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SECTION 1. INTRODUCTION

1.5 Tolérance immunitaire et mécanismes d’évasion tumorale

1.5.6 Les cellules immunorégulatrices

L’accumulation de différents types d’effecteurs immunosuppressifs dans le microenvironnement tumoral et les ganglions drainant les tumeurs est fréquemment observée et peut contribuer à l’inhibition de la réponse anti-tumorale.

Les Treg

Un avancement majeur dans la compréhension de la suppression de l’immunité anti- tumorale est sans contredit l’identification d’une population de lymphocytes T ayant une activité régulatrice. Cette population cellulaire aujourd’hui reconnue par l’expression à sa surface cellulaire de différents marqueurs associés aux lymphocytes T activés tels CD25, GITR et CTLA-4, se distingue généralement par son expression du facteur de transcription

forkhead box P3 (FoxP3). Ce sous-type cellulaire ayant des propriétés suppressives a été

décrit pour la première fois en 1972, mais a retenu l’intérêt que plusieurs années plus tard alors que Sakaguchi et collègues (137) l’ont associée à un rôle dans le maintient de la tolérance périphérique et de prévention de l’auto-immunité. Considérant que les antigènes dérivés des cellules tumorales proviennent généralement de protéines du soi, les mécanismes maintenant la tolérance immunologique aux composantes du soi permettent aussi l’établissement d’une tolérance immunitaire envers les tumeurs. Ainsi, un rôle dans la suppression de l’immunité anti-tumorale leur a été attribué alors que le groupe de Sakaguchi a démontré des régressions tumorales complètes chez des souris ayant préalablement subi une déplétion des cellules CD25+ par l’administration d’un anticorps anti-CD25 (138).

Chez l’humain, les Treg sont retrouvées en plus forte proportion dans le sang périphérique de patients atteints de cancer par rapport à des individus sains, et peuvent induire une tolérance périphérique envers les cellules tumorales, ce qui faciliterait la dissémination de métastases (27,139). De plus, ces cellules aux propriétés suppressives ont une fréquence plus élevée parmi les lymphocytes T CD4+ infiltrant les tumeurs en

comparaison avec le sang périphérique des patients atteints de cancer (27). Les Treg s’accumulent aussi de façon substantielle dans le tissu tumoral de différents types de cancers (140), ainsi que dans les ascites associées dans le cas du cancer de l’ovaire. Ces cellules régulatrices sont recrutées spécifiquement à ces sites par un mécanisme impliquant une interaction entre la chémokine CCL22 produite par les cellules tumorales et son récepteur CCR7 présent sur les Treg (28).

L’élimination de ces cellules suscite donc beaucoup d’intérêt d’un point de vue thérapeutique pour les patients atteints de cancer. Celle-ci peut s’accomplir grâce à des anticorps anti-CD25 ou la denileukin diftitox, qui consiste en une protéine de fusion entre l’IL-2 et les domaines de translocation et d’activité enzymatique de la toxine de diphtérie, entraînant l’apoptose des cellules qui internalisent cette chimère. Ce dernier traitement s’est montré inefficace chez les patients atteints de mélanome tant pour éliminer les Treg que pour améliorer la réponse anti-tumorale (141). Il a cependant permis une diminution des CD4+CD25+ ainsi qu’une augmentation de la réponse des CTL spécifiques à la tumeur lorsque combiné à un vaccin basé sur des DC transfectés administré à des patients atteints de carcinome des cellules rénales (142).

Les DC tolérogéniques

De par leur multiples propriétés dont leur forte expression des molécules du CMH et de co-stimulation, leur capacité à capter des antigènes et à migrer aux ganglions lymphatiques, ainsi que leur production de cytokines immuno-stimulatrices, les DC sont considérées comme les APC les plus efficaces. Cependant, selon leur état d’activation ou de maturation, elles peuvent à l’inverse engendrer la tolérance. En effet, selon les stimuli présents dans l’environnement auquel elles sont exposées, ces cellules dotées d’une grande plasticité peuvent promouvoir l’activation ou la suppression de la réponse immunitaire. Bien que les DC dites plasmacytoïdes soient plus souvent associées à un profil tolérogénique, les DC d’origine myéloïde peuvent elles aussi être associées à la tolérance

lorsqu’elles ne reçoivent pas les signaux nécessaires à leur maturation. D’ailleurs, chez l’humain, une faible infiltration de DC a été rapportée dans différents cancers, et celles qui y sont présentes se trouvent dans un état immature (143). Il a été observé que les DC matures sont retenues dans la zone péri-tumorale (143), alors qu’un recrutement actif de DC immatures dans la tumeur se produit dans plusieurs types de cancers. Ce recrutement serait causé certains facteurs produits par les tumeurs, tels la chémokine CCL20 ayant été identifiée comme un attractant pour les DC immatures (144). D’autres facteurs provenant de la tumeur, dont l’IL-6, l’IL-10, le macrophage colony-stimulating factor (M-CSF) et le VEGF, bloquent quant à eux la différenciation et la maturation des DC (145,146). En plus d’être retrouvés localement dans le tissu tumoral, les DC tolérogéniques constituent potentiellement un mécanisme de tolérance systémique. En effet, les DC retrouvées dans le sang périphérique de patients atteints cancer ont une fréquence plus faible par rapport aux donneurs contrôles (147), ou ont des capacités stimulatrices atténuées (148).

Les Tumor-associated macrophages (TAM) et Myeloïd-derived suppressor cells (MDSC)

Une autre population de cellules immunitaires pouvant infiltrer les tumeurs est associée avec une promotion de la croissance tumorale et une suppression de la réponse immunitaire contre la tumeur : les macrophages associés aux tumeurs (TAM). Ces macrophages exposés aux facteurs présents dans le microenvironnement tumoral se polarisent vers un profil dit M2 qui sécrètent des facteurs pro-inflammatoires supportant l’angiogénèse, l’invasion et le pouvoir métastatique des tumeurs, ainsi que des facteurs qui suppriment la prolifération et l’activité des lymphocytes T (revu dans (149)). Pour plusieurs types de cancers, une association a été trouvée entre la densité des TAM infiltrant et une diminution de la survie des patients, et apparaît comme un facteur pronostique indépendant (revu dans (150)). Ces données sont en accord avec des études réalisées dans des modèles murins de carcinome mammaire dans lesquels le M-CSF, essentiel à la prolifération, la

différentiation et la survie des macrophages est absent. Il en résulte un ralentissement de la progression tumorale et une diminution des métastases (151,152).

Une grande proportion des patients atteints de cancer se caractérise aussi par l’accumulation de MDSC (153,154). Ces cellules d’origine myéloïde regroupant les sous- types granulocytaires et monocytaires, ayant une expression commune de CD33, CD11b et IL-4Rα (155)), ont un fort potentiel inhibiteur sur l’immunité anti-tumorale. Elles ont la capacité d’exercer un effet suppresseur autant sur l’immunité innée qu’adaptative. D’une part, l’interaction des MDSC avec des macrophages entraîne la reprogrammation de ceux-ci vers un type M2 qui favorise la progression tumorale (156). Ainsi, les macrophages produisent moins d’IL-12, une cytokine importante pour l’activité tumoricide des cellules NK (157). De par leur interaction avec les lymphocytes T, tant CD4+ que CD8+, les MDSC sont aussi des cellules supprimant l’immunité adaptative. Elles le font entre autre via leur expression de l’arginase, une enzyme qui dégrade l’arginine et réduit ainsi sa disponibilité pour la synthèse protéique, bloquant le cycle cellulaire des lymphocytes T (mécanisme discuté plus en détails dans la section 1.5.7.) Les MDSC opèrent aussi en séquestrant la cystéine, un acide aminé essentiel aux lymphocytes T, et plus particulièrement requis pour leur activation (158). De plus, les MDSC entraînent une diminution de l’expression de la L- sélectine à la surface des lymphocytes T, une molécule clé permettant la migration des lymphocytes T vers les ganglions où ils rencontrent leur antigène et sont activés (159).