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2. Le centrosome

2.4. Centrosome et cancer

Durant la mitose, les deux centrosomes induisent la formation d’un fuseau bipolaire qui permet la ségrégation des chromosomes. Des copies supplémentaires du centrosome peuvent provoquer la formation de fuseaux multipolaires, et une séparation défectueuse des centrosomes peut être responsable de l’apparition d’asters monopolaires. De plus, le centrosome détermine le positionnement du plan de clivage durant la cytokinèse, essentiel pour assurer une division symétrique et la morphogenèse cellulaire. Il faut toutefois noter que de multiples centrosomes n’entraînent pas systématiquement une mitose anormale, la cellule pouvant par exemple inactiver les centrosomes surnuméraires (Sluder et Nordberg, 2004).

Un nombre anormal de centrosomes peut causer une mauvaise ségrégation des chromosomes. En conséquence, le gain ou la perte de chromosomes accélérera la progression tumorale en induisant de multiples altérations génétiques requises pour l’acquisition d’un phénotype tumoral, comme la perte de gènes suppresseurs de tumeur ou l’amplification d’oncogènes. L’importance du maintien de l’intégrité du centrosome ne fait plus de doute, mais une question demeure : les défauts du centrosome sont-ils la cause ou la conséquence de la tumorigenèse ?

2.4.1.

L’amplification du centrosome : types de défauts

Des anormalités du centrosome sont très communes dans des lignées cellulaires dérivées de tumeurs et dans des modèles de tumeurs animales, et elles sont également retrouvées dans des tumeurs primaires et métastatiques. En effet, l’amplification du centrosome est une caractéristique retrouvée dans de nombreuses tumeurs (D’Assoro et al, 2002). Ce terme regroupe différentes anormalités incluant une augmentation de la taille du centrosome par rapport à un tissu sain, une augmentation du nombre de centrioles ou de centrosomes. Les centrosomes « amplifiés » peuvent également montrer une hyperphosphorylation de protéines centrosomales comme la centrine ou une altération des fonctions du centrosome comme une capacité accrue de nucléation des MTs.

Pour caractériser les défauts du centrosome, des analyses systématiques ont été réalisées dans des carcinomes de cancer du sein et des modèles murins de cancer de la prostate (Lingle et Salisbury, 1999 ; Schatten et al, 2000). Une multitude d’anormalités du

centrosome a été recensée (exemples dans la Figure 13) comme une augmentation du nombre de centrioles, un excès de PCM, une mauvaise orientation des centrioles ainsi que la polarité inversée de la localisation du centrosome (par exemple un centrosome retrouvé au pôle basal d’une cellule au lieu du pôle apical). Ces défauts structuraux du centrosome ont été décrits comme une cause potentielle de la perte de l’architecture cellulaire et tissulaire dans ces tumeurs. Ils seraient dus à un défaut d’organisation du MTOC et de nucléation des MTs qui, associé à une mauvaise ségrégation des chromosomes peut induire une aneuploïdie.

Figure 13. Exemple de défauts du centrosome retrouvés dans des adénocarcinomes de cancer du sein.

(A à C) : microscopie électronique. A : épithélium de sein normal, où l’on distingue le centriole mature et le centriole immature (section oblique). On peut voir de fines fibres entre la paire de centrioles et le noyau (1), les appendices distaux (2) et subdistaux (3) et le site d’émergence du cil primaire (4) du centriole mature. (B) : dans cette tumeur du sein, il y a au moins neuf profils centriolaires dont certains présentent des appendices distaux (1) ou subdistaux (2). (C) : ce centriole est au moins deux fois plus long que les centrioles normaux. (D) : immunofluorescence de la centrine de la même tumeur présentée en B, où l’on distingue une paire normale de centriole et des agrégats de centrine de la taille de centrioles. (D’après Lingle et Salisbury, 1999)

2.4.2.

L’amplification du centrosome et la dérégulation des points de

contrôle

L’homéostasie du centrosome est perturbée dans des tumeurs portant des mutations de p53 ou Rb ou ayant une activité dérégulée de CDK2 et/ou d’autres kinases mitotiques (D’assoro et al, 2008). Une majorité de ces protéines régulatrices de la division cellulaire sont fréquemment mutées ou surexprimées dans de nombreux cancers (pour revue, Fukasawa, 2007). Des mutations de p53 associées à une surexpression de la cycline E augmente de manière synergique la fréquence d’amplification du centrosome dans des cellules en culture et des tumeurs dérivées de souris p53-/- (Mussman et al, 2000). Les gènes suppresseurs de

C D A 1 2 3 4 B 1 1 2 C C DD A 1 2 3 4 A 1 2 3 4 B 1 1 2 B 1 1 2

tumeur Brca1 (Xu et al, 1999) et Brca2 (Tutt et al, 1999) ont été impliqués dans l’inhibition du point de contrôle du cycle du centrosome. Des MEFs portant ces gènes délétés montrent une altération du point de contrôle G2/M, une amplification du centrosome et des mitoses aberrantes. Ceci suggère qu’un dérèglement de la balance entre régulateurs positifs et négatifs de la division cellulaire peut accélérer les défauts du centrosome (D’Assoro et al, 2002).

L’amplification du centrosome peut également se développer dans les premières étapes de la tumorigenèse. Les papillomavirus humains (HPV) de type 16 et 18 portent respectivement les oncogènes viraux E6 et E7 qui sont impliqués dans l’amplification du centrosome de cellules humaines (Duensing et al, 2001). E6 inactiverait p53 alors qu’E7 induirait l’amplification du centrosome en inactivant la voie Rb. Ces oncoprotéines, mises en cause dans 90% des cancers cervicaux, démontrent une voie possible d’implication de l’amplification du centrosome dans les premières étapes de la tumorigenèse.

2.4.3.

L’amplification du centrosome, l’instabilité génétique et

l’aneuploïdie

L’aneuploïdie est une forme d’instabilité génétique caractérisée par le gain ou la perte de chromosomes entiers. Elle apparaît généralement tôt dans le développement tumoral, suggérant un rôle aussi bien dans la tumorigenèse que dans la progression tumorale. L’aneuploïdie accentue en fait l’hétérogénéité phénotypique des cancers reflétant l’instabilité inhérente de leurs génomes appelée instabilité chromosomique. Les aberrations chromosomiques sont d’ailleurs fréquentes dans des cancers particulièrement avancés et agressifs, et sont utilisés comme un marqueur pronostic de la progression tumorale (Nigg, 2002). Qu’en est-il des anormalités du centrosome ? Le degré d’instabilité génétique peut être corrélé au degré de défauts du centrosome dans de nombreux types de cancer comme le cancer du sein (Lingle et al, 2002). Dans cette étude tous les carcinomes in situ montrent une amplification significative du centrosome alors que seul 35% sont aneuploïdes, suggérant que l’amplification du centrosome pourrait être un évènement précoce qui intervient avant l’invasion tumorale.

Ces anormalités sont communes dans des cancers invasifs. Elles ont été détectées dans des tumeurs de bas grade et dans des carcinomes in situ de sein, du col de l’utérus et de la prostate (Pihan et al, 2003). Une forte amplification du centrosome est reliée à une forte instabilité génétique et un haut grade histologique qui lui est directement lié au risque de

progression en carcinome invasif. Les auteurs suggèrent un modèle où les centrosomes contribuent aux changements cytologiques et génétiques qui surviennent durant la progression des lésions précancéreuses.

Toutes ces études confortent l’hypothèse que les anormalités du centrosome peuvent constituer une cause importante de l’instabilité génétique qui sera à l’origine de la progression de la tumeur à un stade plus avancé. L’amplification du centrosome est caractéristique des tumeurs en général, et elle est particulièrement prononcée dans des stades avancés de la progression tumorale. Elle pourrait donc être utile pour suivre la progression tumorale et la diversité phénotypique des cancers (D’Assoro et al, 2002). De plus, en association avec d’autres facteurs pronostics, elle pourrait permettre de prédire l’issue et la survie des patients atteints de cancer.