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Les cas ivoiriens, rwandais, camerounais

Claudine Vidal

A partir de trois situations africaines sera esquissée, sur le cas particulier des pratiques judiciaires, une sociologie des médiations entre espace (< privé )) (domestique, communautaire) et espace public. Com- ment ces médiations aménagent-elles le recours à des instances offi- cieuses de régulation et quels sont, selon les contextes nationaux, les rapports entre ces instances officieuses et les instances officielles ?

La première investigation porte sur une pratique ancienne et tou- jours présente : les arbitrages officieux qui, en milieu abidjanais, règlent toutes sortes de conflits entre personnes originaires d’une même région,.

La deuxième envisage comment, au Cameroun, des procédures judi- ciaires modernes

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les tribunaux d’État

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sont requises, depuis le début des années 1980, par des communautés villageoises pour juger des indi- vidus accusés de sorcellerie. La troisième concerne le règlement offi- cieux de litiges entre voisins au Rwanda dans le cadre d’une institution dite gacaca, institution pratiquée avant la guerre civile de 1990 et le génocide de 1994 et que les autorités actuelles ont réhabilitée.

La documentation concernant les trois cas présentés a été consti- tuée selon des approches différentes. Si nous avons personnellement enquêté à Abidjan sur ce que, faute de mieux, nous appelons les << tribu- naux d’associations >>, il reste que, à notre connaissance, il n’existe pas de travaux publiés par d’autres chercheurs concernant ces institutions officieuses (Vidal, 1995). LÆ traitement judiciaire officiel des accu- sations de sorcellerie au Cameroun a été bien étudié par plusieurs auteurs grâce auxquels nous pouvons envisager une analyse comparative avec la Côte d’Ivoire. Par contre, nous ne disposons, à la date oÙ nous écrivons, que d’informations relativement succinctes sur l’institution rwandaise du gacaca : une brève étude réalisée en 1987 par un juriste, spécialiste du Rwanda, un rapport réalisé en 1996 par des chercheurs

, nationaux.

(( Tribunaux d’association pp, communautés urbaines et (< espace public de proximité >> à Abidjan

Les ressortissants des différentes régions de Côte d’Ivoire sont représentés, à Abidjan, par des associations d’envergures diverses, les plus importantes étant constituées par l’ensemble ethnique vivant dans un quartier, d’autres ne rassemblant que les originaires d’un ensemble de villages ou d’un seul village. Ces associations, fondées sur le modèle français des associations loi 1901 y disposent d’un conseil d’administra- tion et d’un bureau, statutairement élus, elles perçoivent des cotisations et tiennent assemblée générale. Leur vocation est principalement d’en- traide mutuelle, notamment à l’égard des funérailles de leurs membres, et aussi de participation à la modernisation villageoise (Vidal, 1991).

Cependant, elles s’occupent également de régler les litiges de tous ordres s’élevant entre les membres de la communauté régionale ou villageoise. Ce dernier rôle n’est pas une création récente. En effet, les registres d’audience du tribunal du premier degré d’Abidjan indiquent, dès le début des années 1920, l’existence et la prise en considération d’organi-sations de ce type’,

Bien des disputes entre parents, entre époux, entre amis ou asso- ciés, sont réglées selon des procédures << privées >>, organisées par des proches. Ils organisent une rencontre en petit comité et s’efforcent de

Archives nationales de Côte d’Ivoire (ANCI), 5404. Tribunal du 1“ degré : jugements rendus en matière civile et commerciale.

JURIDICTIONS COUTUMIÈRES, JURIDICTIONS D’ÉTAT 183 construire les conditions d’une réconciliation. Mais d’autres conflits exigent l’arbitrage de médiateurs choisis non parce qu’ils sont des rela- tions communes aux deux parties, mais parce qu’ils occupent une fonc- tion au sein de l’association des originaires. I1 en résulte que l’espace de résolution du conflit n’est plus confiné à l’intimité du cercle domestique, au groupe des parents immédiatement concernés, il est élargi à un en- semble plus vaste de personnes se reconnaissant un lieu commun d’ori- gine (village, région). Les affaires traitées sont de gravité variable : abus de confiance, détournement d’héritage, non-reconnaissance d’enfants, accusations de viol, non-respect des engagements liés au mariage coutu- mier ou litiges consécutifs à la rupture d’une liaison, vol, sorcellerie, injures..

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Quant aux << ressorts >> possibles, ils sont différenciés selon deux critères : selon le critère géographique du lieu de naissance des parties, une affaire peut être portée devant l’association des originaires de leur village, ou devant celle des originaires de leur région ; selon le critère de la résidence à Abidjan, le conflit sera traité devant l’associa- tion des membres de leur ethnie habitant tel ou tel quartier de la ville’.

Quand un conflit surgit entre personnes n’appartenant pas à la même ethnie, il peut être traité par d’autres associations pluriethniques ou même plurinationales, constituées par exemple sur des critères pro- fessionnels (association des commerçantes du marché de tel quartier, association des travailleurs d’une usine, etc.) ou sur des critères d’inté- rêts (les nombreuses tontines, d’envergure variable) ou sur des critères spécifiquement urbains (associations sportives, associations de quartier liées à des projets tels que la construction d’une école ou d’un dispen- saire). Tout dépend des enjeux du litige. I1 arrive que les plaignants n’aient pas d’autre recours que la justice officielle. Par exemple, nous avons récemment observé le cas d’un litige foncier entre une commer- çante d’origine baoulé et un propriétaire ébrié, qui fut géré par un com- missaire de police, la commerçante ayant porté plainte.

Nous présenterons briEvement un exemple de <( procès >) (c’est ainsi qu’on les appelle). Deux femmes, des amies de jeunesse, âgées

Ces (< ressorts ,, ne sont évidemment pas hiérarchisés à la façon d’un système

judiciaire. Ils se distinguent plutòt selon le degré de proximité que les membres des associations concernées ont entre eux. Si les relations de parenté sont consubstantielles aux associations villageoises, elles le sont beaucoup moins au niveau régional, elles ne le sont plus lorsque l’appartenance à l’association est basée sur la résidence dans un quartier. La nature des affaires détermine les

e ressorts sont traitées ces dernières. D’après les cas observés, il semble bien que les litiges entre individus ayant entre eux des liens de parenté relèvent surtout des associations villageoises.

d’une cinquantaine d’années et figures bien connues de Treichville3, se brouillèrent. Une dispute survint et des injures graves furent publique- ment échangées. L’association des femmes baoulé de Treichville fut

(< saisie les deux ennemies convoquées et, entourées de leurs témoins,

exposèrent leurs griefs devant une centaine de femmes. La présidente de l’association et ses conseillères, jugeant que les injures échangées avaient été aussi choquantes les unes que les autres, sommèrent les plai- gnantes, qui s’exécutèrent, de se pardonner mutuellement devant tout le monde. Pourquoi une réunion aussi nombreuse pour un conflit somme toute banal et sans conséquences graves4 ? Les deux femmes possédaient une notoriété locale, elles étaient soutenues chacune par des parents, des amis, des voisins, leur honneur respectif était en cause. C’est pourquoi une certaine (< publicité >> s’avérait nécessaire à l’apaisement du conflit.

Le recours aux arbitrages officieux est si fréquent que les notables des associations n’ont pas toujours le temps de satisfaire les demandeurs.

Les parties ne s’adressent pas pour autant aux autorités officielles légales. Certes, l’opinion fait porter sur l’appareil judiciaire étatique une double accusation : celle de clientélisme, celle de corruption. Mais, et c’est notre hypothèse, il nous semble que la nécessité du recours aux

(< tribunaux d’association >) tient moins aux suspicions qui pèsent sur la

justice officielle que sur la médiation entre espace local et espace public qu’opèrent ces tribunaux.

Les associations d’originaires définissent en effet un espace local qui combine une double référence : d’une part, elles recrutent sur une base identitaire ou territoriale commune qui n’est pas citadine, d’autre part, elles s’inscrivent dans des espaces urbains bien définis (les femmes de telle ethnie et de tel quartier, tous les membres d’une ethnie habitant tel quartier, les membres d’un sous-ensemble régional vivant à Abidjan, dans une autre ville, etc.). De ce fait, elles realisent une communauté locale qui est un mixte alliant communauté d’origine et partage d’un même espace urbain, mais une communauté qui déborde le cadre des relations de parenté et celui de l’interconnaissance. Par ailleurs, s’il est vrai que les arbitrages rendus par les associations procèdent de l’inter- action directe (il n’est pas fait appel à un droit anonyme selon lequel des professionnels mettraient les accusations en forme), il y a délibération tenue devant une assistance plus large que celle des parents et du voisinage proche, en outre les jugements sont souvent argumentés en Treichville est l’un des plus anciens quartiers d’Abidjan. L’affaire eut lieu en 1985.

Nous avons relaté ailleurs (Vidal, 1995) un conflit bien différent un homme était accusé par ses beaux-parents d’avoir u tué ,, la femme de sa m6re. L’affaire fut traitée par l’association des originaires du village de l’épouse.

JURIDICTIONS COUTUMIÈRES, JURIDICTIONS D’ÉTAT 185 tenant compte de précédents, en se référant à des sortes de <<juris- prudences )) alliant usages coutumiers et modernes.

Ces médiations que les <( tribunaux d’association )> créent à l’inté- rieur de la sphère communautaire contribuent au maintien de ce que nous appelons un << espace public de proximité5 P. Ils empêchent, en restaurant l’ordre, que soit détruite la cohésion, ils évitent aux << origi- naires >> les aléas de la procédure juridique d’État sur des litiges que ces derniers estiment <( privés >) mais dont ils pensent qu’ils doivent, pour être <<jugés >> de façon satisfaisante, recevoir une publicité élargie, non restreinte au groupe des personnes immédiatement concernées6.

Les juridictions officieuses urbaines en Côte d’Ivoire ne concur- rencent donc pas les tribunaux étatiques, elles ne sont pas non plus les conservatoires d’un droit coutumier opposé à un droit moderne, elles assurent essentiellement des médiations à l’échelle des communautés dont les dimensions sont d’ailleurs variables (de l’association villageoise à l’association ethnique). Elles ne statuent pas sur des relations contrac- tuelles définies par le droit moderne, ni lorsque le conflit a été considéré comme un délit par les autorités officielles. En réalité, les deux juri- dictions s’ignorent, elles ne se concurrencent pas : à notre connaissance, les autorités ivoiriennes semblent considérer les médiations communau- taires urbaines comme purement privées, elles ne s’y sont jamais intéres- sées, ni pour les contrôler, ni pour les associer éventuellement aux tribu- naux.

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Juridictions d’État, << tribunal de village )) et affaires de sorcel- lerie au Cameroun

La presse ivoirienne ouvre régulièrement ses colonnes à des lecteurs demandant que les juridictions officielles s’intéressent aux affaires de sorcellerie et à des discussions sur les effets positifs ou néga- tifs d’une telle intervention de 1’État. I1 reste qu’en Côte d’Ivoire, les plaidoyers pour une médiation judiciaire Ctatique en matière de sorcel- lerie n’obtiennent pas gain de cause. I1 n’en fut pas de même au Came-

s Nous empruntons ce concept à Cottereau (1992).

Le Pape (1997) a montré combien, dès la colonisation, mais aussi actuelle- ment, la construction d’une réputation à l’intérieur de tels espaces était essen- tielle au maintien et à la défense d’un statut social urbain.

roun oÙ un article du code pénal de 1967, l’article 251, donna un support juridique au traitement des accusations de sorcellerie’. Les observateurs ont constaté que cette loi n’est pas demeurée lettre morte : dans les régions de l’Est, principalement, mais aussi dans les régions du Sud des accusations de sorcellerie ont été portées devant les tribunaux et jugées : des (< sorciers )> furent effectivement condamnés à des amendes

et à de lourdes peines de prison.

Cependant, il s’écoula un certain laps de temps entre la promul- gation de l’article 251 et l’intervention de tribunaux ; par ailleurs, ces derniers furent très inégalement impliqués selon les régions ainsi qu’en témoignent les observations de

P.

Geschiere. En 1971, lorsque ce dernier entreprit ses enquêtes en pays maka, à l’est du Cameroun, les affaires de sorcellerie faisaient l’objet de procédures Q coutumières >) au niveau du village. Ce ne fut qu’au début des années 1980 que les tribu- naux eurent à intervenir de façon plus systématique dans cette région principalement, mais aussi, de façon moins fréquente dans le centre et le sud du pays (Geschiere, 1995 : 240). Pourquoi des villageois jugèrent-ils insuffisantes leurs procédures << traditionnelles >> de jugement et s’adres- sèrent-ils brusquement aux tribunaux’ ?

De fait, P. Geschiere connut, en pays maka, une époque oÙ tous les litiges, y compris ceux qui faisaient explicitement intervenir des accusations de sorcellerie, étaient arbitrés par le kaande, terme que les villageois lettrés traduisent par (< tribunal de village >>. I1 s’agit d’une réu- nion publique oÙ les plaignants exposent leur affaire devant le chef de village, aidé des notables âgés, en présence d’une assistance villageoise.

La discussion est entièrement ouverte et les <<juges )> rendent un verdict dont la finalité tend moins à punir qu’à reconstituer l’unité. Quelques pages relatent et analysent finement des scènes de kaande, scènes dont nous relevons les similitudes avec les procédures des tribunaux d’asso- ciation abidjanais (Geschiere, 1995 : 94-107). Comme ces derniers, le L’article 251 stipule : U Est puni d’un emprisonnement de deux à dix ans et d’une amende 5 O00 à 10 O00 francs celui qui se livre à des pratiques de sorcel- lerie, magie ou divination susceptibles de troubler l’ordre ou la tranquillité publics, ou de porter atteinte aux personnes, aux biens ou à la fortune d’autrui même sous forme de rétribution >>.

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U L’enquête sur le droit coutumier rwandais part de l’hypothèse que le GACACA qui était un mode de régulation de la cohésion sociale une fois ses mécanismes compris et le système restauré serait capable de résoudre la problé- matique actuelle à savoir : sanctionner les responsables du génocide et des autres délits commis pendant le génocide, réconcilier les Rwandais. Recons- tituer la concorde et l’harmonie sociales % (première phase, p. 23).

JURIDICTIONS COUTUMIÈRES, JURIDICTIONS D ’ÉTAT 187 kaande institue un espace public de proximité : l’affaire est portée devant les membres d’une communauté plus large que celle des proches parents des plaignants, les arbitres interviennent non parce qu’ils ont un lien avec l’un ou l’autre, mais parce qu’ils détiennent (< officiellement N ce rôle. Leurs ((verdicts s, faisant référence à des paraboles et des secrets ancestraux, recourent à des arguments qui mettent en avant l’in- térêt général. Les médiateurs sont, comme dans les associations abid- janaises, des notables (dans ces villages, des aînés dont le prestige tient notamment à leur art de la persuasion) qui, évitant que le conflit fasse l’objet d’une intervention officielle, contribuent à maintenir la privati- sation de la sphère communautaire.

Dans la province du Sud du Cameroun, lorsqu’une communauté villageoise connaissait une série d’infortunes, les anciens organisaient une séance publique, appelée Bissima, présidée par un guérisseur qui s’efforçait d’identifier les sorciers et de neutraliser leurs maléfices (Fyisi, 1990). C. F. Fyisi rapporte que, une fois promulgué l’article 251 concernant la sorcellerie, des guérisseurs, opérant dans des Bissima, furent dénoncés aux forces de l’ordre et condamnés bien que leurs ser- vices eussent été demandés par les communautés villageoises. Cepen- dant, dans d’autres cas, les tribunaux admirent la culpabilité d’individus accusés de sorcellerie par le relais des guérisseurs. En fait, dans cette région, le tribunal distingue mal les guérisseurs des sorciers (l’article 251 ne permet pas une telle distinction, celle-ci n’est pas non plus tranchée dans les représentations courantes).

C’est dans la province de l’Est que furent prononcées les pre- mières condamnations de sorciers et que les tribunaux d’État furent les plus sollicités. Les recherches, menées par P. Geschiere et C. F. Fyisi, sur des archives judiciaires (1981-1984) de la cour d’appel de Bertoua, capitale de la région, révèlent l’importance grandissante des guérisseurs (onkong) : ces derniers ont fini par passer pour experts devant les tribu- naux (Geschiere, 1995 : 221-239). Non seulement, ils sont appelés à collaborer avec le tribunal, mais leur intervention devient de plus en plus nécessaire pour qu’une accusation de sorcellerie soit considérée. Ils occupent maintenant un rôle inédit de médiateur entre les villageois et les tribunaux.

Les sociétés de l’Ouest et du Nord-Ouest enfin ne recourent pas aux tribunaux officiels. La sorcellerie n’y est pas moins redoutée mais il semble que les populations jugent encore efficace le recours à leurs associations et à leurs chefs pour se défendre des sorciers et appliquer les sanctions << traditionnelles >>.

A suivre les chercheurs dont nous avons résumé les travaux, l’intervention des tribunaux officiels dans les accusations de sorcellerie

serait due aux pressions des populations bien plus qu’au volontarisme des autorités. Les différences régionales confirmeraient cette hypothèse : là oÙ les populations estiment leurs arbitrages officieux capables de les protéger, les accusations ne sont pas portées devant les juridictions éta- tiques. I1 reste que les autorités camerounaises ont estimé que les juri- dictions d’État possédaient la compétence de juger en matière de sorcel- lerie. .

Retenons tout d’abord de ce bref parcours camerounais qu’en certaines régions, lorsque les accusations de sorcellerie sont au cœur des litiges, ces derniers sont dissociés des autres litiges puisque les arbi- trages officieux coutumiers ne peuvent plus les traiter. Marquons immé- diatement sur ce point une différence avec les pratiques ivoiriennes. La sorcellerie est bien évidemment inhérente aux conflits gérés par les associations urbaines mais sans que les accusations de sorcellerie deviennent prépondérantes. Au cas oÙ ces dernières constituent l’essen- tiel de l’affaire, les plaignants recherchent des arbitrages spécifiques. I1 existe en effet, pour traiter exclusivement de sorcellerie, d’autres << res- sorts >> qui ont proliféré particulièrement depuis la fin des années 1970, notamment les multiples prophétismes qui ont la capacité de donner à leurs interventions la dimension d’un espace public (Dozon, 1995 : 218).

Serait-ce parce que de tels << ressorts >> manquent au Cameroun que des villageois ont recours à l’État ? Tout au moins dans certaines régions et pour certaines affaires car, même dans les régions de l’Est, il ne semble pas que toutes les affaires de sorcellerie soient portées devant des juridictions officielles. P. Geschiere remarquait que, pour certaines affaires, l’art des médiateurs du kaande consistait à << découvrir >> des liens de parenté entre les adversaires, au pris d’un étirement quasiment surréaliste de la notion de parenté (Geschiere, 1995 : 102). Ainsi réali- saient-ils un mixte entre espace public (où pouvait être opérée une néces- saire distanciation) et communauté de << parents >> (assurant le règlement de l’affaire selon des normes éprouvées). Or, d’après les dossiers des affaires de sorcellerie traitées par les tribunaux, auxquels l’auteur a pu avoir accès, les plaignants, (< attaqués par les sorciers P, sont des nota- bles engagés dans le modernisme : instituteurs, cadres du parti, plan- teurs plus riches. Tout se passe comme si ces derniers, en se distinguant de leurs covillageois, considéraient désormais qu’ils ne trouvent plus, dans la sphère communautaire d’arbitrage, des notables qu’ils estiment capables d’établir des verdicts ajustés à des situations inédites par rap- port au contexte villageois. I1 reste qu’ils n’ont eu la possibilité de faire valoir leur cause devant un tribunal que par l’intervention, dans cette instance, d’un médiateur, le guérisseur, capable d’opérer à la fois dans l’espace public de proximité villageoise et dans l’espace public étatique.

JURIDICTIONS COUTUMIÈRF~S, JURIDICTIONS D’ÉTAT 189

Communautés de voisinage et contrôle totalitaire au Rwanda : l’institution du gacaca

Au Rwanda, depuis la fin des années 1950 et jusqu’en 1994, les

Au Rwanda, depuis la fin des années 1950 et jusqu’en 1994, les