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5.3. F ORÇAGE ORBITAL DANS LE DEVELOPPEMENT ET LA DISTRIBUTION DES PALEOSOLS

5.3.2. Calibration des coupes sur l’échelle astronomique

Dans cette partie, nous décrivons comment les coupes ont pu être calées sur une échelle astronomique, grâce au site ODP 926 avec lequel les coupes sont calées sur l’enregistrement marin, et qui a été lui-même calé sur l’échelle astronomique. L’intérêt de cette démarche est la possibilité de comparer directement les enregistrements sédimentaires continentaux avec la courbe d’insolation.

5.3.2.1. Calage des coupes sur l’échelle B95

Nous ne rappellerons que brièvement le calage stratigraphique primaire des coupes, que nous avons détaillé dans la première partie (section 1.3.2) : la coupe a été calée sur une échelle géologique (B95) grâce aux corrélations isotopiques, elles-mêmes reposant sur des données paléontologiques. Ce calage est relativement précis pour une série continentale, avec des intervalles de corrélation de 300 à 700 ka environ (Fig. 5.7). Les corrélations confirment que la coupe de Beynes ne présente pas de hiatus majeur à l’échelle de 100 ka ou plus, ce que montrait l’interprétation séquentielle et les corrélations isotopiques avec la coupe des Ruines (Chapitre 4 ; Bialkowski et al., soumis), et contrairement aux idées classiques en sédimentation continentale. La coupe du Saule Mort, si elle ne présente pas non plus de hiatus à cette échelle, montre une condensation nette du signal isotopique au niveau du CPM.

Fig. 5.7. Cadre stratigraphique des coupes de Beynes et du Saule Mort. Corrélations avec la courbe isotopique de

référence (site 926), calée sur B95. Les gisements se rapportent à ceux de Font d'Eygout (1), les dinoflagellés (2) et le gisement de gastéropodes (3) (voir en Chapitre 1 pour plus de détails).

5.3.2.2. La courbe d’insolation de Laskar et al. (1993)

Depuis la première expression mathématique de l’origine astronomique des variations climatiques (Milankovitch, 1941), il a fallu attendre l’arrivée des premiers ordinateurs de puissance suffisante pour affiner les calculs des paramètres orbitaux de la Terre et d’autant plus pour pouvoir les prolonger dans les périodes anté-quaternaires (Berger, 1978 ; Laskar, 1988 ; voir Berger, 1988, pour une revue historique complète). Le modèle de Laskar (Laskar et al., 1993, noté par la suite La931,1) est préféré à celui de Berger (BER90, Berger & Loutre,

1991), car plus souvent appliqué dans les études cyclostratigraphiques visant à caler astronomiquement les séries sédimentaires anté-quaternaires (orbital tuning, p. ex. Hilgen, 1991 ; Hilgen et al., 1995). Récemment, de nouvelles solutions orbitales ont été publiées (Laskar et al., 2004), mais, à l’instar de l’échelle stratigraphique utilisée (Berggren et al., 1995, B95), aujourd’hui réactualisée (Gradstein et al, 2004), l’utilisation de ces anciens canevas permet une comparaison avec les travaux déjà publiés. Il va de soi qu’à l’avenir, l’utilisation de ces nouvelles solutions sera nécessaire, d’autant plus qu’elles permettent de s’aventurer plus loin dans le Cénozoïque (jusqu’à la limite K/T, voire le Mésozoïque si l’on ne considère que l’excentricité à 400 ka, qui reste stable au cours des temps géologiques).

Les données20 d’insolation utilisées dans le cadre de ce travail de thèse sont issues d’une publication de Shackleton et collaborateurs (Shackleton et al., 1999) ; ces auteurs ont exploité la solution La931,1 jusqu’à 34 Ma, pour caler astronomiquement la série miocène du site 926

(leg ODP 154). Ce site est celui choisi pour les corrélations isotopiques, l’étude cyclostratigraphique de Shackleton et collaborateurs puis les suivantes (Paul et al., 2000, Zachos et al., 2001b) ayant fourni une courbe isotopique à très haute résolution. Les solutions publiées correspondent à l’insolation à 65°N. Le choix de conserver ces données pour notre étude en dépit d’une paléolatitude de ~35°N marque la nécessité pour notre étude de corréler les deux signaux isotopiques sur l’échelle astronomique. Il s’agit donc avant tout d’un impératif stratigraphique, et nous sommes conscients que l’utilisation d’une telle courbe ne réflètera pas aussi fidèlement les conditions climatiques locales à la paléolatitude de Châteauredon.

5.3.2.3. Calage astronomique

Comme décrit auparavant (voir section 1.3.3), la limite Oligo-Miocène a fait l’objet d’études approfondies quant à l’influence du forçage climatique sur l’enregistrement isotopique et à ce titre, le site 926 a fait l’objet d’un calage astronomique (Shackleton et al., 1999, Paul et al., 2000, Zachos et al., 2001b). Cette opportunité unique va nous permettre de caler la série sur une échelle astronomique (Fig. 5.8.), rendant ainsi possible la comparaison directe de l’enregistrement sédimentaire avec les cycles d’insolation, considérés, dans les études quaternaires, comme un « proxy » climatique.

Bien que les variations climatiques et les paramètres orbitaux soient indiscutablement liés, leur relation de cause à effet n’est ni directe, ni linéaire. En effet, la comparaison des cycles glaciaires quaternaires des 400 derniers ka avec les variations de l’insolation montre clairement un décalage temporel systématique entre les deux signaux, assimilable à un effet tampon du système climatique (Fig. 5.9). En outre, la réponse climatique n’est pas systématiquement fonction de l’amplitude des pics, ce qui a sans doute trait à la non-linéarité de la réponse du système, composée de boucles de rétroactions positives et négatives dont les effets relatifs sont encore largement méconnus (p. ex. Henderson & Slowey, 2000 ; Muhs et al., 2002).

Fig. 5.8. Calage orbital de la

courbe isotopique de référence sur la courbe d’insolation. Les intervalles corrélés sont identiques à ceux de la Fig. 5.7.

Fig. 5.9. Relation entre insolation et

climat au Quaternaire. Les périodes chaudes (en rouge) et froides (en bleu) sont centrées sur le signal isotopique ; on remarque alors un décalage systématique, variant entre quelques ka et 13 ka. Il en résulte que certains pics positifs d’insolation sont en regard de périodes froides (270 ka) et inversement (Actuel, stade 7 très stable). Données isotopiques d’après la compilation de Zachos et al. (2001a) ; données d’insolation d’après Shackleton et al., 1999.

Le calage astronomique du site 926 a entraîné des modifications notables dans les âges isotopiques, par rapport à ceux donné par l’échelle B95 (Fig. 5.8). La dérive des âges varie entre la base et le sommet de la courbe : la différence d’âge observée est de 900 ka pour les âges les plus vieux, mais diminue jusqu’à 300 ka pour les âges les plus récents. Ceci implique non seulement un shift dans les âges, mais aussi une distorsion du signal isotopique. Par exemple, Paul et al. (2000) ont remarqué que la limite O/M, qui correspond à l’évènement isotopique Mi-1, était daté à 22,95 Ma, au lieu des 23,8 assigné par B95. Des ajustements postérieurs mineurs ont abouti, dans la nouvelle échelle stratigraphique, à placer la limite à 23,03±0.04 (Lourens et al., in Gradstein et al., 2004).

En ce qui concerne les intervalles de corrélation, seul la durée du plus récent n’a pas significativement varié ; les autres présentent systématiquement des distorsions pouvant atteindre jusqu’à 30%, les intervalles « astronomiques » étant toujours plus courts que les intervalles « géologiques ». Finalement, en regardant l’intervalle corrélé dans son ensemble, sa durée est de 2020±60 ka (échelle astronomique) ou 2470±90 ka (échelle géologique), soit une distorsion temporelle de 20%. Puisque notre but est la comparaison de l’enregistrement sédimentaire avec celui du climat/insolation, et qu’il nous est donné de pouvoir le comparer directement, la suite de l’étude prend l’échelle astronomique comme référence.

5.3.2.4. Pédogénèse et facteur climatique

Les sols se développent jusqu’à ce qu’ils soient érodés ou enfouis. Ils peuvent éventuellement subir la pédogenèse des dépôts sus-jacents une fois enfouis (cas des compound et cumulative paleosols, Kraus, 1999). Dans un contexte de plaine d’inondation, ces évènements sont étroitement liés aux crues de débordement majeures, qui vont éroder la partie superficielle et peu consolidée des sols, c'est-à-dire les horizons O et A, et qui vont déposer, par décantation, les limons qui serviront de base à la prochaine phase de pédogénèse ; ces crues contribuent ainsi à l’aggradation de la plaine d’inondation sur toute sa surface (p. ex. Wright, 1992).

A l’échelle de temps propre aux cycles orbitaux, la fréquence et amplitude des phénomènes de crues, et inversement les périodes plus propices à la pédogénèse, sont directement liées au climat. Les reconstitutions paléoclimatiques de la région, ajoutées aux occurrences de paléosols calciques et parfois même vertiques observées sur le terrain, indiquent un climat de type semi-aride, avec un fort contraste saisonnier21. Les modèles de pluviométrie associée à la formation de carbonates pédogénétiques donnent une fourchette entre 100 et 750 mm/an (Duchauffour, 1982, Cerling, 1984).

Dans un tel contexte climatique, les études sur le développement d’horizons carbonatés au Quaternaire montrent que ceux-ci sont associés aux périodes plus sèches, elles-mêmes liées aux minima du signal d’insolation (Cecil, 1990, Boardman et al., 1995, Dhir et al., 2004).

Avec des conditions paléoclimatiques très comparables aux notres, Abdul-Aziz et al. (2003, 2004), dans deux études cyclostratigraphiques des dépôts alluvio-lacustres du bassin de Teruel (Espagne), montrent que les périodes de haut niveau du lac correspondent aux phases humides, soit celles d’insolation maximale (par analogie avec la formation des sapropels méditerranéens) et par conséquent, que les paléosols marquant les phases d’émersion du lac/progradation du cône alluvial sont associés aux minima d’insolation.

En domaine méditerranéen, les études palynologiques ont montré que le climat était de type semi-aride (voir en Chapitre 2 pour plus de détails). Bessedik (1984) a proposé que le climat aquitanien correspondît ainsi au climat actuel à 20-30°N de latitude.

Par ailleurs, Matthews & Perlmutter (1994) ont proposé un modèle de changements climatiques faisant appel à la notion de « zones cyclostratigraphiques » (cyclostratigraphic belts). Selon la latitude considérée, la variation d’humidité entre les extrema climatiques peut s’opposer (Fig. 5.10) : ainsi, en haute latitude, les minima climatiques (périodes froides) sont arides et les optima sont humides. La tendance s’inverse vers les basses latitudes. Si les auteurs assurent que leur modèle est valable aussi bien pour des périodes chaudes (Crétacé, Eocène) que froides (Permien, Quaternaire), des études plus récentes (Plaziat, 1995, Nikolaev et al., 1998) ont mis en évidence que les gradients climatiques avaient bel et bien évolué depuis le Néogène. Bessedik avait déjà, sur la base des analyses palynologiques, proposé que le climat de l’Aquitanien était équivalent à celui qui prévaut aujourd’hui par 20-30°N (Bessedik, 1984), et Sittler (1967) considérait le bassin rhénan sous conditions climatiques de type « extratropicales ».

En se rapportant au diagramme de Matthews & Perlmutter, ces informations placent la paléo-zone climatique dans la « zone cyclostratigraphique 4A » (Fig. 5.10). Selon leur modèle, le climat varierait donc depuis un optimum tropical subhumide à un minimum tempéré sec. Mais sachant que le gradient climatique était moindre, les « sauts » de zone cyclostratigraphique entre l’optimum et le minimum climatique ont dû être plus faibles, accentuant de fait les différences hygrométriques : les optima climatiques auraient été plus humides et les minima, comparativement, plus arides.

Fig. 5.10. Variations climatiques et

zones cyclostratigraphiques. La phase A représente l’optimum climatique, la phase C le minimum ; A, Aride, S, Sec, SH, Sub-humide, H, humide, TH, très humide. La zone grisée correspond à notre cas d’étude, d’après les reconstitutions paléoclimatiques et paléogéographiques. Modifié d’après Matthews & Perlmutter (1994).

Cette approche par la « cyclostratigraphie globale » (Matthews & Perlmutter, 1994) confirme donc le modèle établi d’après les études quaternaires. Par conséquent, la pédogénèse sera, dans ce qui suit, considérée associée aux minima d’insolation et les périodes de sédimentation aux maxima.