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C - L’instruction des demandes de naturalisation

1 - Une réorganisation bienvenue mais qui n’a pas encore produit ses effets

En 2011, les conditions d’instruction des demandes de naturalisations dans les 186 préfectures et sous-préfectures concernées ont fait l’objet d’une appréciation critique par l’inspection générale de l’administration, avec deux points noirs : des délais anormalement longs et une dispersion élevée des taux de rejet (de 25 à 80 %) selon les départements, peu explicable par des variables sociodémographiques propres aux territoires.

Pour y remédier, le ministère de l’intérieur a engagé un plan ambitieux, dont l’élément le plus structurant a consisté à regrouper les services instructeurs en 42 plateformes départementales ou interdépartementales (soit une division par quatre du nombre de services), tout en conservant aux préfectures leur rôle de réception des demandes en amont et l’avis de recevabilité ou d’opportunité en aval. Ces 42 plateformes sont aujourd’hui opérationnelles.

Une nouvelle mission conduite par l’inspection générale de l’administration en mai 2017 a cependant conclu que la réforme n’avait

« pas encore produit les résultats attendus », notamment en termes de délais d’instruction qui demeurent anormalement longs, d’autant que, comme pour les procédures d’immigration, les naturalisations comportent des « délais cachés » lorsque l’administration diffère l’enregistrement des demandes complètes et la délivrance des récépissés. De fait, le tableau de bord de suivi des délais, qui n’enregistre pourtant pas ces « délais cachés », montre que la cible fixée par la direction en charge de la modernisation du ministère, soit 270 jours d’instruction pour les demandes de naturalisation par décret, n’est pas respectée par 19 plateformes sur 40 qui ont pu produire cet indicateur, mais surtout, que dans plusieurs plateformes, le dépassement se compte en dizaines, voire centaines de jours. Le manque d’effectifs ne peut être invoqué : les effectifs des plateformes en 2019 sont supérieurs de 43 ETPT à la cible fixée par la réforme au niveau national, seuls quelques territoires accusant un écart négatif.

Consciente du caractère critique de la situation, la DGEF a demandé à chaque plateforme de produire un plan d’actions pour 2019, en prescrivant notamment que leurs procédures soient optimisées.

En revanche, la constitution des plateformes semble avoir réduit la dispersion des taux de rejet, signe que le pilotage plus serré des procédures par l’administration centrale et la diffusion d’outils d’aide à la décision ont joué un rôle utile.

2 - L’enjeu de l’homogénéisation des avis et décisions La naturalisation étant prononcée par décret du Premier ministre, contrairement aux décisions relatives au séjour qui relèvent du pouvoir des préfets, elle fait l’objet d’un double niveau d’instruction, en préfecture puis au niveau de la DGEF.

Le premier avis, c’est-à-dire celui de l’agent qui a effectué l’entretien d’assimilation, est déterminant car au vu des dossiers examinés dans le cadre de la présente enquête, les cas d’inversion par la voie hiérarchique sont rares. En revanche, le taux de réformation des décisions négatives en cas de recours administratif des demandeurs s’élevait encore à 33 % en 2017, la DGEF estimant qu’un quart environ de ces inversions correspondent à des fragilités initiales.

L’enjeu d’une homogénéisation des décisions reste donc important, d’autant que si certaines des conditions posées par la loi peuvent être objectivées (cinq années de résidence habituelle en France notamment), d’autres sont exprimées en termes généraux qui se prêtent à des interprétations multiples (« être de bonne vie et mœurs »).

C’est le rôle des « Orientations générales relatives à certaines modalités d’acquisition de la nationalité française ». Ce document, publié en avril 2015 et révisé en 2016, encadre les naturalisations par décret et par mariage. Il entend faire la distinction entre l’examen des conditions prévues par le code civil, qui peuvent justifier une décision d’irrecevabilité, d’une part, et l’appréciation en opportunité du préfet, d’autre part, susceptible de fonder une opposition. En pratique, toutefois, ce sont souvent des décisions d’ajournement qui sont rendues, invitant le demandeur à déposer un nouveau dossier quelques mois plus tard.

L’enquête prescrite par l’article 36 du décret du 30 décembre 1993, effectuée par les services de police ou de gendarmerie, prend la forme d’une consultation des principaux fichiers de police. Ce n’est qu’exceptionnellement que des investigations plus poussées sont mises en œuvre. Les dossiers examinés montrent que l’irrecevabilité est prononcée systématiquement en cas de condamnation portée au bulletin n° 2 du casier judiciaire. Figurer au système de traitement des infractions constatées (Stic) justifie aussi presque toujours un ajournement de la décision, quand bien même aucune condamnation n’aurait été prononcée contre l’intéressé.

Les autres motifs susceptibles de se traduire par un ajournement sont, en pratique, le défaut d’autonomie financière dans le cas des personnes dont l’essentiel des revenus proviennent de prestations sociales ou le défaut d’insertion professionnelle vis-à-vis des personnes n’ayant jamais connu de travail stable.

Enfin, le fait d’avoir séjourné irrégulièrement en France, fût-ce longtemps avant la demande de naturalisation, est régulièrement invoqué à l’appui d’un ajournement, voire d’une opposition, alors que la condition de régularité du séjour ne s’apprécie par construction que pour les cinq années qui précèdent la demande de naturalisation.

3 - Une procédure contrainte par les moyens et les délais qui ne laisse qu’une place formelle à l’entretien d’assimilation

L’entretien d’assimilation consiste aujourd’hui en un face-à-face de vingt à trente minutes entre un agent de la préfecture et le demandeur. Dans bien des cas, les trois quarts du temps sont consacrés à un examen des pièces du dossier et au recueil d’informations complémentaires, notamment sur la situation du demandeur vis-à-vis de son pays d’origine (s’il s’y rend régulièrement, s’il y conserve de la famille, etc.) tandis que le quart restant prend la forme de questions – réponses sur l’histoire et parfois la civilisation françaises. Est typiquement demandé de citer un ou deux rois de France, d’énoncer la devise de la République ou de donner le nom de son hymne.

Cet entretien, bref et formel, contraste avec l’enjeu légal et symbolique qui le justifie. Les préfets interrogés dans le cadre de la présente enquête ont semblé en convenir, mais les moyens des préfectures et le souci de ne pas retarder davantage une instruction qui constitue déjà un parcours au long cours pour le postulant rendent difficile la mise en œuvre d’un entretien plus solennel et approfondi. L’exigence posée par l’article 21-24 du code civil, qui évoque le « contrôle de l’assimilation », n’est donc respectée que superficiellement.

Eu égard aux enjeux qui s’y attachent, il conviendrait que le contrôle de l’assimilation prévu par la loi conserve la forme d’un entretien tel que prévu par le décret du 30 décembre 1993, mais que celui-ci soit effectué collégialement et qu’il donne davantage de substance à la notion d’assimilation à la société.

__________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS __________

La réussite de l’intégration à la société française a continûment été l’un des trois objectifs des lois intervenues dans le champ de l’asile et de l’immigration. En pratique, c’est surtout l’élévation du niveau de maîtrise du français qui a été au cœur des évolutions, à travers la création puis le renforcement du contrat d’intégration républicaine.

La mise en œuvre de ce dernier apparaît conforme aux attentes du législateur, à l’exception notable et problématique de la situation observée à Mayotte. Mais il demeure un espace de temps moins investi par les pouvoirs publics entre le Cir et l’accès aux dispositifs de droit commun, c’est-à-dire entre deux et cinq ans de séjour.

Sans méconnaître la difficulté de concevoir des actions adaptées, respectueuses des personnes comme des attentes sociales qui s’expriment vis-à-vis d’elles, les dispositifs d’intégration, voire l’accès à la nationalité française lui-même, mériteraient, au regard des objectifs législatifs formulés depuis dix ans, d’être encore « densifiés » quant à leur portée.

En conséquence, la Cour formule les recommandations suivantes : 10. mettre en place un Contrat d’intégration républicaine (Cir) adapté à

Mayotte (ministère de l’intérieur et Ofii) ;

11. transférer à l’Ofii la gestion des crédits déconcentrés destinés aux actions et dispositifs conçus dans la continuité du Cir (ministère de l’intérieur et Ofii) ;

12. réformer l’entretien d’assimilation pour lui donner une forme collégiale et rendre plus substantiel le contrôle des conditions posées par le code civil (ministère de l’intérieur).

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La gestion du départ des personnes