE DE LA NAISSANCE EN INDE

INTRODUCTION

Parmi l’ensemble des travaux menés en Inde au sujet de la naissance, trois domaines principaux semblent se dégager. Une large part des études est consacrée au faible statut des femmes indiennes dans la société et aux conséquences des pratiques sociales propres au système patriarcal familial sur la santé des femmes (A. George, 2002; Jeffery et al, 1989; Jeffery, Jeffery, 1993; Ramasubban, 1995). Par ailleurs, les effets du système politique étatique sur la santé des mères et des enfants sont largement documentés (Jejeebhoy, 2000; Mamdani, 2002; Ram, 1994; van Hollen, 2003a). Des auteurs se sont intéressés aux problématiques liées au contrôle des naissances par l’Etat (le planning familial) (Qadeer, Visvanathan, 2004) ou appliquées à l’échelle individuelle comme dans le cas des infanticides (Krishnaswamy, 1988). De plus, la question des matrones est souvent étudiée (Chawla, 1994; 2006; Ramasubban, Jejeebhoy, 2000)36. Les travaux menés par ce

courant de recherche concernent des études culturelles des savoirs et savoir-faire matrones mettant en avant les « pratiques ancestrales » de ces dernières ainsi que leur rôle social dans les villages où elles résident. Ces travaux visent à poser les arguments en faveur d’un refus de la médicalisation de l’accouchement. Ils semblent relayer ceux menés au Nord en ce domaine avec une tendance similaire à idéaliser les pratiques d’accouchement à domicile (Chawla, 1994; 2006; Mira, Bajpai, 1996). Les travaux menées au Nord ont été orientés principalement autour de la critique des pratiques de la naissance dans des milieux à haute utilisation de la technologie médicale, où accouchent la majorité des femmes. Au contraire, en Inde, seul un petit nombre de femmes ont accès à ce mode de prise en charge de l’accouchement. En Inde, les travaux ont principalement décrit la conception « holistique », et parfois mystique de l’accouchement à domicile avec l’aide des matrones et dans le système de médecine ayurvédique. Alors que le sida est un enjeu sanitaire majeur en Inde, peu de travaux en dehors de ceux menés par des équipes indiennes chargées de programmes médicaux (Care, 2004; Samuel et al, 2002; Vijayakumari et al, 2004) et par Cohen et Salomon (2004) ont documenté les conséquences du VIH sur les pratiques sociales et médicales de l’accouchement à domicile ou en contexte hospitalier.

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Parmi ces travaux, deux auteurs majeurs vont retenir mon attention. Les travaux de Jeffery et al. (1989) et de Van Hollen (2003) me semblent formuler en effet des hypothèses pertinentes dans le cadre de mon étude. Le premier ouvrage présente une ethnographie de la naissance dans des zones rurales du district du Bijnor en Uttar Pradesh menée entre 1982 et 1986. Cette étude de la naissance permet de décrire les thèmes classiques concernant les modes d’organisation sociale, les relations de parenté, le mariage et les rapports sociaux de sexe dans la communauté étudiée. Elle rend compte du faible statut donné aux femmes en Inde et dans l’Etat étudié. Il décrit les modalités de soumission d’une femme à son mari justifiée selon les représentations locales, par la menace potentielle qu’une femme représente pour l’honneur de son époux. Un relevé ethnographique détaillé permet d’aborder les croyances et les pratiques autour de la grossesse, de l’accouchement et du post partum. Les questions liées à la préférence sexuelle en faveur du garçon, aux décisions domestiques à propos de la contraception et au recours à l’avortement sont amplement abordées. Enfin le traitement social du nouveau-né fait l’objet d’un chapitre spécifique. L’ hypothèse principale de ces auteurs est que les pratiques de la naissance sont liées à l’ordre social dans lequel elles s’inscrivent. Cet ordre détermine à la fois les représentations populaires autour de la grossesse et de l’accouchement ainsi que la disponibilité des services biomédicaux des soins de l’accouchement. Dans ce cadre, la sous-utilisation des services de soins par la population étudiée et le manque d’efficacité de ces services est vue d’une part comme la conséquence de la mise en œuvre des politiques de santé indienne menées exclusivement en faveur de la réduction du nombre des naissances au dépend d’une offre de soins de la santé des femmes et des enfants. Ces défauts d’accès aux soins relèvent aussi selon ces auteurs de la place en général faite aux femmes dans la société indienne. Les règles de parenté, de mariage, de résidence et d’héritage, le manque d’opportunité professionnelle, le confinement dans l’espace domestique et le manque d’accès à la propriété font que ces femmes villageoises ont peu d’opportunités et d’espace pour s’organiser avec d’autres et demander des changements de leur conditions, ou pour utiliser à leur avantage ce qui est supposé être disponible pour elles (Ibid : 225).

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L’ouvrage récent de Van Hollen (2003) fut un outil de référence constant au cours de mon travail. Il rend compte d’une étude mené au Tamil Nadu de 1995 à 1997 dans la ville de Chennai et dans une communauté semi urbaine des environs. L’ouvrage présente cinq aspects concernant l’impact de la modernisation sur les pratiques de la naissance. Il s’agit de la professionalisation et de l’institutionalisation de l’obstétrique, de l’évolution des liens entre l’usage des biens de consommation et les rituels de la reproduction ainsi que de l’émergence de nouvelles techniques pour le traitement de la douleur de l’accouchement. Enfin, l’auteur aborde la question du mandat donné aux institutions internationales pour contrôler le nombre des naissances en Inde ainsi que le thème de la diffusion des conceptions biomédicales de la santé des mères et des enfants par les organisations internationales de santé publique. Contrairement à la majorité des travaux menés en Inde au sujet de la naissance qui traitent de système populaire et traditionnel, l’étude de Van Hollen s’intéresse principalement au système biomédical mobilisé lors de la naissance et plus spécifiquement à la rencontre des femmes qu’elle a interrogées avec les acteurs de ce système. L’objectif général avancée par Van Hollen est de montrer comment les cinq processus de transformation énoncés, en relation avec d’autres facteurs, influencent le « choix » (au sens de construit social)37 des femmes et de leurs familles

à propos des soins de l’accouchement.

En résumé, le champ de recherche de l’anthropologie de la reproduction en ce qui concerne les pratiques de la naissance s'est surtout développé en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, principalement à partir de la critique des théories de la parenté et des problématiques posées par les perspectives féministes. Un historique des principaux courants de recherche développés en ce domaine permet de repérer cinq axes d’investigation. Le premier concerne une approche culturelle de la naissance en milieu populaire qui permet de mettre à jour les déterminants culturels des pratiques de la naissance. Le deuxième axe concerne une approche critique féministe des pratiques de la naissance dans les contextes biomédicaux, voyant dans cette forme de prise en charge une manifestation évidente de la mainmise sur le corps des femmes par les institutions sanitaires et politiques principalement représentées par

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des hommes. Le troisième axe d’investigation concerne la rencontre, parfois désastreuse, entre les système de naissance « traditionnel » et ses praticiennes, et les représentants et les pratiques du système biomédical. Le quatrième axe traite des aspects sanitaires de la naissance. Les recherches conduites par ce courant documentent les situations où par manque de soins obstétricaux, l’événement de l’accouchement représente une mise en danger pour les mères et les nouveau-nés. Enfin le cinquième axe développé par l’anthropologie de la naissance concerne une approche politique de la reproduction dont l’étude des « ratés reproductifs » fait partie.

Récemment, un nouvel axe de recherche a été développé autour de la reproduction et du sida. Cependant, comme j’avais pu le constater lors de la phase initiale de construction théorique de mon objet de recherche, les travaux menés par ce courant ne se sont guère intéressés à la question de l’accouchement dans le contexte du VIH et au cas particulier de la transmission mère-enfant du VIH à la naissance. Dans ce contexte de « vide théorique », j’ai proposé, un premier cadre d’investigation à propos de la transmission du VIH et des pratiques d’accouchement en Inde du Sud avant la mise en œuvre de ma recherche sur le terrain (Hancart Petitet, 2004). Ce cadre s’est avéré très utile pour définir les modalités de mon investigation ethnographique. Au terme de mon travail, il me semble que les perspectives que j’avais proposées à cette époque sont toujours valides. Cependant, elles nécessitent d’être réadaptées grâce aux connaissances produites par l’ethnographie et suite à ma meilleure maîtrise des outils théoriques.