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construction de la proactivité et les facteurs d’influence nfluence nfluence nfluence

3.3.1. La caractérisation de la réflexion stratégique par le concept de proactivité

Si l’on considère la stratégie comme l’élaboration permanente d’une perspective qui oriente l’action (Mintzberg et al., 1999), on peut chercher à caractériser l’évolution de cette stratégie comme un processus d’apprentissage. La gestion stratégique – dans notre cas de l’exploitation agricole – est continue, se recrée en permanence, pour conserver une cohérence dans l’action et garantir une certaine adaptabilité : « la gestion stratégique n’est pas un acte ponctuel à un moment donné

dans le cycle de vie de l’exploitation, mais c’est un processus permanent (Lorino et Tarondeau, 1998 ; Gafsi, 1997) qui se construit dans le temps (Avenier, 1997). C’est un processus d’apprentissage (Attonaty et Soler, 1992) qui consiste moins à programmer ex ante les décisions qu’il faut prendre dans le futur, qu’à veiller à ce que les décisions prises en temps réel soient cohérentes et convergent vers une cible qui est l’état souhaité de l’exploitation » (Gafsi, 2007). La réflexion stratégique est donc un processus continu en construction

Comme définie par Torset (2005), la réflexion stratégique est une activité de « sense-making » (Weick, 1991). On retrouve dans la conception de la réflexion stratégique les éléments de définition de l’apprentissage, comme une résolution de conflit entre la perception de la situation et les schémas mentaux préexistants. Cette réflexion stratégique est donc assimilable à un processus d’apprentissage, permettant de lier la réflexion et l’action70. Mintzberg précise que « l’apprentissage véritable se produit sûrement à l'interface de la pensée et de l'action, lorsque les acteurs

réfléchissent à ce qu'ils ont fait. En d'autres termes, l'apprentissage stratégique doit combiner intention et réalisation » (Mintzberg et al., 1985). Cette anticipation (vision) et cette réalisation (action) sont les

deux facettes de l’apprentissage de la stratégie « dans la construction d'un futur souhaitable » (Carrière, 1990). La réflexion stratégique peut donc être considérée comme l’interaction permanente entre une vision stratégique anticipée, formulée à travers des objectifs finalisés dans un environnement donné, et la mise en œuvre d’actions stratégiques répondant à cette vision. Les individus, à travers la réflexion stratégique, cherchent à faire sens dans un environnement donné, en réfléchissant sur, pour et dans l’action.

On cherche à travers l’analyse des processus d’apprentissage dans l’activité stratégique à lier apprentissage, perception et reconstruction de la situation par les individus dans une dynamique permanente de « sense-making » (Weick, 1983). On se place ici dans une perspective socio-constructiviste, en considérant la réflexion stratégique comme un processus d’apprentissage à part entière, sans pour autant chercher à qualifier des changements de « compétences fermées » ou prescriptives sur des étapes précises d’un processus défini, mais plutôt des compétences ouvertes, dans le principe du « savoir agir » (Toutain et Fayolle, 2008). On veut explorer la diversité des trajectoires induites par le CEF plutôt que de qualifier l’évolution des producteurs par rapport à un processus entrepreneurial ou une trajectoire idéale. Ce processus continu de réflexion dans l’action est par définition difficile à caractériser, les « produits » ou « traces d’apprentissage » étant émergentes et mouvantes. Cependant, nous avons besoin de les détecter dans le cas du CEF. Afin de caractériser les processus d’apprentissage à la fois dans l’élaboration et l’évolution des représentations, mais également dans le « passage à l’action stratégique » des acteurs, nous proposons d’identifier l’évolution de cette réflexion stratégique à travers deux axes principaux :

- Quelle est la vision stratégique des acteurs ?

- Quelle est la mise en œuvre d’actions stratégiques par ces acteurs ?

Nous voulons caractériser l’évolution de ces deux éléments pour relier la vision de l’avenir à l’action qu’elle engendre, sans que l’action soit directement liée à la vision.

Pour caractériser ces deux éléments de manière intégrée, nous nous sommes inspiré du concept de proactivité. Une personne proactive est définie comme « une personne prenant en main la

70 En effet, Minztberg explique que « [l’apprentissage] doit être une discipline, visant à faire naître et à valoriser l’idée de la direction à adopter – une perspective stratégique reconnue – et aussi, éventuellement, à changer cette perspective si nécessaire » (Mintzberg et al., 1999).

responsabilité de sa vie, plutôt que de rechercher des causes/appuis dans les circonstances ou les personnes

extérieures »71. Cette définition met en évidence l’aspect volontariste de la proactivité, ainsi qu’une

perception du pouvoir de l’acteur sur sa situation. La proactivité est à l’origine un concept mobilisé en psychologie : « un proactif est celui qui agit sur des faits ou des processus à venir (Martin, 1987),

souvent associé à une approche, une démarche, une stratégie, à l’innovation, à un individu, ce qui explique l’utilisation de ce concept dans différentes disciplines » (Laberge, 2003). Le concept est donc au départ

attaché à une dynamique de construction de l’avenir, de projection et d’action. Godet (cité par Ocler (2002)) évoque cette dynamique sous quatre formes : « celle de l’autruche passive qui subit le

changement, celle du pompier réactif qui attend que le feu soit déclaré pour le combattre, celle de l’assureur pré-actif qui se prépare aux changements prévisibles, celle du conspirateur propré-actif qui se prépare aux changements souhaités ». La proactivité n’est pas seulement une capacité d’adaptation à un environnement

donné ou à des évènements imprévisibles. Elle revêt un aspect volontariste d’action et d’influence de l’acteur sur son environnement.

D’autres auteurs ont mobilisé le terme de proactivité (voir la synthèse de ces travaux par Laberge (2003) en annexe n°3.3). Le terme peut qualifier une stratégie, notamment l’anticipation dans l’élaboration d’un plan et dans la mise en œuvre d’actions, pour définir une stratégie intégrative et émergente (Ocler, 2002)). La proactivité peut aussi qualifier une recherche d’atouts, de création ou de révélation de nouvelles opportunités. La proactivité peut enfin qualifier (principalement en ressources humaines et en stratégie) une caractéristique individuelle, une prédisposition ou un trait de personnalité, dans la capacité des individus à mobiliser et fédérer des équipes autour d’eux. Cette vision de la proactivité comme une prédisposition, un comportement, une attitude et une habileté (souvent caractéristique d’un individu) rejoint les analyses du profil d’entrepreneur (Marchesnay, 1991 ; Laroche et al., 2006) et des aspirations personnelles (Jaouen, 2008).

Dans les travaux portant sur le dirigeant de l’exploitation agricole, le concept de proactivité est utilisé pour établir des profils stables de dirigeants (opposant notamment les proactifs et les réactifs (Marchesnay, 1991 ; Lagarde, 2006a)), pour définir leur identité professionnelle (Cautrès et al., 1993), ou encore prévoir la pérennité de leur exploitation agricole (Macombe, 2009). Dans ces différents cas, la proactivité est plutôt une attitude générale, assez stable, basées sur des valeurs centrales de l’individu, qui définit le comportement des exploitants.

Dans ce travail, nous nous éloignons de cette vision de la proactivité comme un profil, un trait de personnalité ou un comportement stable. Selon Weick (1983), la proactivité est avant tout un processus de réflexion qui se transpose dans l’action. Nous nous inspirons du concept de proactivité tel que défini par Laberge (2003) pour illustrer une « direction » que les individus vont prendre, en permanente reconstruction, permettant de caractériser le processus continu de réflexion stratégique. Laberge (2003) articule les deux dimensions de vision et d’action stratégique, pour une définition de la proactivité présentée dans l’encadré 4 suivant.

Encadré 4 : Définition de la proactivité retenue dans ce travail

Source : (Laberge, 2003)

Certains éléments de cette définition se rapprochent des éléments définis sur le locus de contrôle72, notamment sur le pouvoir de l’acteur sur le changement et la manière dont il se voit ou non source et acteur du changement. Mais nous souhaitons ici intégrer la perception des acteur de leur pouvoir sur le changement dans la proactivité, pour analyser son caractère construit dans l’action plutôt que comme un « trait » stable, défini et déterminé chez les individus. La perception que les individus ont de leur rôle sur leur changement sera construit à travers un processus d’apprentissage permanent.

Nous considérons le concept de proactivité pertinent pour réaliser une analyse dynamique du processus de réflexion stratégique. Il nous permet de saisir la vision stratégique des acteurs, leurs « projets » ou leurs « bribes » de projet, leur perception de leur situation et de leur pouvoir sur l’environnement et les actions stratégiques qu’ils mettent en œuvre. La construction de la proactivité est considérée comme un processus récursif d’apprentissage, dans lequel la proactivité peut être à la fois un produit et un catalyseur de la réflexion stratégique. Tous les individus sont susceptibles d’évoluer dans leur proactivité, selon des potentiels et marges de manœuvre perçus, propres à chacun d’entre eux. Nous cherchons donc à comprendre comment le CEF permet d’appuyer les dirigeants dans leur réflexion stratégique, en élargissant leur cadre de réflexion, en faisant évoluer la perception qu’ils ont de leurs ressources, de leur rôle et leur perception de son

72 D’après Rotter, le locus de contrôle (ou lieu de contrôle) est un concept de psychologie, relatif aux croyances et représentations des individus « sur ce qui détermine leur réussite dans une activité particulière, ce qui leur arrive dans un contexte donné ou, plus généralement, ce qui influence le cours de leur vie. Les personnes croyant que leur performance ou leur sort dépend surtout d'eux-mêmes ont un locus de contrôle dit « interne » ; celles persuadées du contraire (c'est-à-dire que l'issue est avant tout déterminée par des facteurs extérieurs, hors de leur influence) ont un locus de contrôle dit « externe ». » (Rotter, 1954).

La proactivité semble reposer sur la propension à anticiper l’avenir et la propension à mettre en œuvre des actions pour s’aligner sur cette anticipation. La proactivité n’est jamais exclusivement une simple vision de l’avenir ou une simple action de changement mais la véritable proactivité est plutôt un processus interactif reliant ces deux dimensions.

- La propension à anticiper le changement : anticiper l’avenir sous-entend être capable [et se sentir capable] d’imaginer les transformations, de leur donner une signification, c’est se représenter ce qui va se passer dans un environnement donné ;

- La propension à mettre en œuvre des actions pour gérer le changement : le proactif considère que c’est sa responsabilité d’initier l’action. Il se prépare au changement. Il prend rapidement les décisions qui s’imposent pour atteindre cette représentation de l’avenir et agit aussitôt. Orienté vers l’action, il n’agit pas, il proagit. Le proactif prend les devants, il agit rapidement avant les autres, avant qu’il n’y soit contraint alors qu’il reste encore de la latitude pour exercer un choix afin d’influencer, de modeler l’environnement. Il est donc initiateur et participant au changement.

environnement. Si elles se produisent, ces différentes évolutions permettront aux producteurs d’améliorer leur réflexion stratégique, de « désapprendre » en interprétant « des faits banals de

manière différente » (Mintzberg et al., 1999), de tester, d’expérimenter, tout en introduisant des idées

et outils nouveaux. La réflexion stratégique est influencée par des facteurs relatifs à la fois à la réflexion stratégique en elle-même, mais également au dispositif d’accompagnement que le CEF constitue.