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Discussion et perspectives

III. Inégalités d’accès aux outils de diagnostic dans les PRFI : origines et solutions ?

3. Chaîne d’approvisionnement

Dans certains cas, ce sont des défaillances dans la chaîne d‘approvisionnement du matériel nécessaire à la réalisation des tests diagnostiques qui représentent une barrière à l’utilisation de ces derniers. Ainsi, les fréquentes ruptures de stock de réactifs et de consommables dans les PRFI rendent souvent impossible la réalisation de tests diagnostiques pour lesquels les plateformes d’analyses ainsi que le personnel qualifié sont pourtant disponibles (Hasselback et al., 2014; Malkin, 2007). Par ailleurs, bien que la plupart des plateformes de laboratoire disposent d’une garantie, les délais d’intervention des services techniques en cas de panne sont souvent longs. Dans cette situation, les systèmes fermés d’analyse représentent une barrière au maintien d’un système de diagnostic efficace car ils ne

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permettent pas d’utiliser des pièces de rechange autres que celles du fournisseur d’origine. La mise au point de systèmes ouverts comme celui du projet OPP-ERA représente une solution à ce problème. Cependant, bien que plus souple, ce type de plateformes ne peut cependant pas s’affranchir d’un système d’approvisionnement en consommables et donc de ses aléas.

Identifier les caractéristiques et les acteurs des circuits de distribution actuels, ainsi que leurs relations avec les fabricants de tests et les clients (hôpitaux, cliniques, patients eux-mêmes, etc.), pourrait permettre de repérer les raisons des dysfonctionnements susmentionnés et potentiellement d’y remédier ou de créer des systèmes de distribution plus fiables.

Les points développés ici ne constituent pas une image exhaustive du système mondial de production des innovations diagnostiques. Ils permettent cependant d’identifier certaines de ses limites ainsi que leur impact sur la disponibilité des outils diagnostiques dans les PRFI. Au-delà de leurs faibles ressources en santé et financières qui les empêchent d’investir dans ce type d’équipement, il apparaît que le système traditionnel de production des innovations diagnostiques est lui-même un obstacle à la diffusion d’outils diagnostiques dans les PRFI. En étudier les caractéristiques, ainsi que celles des alternatives possibles, pourrait donner des pistes pour réduire les inégalités d’accès aux outils diagnostiques.

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Conclusion

Bien que l’arrivée des AAD ait rendu l’élimination de l’hépatite C envisageable, les progrès réalisés vers cet objectif restent lents. L’une des raisons principales à cela réside dans le faible taux de diagnostic de cette maladie, en particulier dans les PRFI où vivent la majeure partie des personnes concernées. À l’issue des travaux de cette thèse, il apparaît que la question du renforcement du diagnostic de l’hépatite C dans ces pays constitue une question plus économique et politique que technique.

Il existe en effet de nombreux outils diagnostiques de l’hépatite C dont les performances ont été validées. Certains d’entre eux, comme les tests POC ou les échantillons de type DBS, pourraient permettre la mise en place de systèmes décentralisés et ainsi résoudre le problème d’accessibilité géographique aux structures de soins que connaissent de nombreuses populations des PRFI. Deux obstacles empêchent cependant leur utilisation dans ces pays : d’une part la nécessité de les inclure dans un système de soins permettant de pallier leurs limites (le besoin d’un système de transport pour les DBS ou la difficulté à transporter la plateforme GeneXpert par exemple) et, d’autre part, leur manque d’accessibilité financière.

Le premier point a déjà fait l’objet de recherches dans certains pays à revenu élevé en voie d’élimination de l’hépatite C, ainsi que dans des PRFI ‒mais dans le cadre de maladies infectieuses autres que l’hépatite C, comme la tuberculose. S’inspirer des méthodologies utilisées dans ces études, ou de leurs résultats quand ils sont généralisables, devrait permettre de facilement trouver des solutions à cette problématique pour chaque contexte d’intérêt.

Le manque d’accessibilité financière des tests diagnostiques de l’hépatite C découle d’une part du prix élevé de certains d’entre eux et, d’autre part, du manque de ressources financières des PRFI. Cette thèse indique que le système d’innovation diagnostique actuellement dominant ne favorise pas la création de tests adaptés aux contraintes techniques et économiques des PRFI. Étant donné l’existence d’un traitement performant, attendre que des systèmes d’innovation alternatifs se développent et mènent à la création d’outils diagnostiques adéquats poserait ici un problème éthique, en particulier compte tenu de la situation épidémiologique de nombreux PRFI où une grande partie de la population atteinte par l’hépatite C est vieillissante. Améliorer rapidement le taux de diagnostic dans les PRFI demande donc d’agir sur le manque de ressources financières de ces pays, en négociant le prix des tests diagnostiques par exemple ou en accroissant les fonds disponibles pour la prise en charge de l’hépatite C. Étant donné la faible solvabilité des PRFI, cette dernière solution ne serait probablement possible qu’à condition qu’elle repose sur des aides extérieures.

Cette situation paradoxale où des tests diagnostiques performants existent mais ne sont pas disponibles dans les PRFI fait écho à celle observée pour un certain nombre d’autres maladies. De la

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même manière que l’étude des AAD et de leurs prix de lancement exorbitants a permis d’illustrer le fonctionnement d’une partie du marché pharmaceutique, étudier le système de production et de diffusion des tests diagnostiques de l’hépatite C pourrait constituer le point de départ d’une analyse plus globale des déterminants de l’accès aux biotechnologies dans les PRFI.

Nos études coût-efficacité sur le choix des outils diagnostiques de l’hépatite C renvoient à la problématique plus générale de la place des études médico-économiques dans la hiérarchisation des priorités de santé dans ces pays. Les questionnements méthodologiques et éthiques sous-jacents à leur utilisation dans ces contextes particuliers mériteraient de plus amples développements. Par ailleurs, étant donné la dimension sociale que peuvent revêtir les implications de l’introduction de nouvelles technologies de santé dans les PRFI, il nous semble nécessaire que la réflexion autour du choix de leur adoption s’inscrive dans une démarche pluridisciplinaire équilibrée, ainsi que dans une vision de développement allant au-delà du cas particulier d’une seule pathologie. Le besoin de développer plus en profondeur ces méthodes ne doit cependant pas occulter les responsabilités des dirigeants politiques et des industriels dans l’accès aux technologies de santé dans les PRFI.

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