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IV. Cadre théorique de la recherche

2. Culture et éducation

2.2. Caractère interculturel du projet

Le Master conjoint ci-étudié a pour caractéristique de mettre en présence deux cultures d'enseignement/apprentissage différentes. Il est organisé et géré par deux institutions issues de deux contextes culturels différents ; le contexte franco-européen et le contexte syro-arabe. Le caractère biculturel est présent à plusieurs niveaux. Tout d'abord, il se retrouve dans la maquette pédagogique qui, mise en place par l'Université de Poitiers, a été adaptée pour répondre aux exigences des ministères de l'enseignement supérieur des deux contextes. Ensuite, cette biculturalité est présente dans la coordination du Master en Syrie lorsque des décisions communes sont à prendre. Enfin, et c'est là le niveau qui nous intéresse plus particulièrement pour notre étude, le caractère biculturel est présent lorsque les enseignants français viennent en mission pour donner un cours aux étudiants syriens inscrits au Master MRIE à Damas.

Chaque contexte, selon ses modes d'organisations sociaux et politiques, génère un certain type de culture éducative qui ira déterminer les stratégies d’enseignement/apprentissage et par conséquent la nature des relations pédagogiques (Cortier in. Puren, 2005, p.478) dans les différentes institutions éducatives du pays ou de la région concerné(e).

En France par exemple, l'université évalue non seulement le contenu intellectuel des cours, mais aussi le contrôle et l'élaboration de ce contenu par l'étudiant (Coulon, 2005, p.196) alors qu'en Syrie ne serait évaluée que la compétence à reproduire un savoir (Al Nahar, 2005, p.92). En France, chacun

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a le droit d'exprimer son point de vue sous sa responsabilité. Chacun parle pour soi dans un idéal de relations interpersonnelles égalitaire et respectant l'indépendance des individus (Takeuchi, 2004, p.82) alors que l'école et la famille syrienne apprennent aux enfants à tout accepter sans chercher le pourquoi des choses, à garder profil bas et à être hypocrite au besoin (Al Nahar, 2005, p.91). On doit penser également au possible impact de la vie religieuse sur la logique mise en œuvre par les étudiants, à la préférence de l'empirisme sur la pensée jugée abstraite et aussi à l'influence du milieu d'origine sur la liberté de penser (Verbunt in Puren, 2005, p.414).

Ces particularités éducatives familiales et/ou scolaires différentes risquent de se retrouver en "confrontation" au moment où les enseignants français sont en mission à Damas et donnent cours aux étudiants syriens. D'après Verbunt, dans l'esprit de beaucoup, cette hétérogénéité est d'abord un obstacle à la communication. Mais cette relation interculturelle peut aussi être vue comme un enrichissement, considérant que l'enseignant est en même temps apprenant et l'apprenant lui-même enseignant. Dans cette relation réciproque,

"il n'y a pas renversement des rôles, mais réciprocité et addition, ce qui crée comme une troisième relation que nous appelons interculturelle" (Verbunt in

Puren, 2005, p.477). Dans cette perspective, l'interculturel doit inviter à l'ouverture, à la négociation, au compromis.

En outre, Puren (cit. in Cortier in Puren, 2005, p.477), dans la perspective de Crozier, indique que la culture et les faits culturels peuvent être instrumentalisés par les sujets pour leurs communications interindividuelles. Ceci nous permet de penser, comme le font déjà d'ailleurs beaucoup de didacticiens (Cortier in Puren, 2005, p.479), que les individus sont en mesure d'échapper au déterminisme de leur culture par l'interaction interindividuelle.

Les principaux acteurs du Master vont se retrouver, au moment de la relation interculturelle, à devoir pratiquer ce que Charnet (2004, p.105) appelle "la

communication interculturelle" ; des intervenants originaires de communautés

différentes vont mettre en œuvre des procédures pour réaliser une activité commune (participer à un cours).

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Dans notre cas les acteurs du Master sont issus de traditions didactiques différentes et ne maîtrisent pas la même L1. La communication doit donc être non seulement qualifiée d'interculturelle, mais également d'exolingue. Une situation de communication est exolingue lorsque les locuteurs ne disposent pas d'une L1 commune (Porquier, 1979, cit. in Matthey) et qu'ils reconnaissent cet état de fait en adaptant leurs comportements et leurs conduites langagières (Porquier, 1984, cit. in Matthey). Pour Charnet (2004, p.106), la communication exolingue désigne une interaction interculturelle où la compétence linguistique et ethno-socio-culturelle des locuteurs est différente et donc impose des stratégies sémantiques pour qu’il y ait intercompréhension.

Dans cette relation interculturelle, des habitus créés par les contextes culturels en présence vont se retrouver en contact : "face à face" ou "côte à côte", là semble se trouver tout l'enjeu de l'interculturel.

Nous rejoindrons Matthey & Simon (2009, p.10) qui invitent à reconsidérer la notion d'interculturalité et à la mener vers la notion d'altérité, plus adéquate dans nos sociétés privilégiant l'individu. En effet, pour les auteures, interculturalité renvoie à la "culture" teintée de connotations et de représentations qui enferment l'individu alors que la culture est souvent moins homogène et statique qu'on ne l'imagine (Amselle, cit. in Matthey & Simon, 2009, p.11).

Une fois l'individu rendu plus indépendant de sa culture d'origine, il pourra être doté d'une compétence pluriculturelle liée, dans le Cadre européen de référence (CECR), à la compétence plurilingue. Coste, Moore et Zarate (cit. in Troncy, 2009, p.30) désignent par compétence plurilingue et pluriculturelle "la

compétence à communiquer langagièrement et à interagir culturellement d'un acteur social qui possède, à des degrés divers, la maitrise de plusieurs langues et l'expérience de plusieurs cultures."

Demorgon aussi (cit. in Puren, 2005, p.497) nous invite à réfléchir à la notion d'interculturalité indiquant que celle-ci implique la transculturalité. Transculturalité qui est alors considérée, elle, comme une nouvelle culture

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partagée. Pour Demorgon toujours, l'interculturel doit être une occasion exceptionnelle de produire ensemble de nouvelles réponses culturelles. "Nous ne devons pas seulement nous comprendre, mais agir ensemble." (Demorgon, cit. in Puren, 2005, p.498).

Cette vision positive de la relation, de la rencontre interculturelle, nous permet de penser que les acteurs du Master pourrons effectivement mettre en place, avec plus ou moins d'efficacité, de nouvelles stratégies, créées dans et pour le contexte spécifique de leur interaction interculturelle. C'est peut-être là, au niveau de la faculté des acteurs de s'adapter les uns aux autres ainsi qu'au contexte de leur projet spécifique, que se joue la réussite d'un projet interculturel conjoint.