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Caractérisation individuelle des molécules

L’exploration des phénomènes de surface au niveau de la molécule unique a été per- mise par la conception de la microscopie à effet tunnel (STM : Scanning Tunnelling

Microscope) en 1981 par Binnig et Rohrer [109–111]. La famille des microscopies à sonde locale s’est développée autour du STM et du microscope à force atomique (AFM : Atomic Force Microscope), développé en 1986.

Grâce à la microscopie à sonde locale, il est désormais possible d’observer des atomes individuels, et de distinguer différentes sections d’une molécule. La « sonde locale » consiste en fait d’une pointe qui est balayée par des mouvements de va-et-vient au- dessus de la région étudiée. Le contrôle des mouvements extrêmement fins est permis par l’intermédiaire de moteurs piézoélectriques. Leur principe repose sur l’utilisation de céramiques piézoélectriques, qui se déforment légèrement, et de façon reproduc- tible, lorsqu’une tension électrique leur est appliquée. Deux moteurs piézoélectriques permettent de contrôler les mouvements de la pointe dans le plan de la surface, tel qu’illustré à la Figure1.3

La Figure1.4illustre les informations différentes accessibles par les deux principales techniques de microscopie à sonde locale [112]. Pour le pentacène, l’image STM en B est foncièrement différente de l’image AFM en C, qui ressemble à la structure mo- léculaire montrée en A. Cette différence provient du fait que le microscope à effet tunnel mesure en fait la densité électronique. La variation de l’intensité du courant tunnel mesuré entre une surface métallique ou semi-conductrice et la pointe permet cette mesure. Quant au microscope à force atomique, son contraste provient de la dé- formation du cantilever selon les forces – atomiques – subies par la pointe qu’il porte. Contrairement au STM, l’AFM peut être utilisé même sur les surfaces d’isolants élec- triques.

Figure 1.3 – Schéma du fonctionnement de la boucle de contrôle du STM. Le cou- rant tunnel, provenant principalement de l’atome au bout de la pointe, est converti en différence de potentiel par l’amplificateur. Le contrôleur STM, dépendant d’un interface utilisateur, ajustera la distance pointe-surface pour ramener le courant tun- nel à la valeur de référence. Le mouvement vertical de la pointe à chaque point de mesure sert alors pour générer une image de synthèse.

Figure 1.4 – Images STM et AFM de pentacène sur du Cu(111). (A) Modèle molécu- laire du pentacène. (B) Image STM du pentacène. (C et D) Images AFM du pentacène. Tiré de [112].

1.3.1 Microscopie à effet tunnel

La méthode expérimentale utilisée lors de ma thèse est le microscope à effet tunnel. Bien qu’il soit possible d’utiliser le STM en phase liquide, les expériences présentées dans cette thèse ont eu lieu sous UHV.

Effet tunnel

Comme mentionné plus haut, le contraste du STM provient de la différence du cou- rant tunnel mesuré entre deux régions. L’origine de ce courant est un phénomène

quantique appelé effet tunnel, par lequel une particule peut traverser une zone qui lui serait interdite par la mécanique classique. Considérons l’équation de Schrödin- ger pour la fonction d’onde d’un électron (𝜓(𝑥)) :

− ℏ

2

2𝑚 𝑑2

𝑑𝑥2𝜓(𝑥) + 𝑉(𝑥)𝜓(𝑥) = 𝐸𝜓(𝑥) (1.1)

Si le potentiel V(x) est constant, on a : 𝑑2

𝑑𝑥2𝜓(𝑥) =

2𝑚(𝑉 − 𝐸)

ℏ2 𝜓(𝑥) (1.2)

Dans ce cas, deux solutions existent :

oscillatoire, si 𝐸 > 𝑉, 𝑉 = 𝑉1: 𝜓(𝑥) = 𝐴𝑒𝑖𝑘𝑥+ 𝐵𝑒−𝑖𝑘𝑥, où 𝑘 = √2𝑚(𝐸−𝑉1)

exponentielle décroissante, si 𝐸 < 𝑉, 𝑉 = 𝑉2: 𝜓(𝑥) = 𝐶𝑒−𝐾𝑥, où 𝐾 = √2𝑚(𝑉2−𝐸)

Le régime oscillatoire apparait dans les régions I et III de la Figure1.5, tandis que le régime exponentiel décroissant est présent dans la région II. Puisque la probabilité de retrouver une particule dans une région R est proportionnelle à l’intégrale de la norme de sa fonction d’onde :

𝑃𝜓(𝑥)(𝑅) = ∫

𝑅∣𝜓(𝑥)∣ 2

𝑑𝑥 (1.3)

La probabilité qu’une particule puisse franchir une la barrière de potentiel suffisam- ment étroite par effet tunnel est non négligeable. Un courant tunnel est donc possible.

Principe d’imagerie

Pour le STM, les régions I et III de la Figure1.5 peuvent représenter la pointe ou la surface, tandis que la région II est associée au vide entre les deux. Lors de l’imagerie, on extrait généralement les électrons d’une pointe métallique. Pour un électron au niveau de Fermi, la barrière de potentiel pour l’extraction sera donc le travail de sortie de ces électrons. La largeur de la zone interdite, la région II de la Figure1.5, sera ici la distance entre la pointe et la surface.

La surface et la pointe sont en contact électrique dans le STM ; leurs niveaux de Fermi sont donc alignés. En appliquant une différence de potentiel, on brise cette symétrie

Figure 1.5 – La solution de l’équation de Schrödinger aura un caractère différent tout dépendant si l’énergie de la particule est supérieure ou inférieure au potentiel au- quel elle est soumise. Pour les régions I et III, où 𝐸 > 𝑉(𝑥), la fonction d’onde sera sinusoïdale. Si 𝐸 < 𝑉(𝑥), comme dans la région II, la fonction d’onde sera décrite par une courbe exponentielle décroissante. Si cette région est suffisamment étroite, l’amplitude résiduelle de la fonction d’onde dans la région III sera non nulle.

et un courant net est observé. Pour la situation présentée à la Figure1.6, on observera un transfert électronique net des états occupés de la pointe vers les états libres de la surface. Un transfert électronique de la surface vers la pointe est aussi possible pour une différence de potentiel opposée.

Figure 1.6 – Schéma de l’imagerie STM à 0 K en présence d’une différence de potentiel V. Les niveaux de Fermi sont indiqués par les lignes pointillées. Le travail de sortie des électrons de la pointe est ϕ. Une différence de potentiel est appliquée entre la pointe et la surface ; les électrons tunnels passent donc d’états électroniques près du niveau de Fermi de la pointe et vont vers des états libres de la surface. La probabilité dépend de la densité locale d’états électronique, qui n’est pas indiquée ici [113].

troniques de la surface [113] :

𝐼 ∝ 𝑉𝜌(0, 𝐸𝐹)𝑒−2𝜅𝑧 (1.4)

où 𝑉 est la différence de potentiel appliquée, 𝜌 est la densité électronique locale à la surface, 𝑧 la distance entre la pointe et la surface, 𝜅 = √2𝑚𝜙 avec 𝜙 étant le travail de sortie des électrons et 𝑚 leur masse.

D’après cette équation, le courant tunnel est divisé par 7,4 alors que la distance pointe-surface croit d’un Å à un travail de sortie de 5 eV. Du coup, près de 90 % du courant tunnel passera par l’atome de la pointe le plus près de la surface.

Cette grande sensibilité de la distance pointe-surface sur le courant tunnel permet l’excellente résolution du STM, mais requiert une pointe particulièrement fine. Les pointes commerciales sont relativement fines, mais tout petit changement peut faire perdre la résolution. Par exemple, une légère collision avec la surface, l’adsorption de molécules de la surface par la pointe ou la migration d’espèces sur la pointe peuvent en modifier la résolution. L’adsorption de pentacène par la pointe permet d’ailleurs une meilleure résolution des orbitales HOMO et LUMO du pentacène qu’une pointe métallique, tel qu’illustré à la Figure1.7 [114]. Généralement, le courant obtenu pro- vient d’un léger défaut formé de façon plutôt aléatoire à l’extrémité de la pointe. On peut décaper la pointe avec un flux d’argon ionisé pour l’affiner. La préparation in

situ de la pointe consiste en l’application d’un potentiel supplémentaire pour y faire

migrer des espèces ou y adsorber une espèce de la surface, ou encore générer de faibles collisions avec la surface pour modifier la géométrie de la pointe.

La discussion qui précède indique que le courant tunnel mesuré dépend de la struc- ture électronique de la surface et de la pointe à l’énergie sondée. Par exemple, Repp et collab. ont pu observer les orbitales HOMO et LUMO du pentacène, respective- ment les colonnes de droite et de gauche de la Figure1.7, en variant le potentiel ap- pliqué [114]. Les conditions expérimentales requises pour les travaux de cette thèse ne permettent pas de sonder séparément et individuellement les orbitales des mo- lécules étudiées. La résolution obtenue pour les groupements aromatiques est donc comparable à celle présentée au centre de la première rangée de la Figure1.7.

Fonctionnement

Le mécanisme d’imagerie est présenté à la Figure1.3. La pointe STM est balayée sur la surface alors qu’une électronique de contrôle maintient le courant constant. On

Figure 1.7 – Les deux premières rangées présentent le pentacène sur un film de NaCl observé par une pointe de métal et une autre fonctionnalisée par du pentacène. L’em- ploi du film de NaCl permet d’oberver les orbitales individuelles du pentacène ; elles ne sont pas couplées à celle de la surface métallique sous-jacente. En variant la diffé- rence de potentiel, on peut observer des orbitales précises (HOMO à droite et LUMO à gauche) ou avoir une protrusion moins définie (colonne du centre). La dernière rangée présente les simulations théoriques des densités pour les orbitales HOMO et LUMO, ainsi que la structure du pentacène au centre. Issu de [114].

mesure le courant tunnel à plusieurs points de la zone sondée. Ce courant est ensuite converti en un voltage par un amplificateur. L’électronique de contrôle compare alors ce potentiel à une valeur de référence et ajuste la position du piézoélectrique contrô- lant le mouvement de la pointe perpendiculairement à la surface. Une densité élec- tronique plus élevée sera observée comme une protrusion, tandis qu’une plus faible apparaîtra comme une dépression. L’image STM ainsi obtenue présente donc une topographie électronique de la surface.

Le mode d’imagerie du STM en fait une méthode particulièrement sensible aux vibra- tions mécaniques. L’un des principaux avantages des pompes ioniques est d’ailleurs qu’elles ne génèrent pas de telles vibrations. Le STM que j’ai utilisé est produit par SPECS GmbH, et est un dérivé du design Aarhus. Le couplage rigide entre la pointe et l’échantillon de ce design permet de réduire l’impact des vibrations sur nos images, en plus de permettre de plus grandes vitesses d’imagerie [113]. Le microscope est

aussi suspendu par des ressorts lors de la phase d’imagerie. Ces ressorts permettent d’isoler mécaniquement le STM du reste du système UHV, et d’ainsi dissiper l’éner- gie des vibrations environnementales qui autrement affecteraient le microscope. La microscopie peut perturber le système qu’elle mesure. Ces perturbations sont bien connues, et parfois même utilisées pour manipuler la matière à l’échelle atomique. Il est donc possible de pousser, tirer ou même soulever des atomes et des molécules en surface [115]. Le champ électrique émanant de la pointe peut attirer ou repous- ser des espèces ayant une charge nette [116]. Les électrons tunnel peuvent aussi ve- nir exciter des états électroniques ou vibrationnels des espèces en surface [115]. Le contrôle de ces perturbations ouvre la porte au contrôle de réactions chimiques au niveau moléculaire. Considérons par exemple la synthèse de diphényle à partir de deux molécules d’iodobenzène par STM sur le Cu(111) [117]. Dans le cadre des tra- vaux présentés dans cette thèse, ces perturbations n’étaient pas recherchées, et nos les conditions d’imagerie ont été choisies afin de les minimiser.

1.4

Caractérisations théoriques : Théorie de la