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Catégorisation et identification dans le travail de la Police

Tsiganes, Roms, Kăldărari, Zlătari Sens et enjeux des catégorisations

2.6. Comment les catégorisations sont pensées et utilisées au niveau local 1 Zlătari, une étiquette mystérieuse

2.6.4. Catégorisation et identification dans le travail de la Police

Bien qu'aujourd'hui, grâce aux dossiers d'assistance sociale, la plupart des personnes (90%, affirme le chef de la police de Cordeni) ont des papiers d'identité, l'identification des personnes reste problématique pour les autorités: "ils se ressemblent tous, on ne sait pas qui est qui. J'en

connais très peu d'entre eux", dit le chef de la Police de Cordeni qui a décidé de faire un cahier

intitulé "Tsiganes- Căleni" où figure un tableau avec les rubriques: nom, prénom, date et lieu de naissance, filiation, rapport avec le chef de famille et surnom. Les rubriques ne sont pas remplies intégralement, et dans la rubrique "surnoms" sont notées des spécifications comme

"dit Ploieşteanu" ou "dit Bursucu". A Noroieni, le policier m'a parlé d'un mode d'identification

qui utilise les lettres de l'immatriculation des voitures. Ainsi, il parle des Roms comme "le

OCT", "la femme de FKV", "le GUF", etc. Dans le cahier figure également un repérage spatial "rue nr.1, côté droit, 20 familles [chez Radu figurent Silvia, Alexie et Lucian mais non Radu], côté gauche jusqu'au pont 16 familles; rue nr. 2 côté droit 21 familles, côté gauche 17 familles; la zone "taudis" 4 familles; total 78 maisons-familles". Cela représente la moitié des 132

maisons calculées par la mairie (cf. supra) et aussi une différence par rapport à mon propre calcul qui est de 104 maisons. Pour finir, on trouve également dans ce cahier les photos d'identité de chacun-e des infracteurs-trices, suivies de leur surnom respectif.

parallèles, employés selon les circonstances et les stratégies d'inspiration momentanée. Ainsi, Silvia apparaît dans ses papiers d'identité comme étant Silvia Gheorghe, mais se dit "Zambilica" auprès des Gadje, et Radu à des papiers au nome de Rancu Radu, "un nom que tu

ne dois dire à personne", alors que les Roms l'appellent "Crăciun". De plus, probablement par

manque de certificats de naissance, la filiation a été complètement bafouée dans les cartes d'identité: le frère de Radu, Ducă, apparaît comme Rancu Ion, alors que leur père s'appelait Alexie Radu (Radu étant alors leur nom de famille) et Bradu, lui, est présenté dans ses papiers comme étant Sebastian Goman. Mândra s'appelle officiellement Elena Stănescu et Fraga, Maria Mihai. Cette dernière se fait passer à la marie de Turuleşti pour la mère des deux jumeaux de son frère, Micioc, car celui-ci, officiellement appelé Mihai Căldăraru, a des papiers de Căleni et ne pourrait donc pas bénéficier d'un dossier d'assistance sociale à Turuleşti en faveur de ses enfants, etc. Mais "chez nous, il ne faut pas que les gens sachent qu'est-ce qui est écrit dans les

papiers d'identité", dit Bradu (31 ans), car quelqu'un d'autre pourrait se prévaloir de son nom et

l'utiliser pour endosser ses propres délits, ce qui fait dire Silvia que maintenant tout le monde connaît son nom et elle se retrouve avec des amendes.

Pour ce qu'il en est des statistiques d'infractions ayant des dossiers pénaux, la police de Cordeni rapporte ceci:

Année Nombre infractions des Roms (vols dans les champs, vol de poules, vol de matériaux de construction)

Nombre total

d'infractions à Căleni

2000 35 58

2001 15 (dont 8 des vols de poules faits par des enfants de moins de 14 ans)

52

Ces chiffres prouvent que la délinquance n'est pas l'apanage des Roms et que leurs délits ne sont pas parmi les plus graves. Toutefois, le chef de la police de Cordeni s'obstine à dire que

"les Zlătari sont des malfaiteurs, ils détruisent tout". Ces chiffres montrent aussi que s'il y a des

délits de Roms envers d'autres Roms, ceux-ci ne sont pas dénoncés à la police mais réglés à l'intérieur même de la communauté.

La position de la police à propos du commerce d'aluminium exprime largement cette obsession gadje que les Roms sont délinquants par définition. Le problème d'un contrôle s'est posé au moment d'un conflit de travail à propos de la privatisation de la seule entreprise de laminage

d'aluminium du pays, quand les syndicats ouvriers, menacés de chômage, ont dénoncé ces pratiques de piraterie nationale dans la gestion des déchets. En 2001, le gouvernement a exigé la re-légalisation des sociétés collectrices de non-ferreux83, et des contrôles policiers sanctionnaient désormais les transports d'aluminium effectués par les Roms de Căleni, Noroieni et Turuleşti. Selon le chef de la police de Cordeni, "Il y a chez eux [les Roms] des évasions

fiscales pour le ramassage de métaux. Parce qu'il n'ont pas de papiers pour ces métaux. La loi est comme ça, si le métal provient des maisons, le gain n'est pas imposable, sinon il faut payer un impôt de 10% et bien sûr avoir les papiers de son achat. Mais c'est clair que ça ne provient pas de chez eux, parce que ça ne pousse pas comme ça dans le jardin, alors on les attrape à destination, la société [de collecte] auprès de Malu". On peut toutefois supposer qu'il s'agit

d'une application arbitraire de la loi (comment prouve-t-on que le butin d'aluminium ne provient pas de la maison ? – il y a alors une attente a priori des policiers sur la criminalité des Roms), et que cette répression prend forme de racket de la part des policiers. C'est en tout cas ce que racontent mes informateurs-trices. En réalité, les réseaux de commerçants d'aluminium récupéré fonctionnent sous une forme semi-légale à plusieurs niveaux, impliquant à la fois Roms et Gadje, ainsi que policiers. Une chose est certaine: comme souvent dans ce système de type mafieux dont les policiers font partie, la récupération par petite quantité est davantage réprimée que le pillage à grande échelle pour que les policiers gardent leur apparence de justiciers tout en prenant part à l'affaire.

Par ailleurs, cette diabolisation du et de la Tsigane comme criminel-le (alors que la participation non-tsigane aux délits est plus importante) s'enracine dans un imaginaire du prolétaire forgé par l'idéologie communiste. En parfaite continuité avec les pratiques de la période communiste, lorsqu'on traquait les "parasites", la Roumanie d'après 1990 associe méfiance et haine envers les marchands de rue, les petits commerçants etc. mues par un sentiment anti-tsigane: "Gypsies are accused of parasitic commerce or outright crime in

contrast to Romanian ethnic 'business men'" (Sampson, 1994: 19). Cette idée de parasitisme

tsigane apparaît également dans le dossier "Roms" de la mairie dans la formulation ""ils ne sont pas encadrés régulièrement dans un travail", alors que le travail régulier n'est plus la règle parmi les Roumains non plus et ce depuis plus de dix ans.

83 Cf. les sites internet: http: //www.guv.ro/presa/comunicate/200106/com-010605-apaps-also.htm ;

On peut conclure que Zlătari et Roms semi-nomades sont des appellatifs qui veulent exprimer la différence envers un groupe indésirable qui finissent par réifier la stigmatisation. Dans son ensemble l'administration locale par les institutions étatiques se fait selon un principe implicite qui consiste à tenir à distance tout en contrôlant les Roms. Mais les moyens mis en œuvre semblent insuffisants pour aboutir à un véritable contrôle et, de plus, les Roms cherchent par leurs propres moyens à restreindre au maximum leur relation avec l'Etat et à échapper à son contrôle: les noms parallèles sensés défier les statistiques, les accouchements à domicile sans suivis de grossesse, la scolarisation presque inexistante pour les filles. On voit déjà que les femmes sont un enjeu important dans cette "guerre" de distance/ rapprochement des uns envers les autres. On devrait ajouter à cela une autre institution importante qui se comporte de la même manière, bien qu'elle ne soit pas du même ordre ni ne gère les mêmes enjeux: l'Eglise. Les Roms de Căleni sont orthodoxes par baptême mais peu, voire pas du tout, sont pratiquant- e-s (ce qui est également le cas pour les Roumains). L'Eglise ne garde pas sous forme écrite les noms des enfants rom baptisés et leur filiation, et les Roms instrumentalisent l'Eglise comme ils-elles instrumentalisent l'Etat. On verra plus loin des manières originales de le faire.

A Turuleşti et Noroieni, la situation est similaire en termes de dimension de la communauté et rapports multi-ethniques (je n'ai eu accès à aucune donnée statistique officielle de ces communes). Leur situation diffère cependant sur le plan de la proximité avec la ville: Noroieni est presque une périphérie d’une ville de petite taille et Turuleşti est sur la route de contournement de Bucarest. Cette proximité d'avec la ville a facilité l'accès à un niveau de vie supérieur à celui de Căleni, du moins pour une partie des Roms: cela s'objective dans la présence de nombreuses maisons de type villa et des voitures de marque.