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2. DEUXIÈME PARTIE : PARTIE EXPÉRIMENTALE

2.1. But de la recherche

Notre recherche a pour objectif de clarifier la situation en ce qui concerne la réalisation des phonèmes vocaliques dans les différents cantons de Suisse romande. L’intérêt de cette étude est de comprendre les raisons qui font que les habitants de certains cantons maintiennent une distinction entre deux voyelles comme le [o] et le [O], alors que de telles distinctions ne semblent pas aussi marquées dans le français standard. Nous aimerions également établir une répartition géographique des voyelles selon les cantons. Comme cette recherche ne permet pas d’analyser tous les facteurs influençant la prononciation des voyelles du français, nous espérons que d’autres études plus complètes apporteront par la suite des clarifications supplémentaires quant à la situation des voyelles en Suisse romande.

2.2. Méthode

Malgré les observations relevées à la lecture de l’ouvrage de Durand et al. (2003, p.

18), nous avons procédé, pour cette recherche, sous la forme d’un questionnaire. En effet, nonobstant les doutes sur la fiabilité des jugements des locuteurs interviewés, nous avons choisi cette méthode car la recherche devait se faire dans un certain délai. C’est donc pour cette raison de temps que nous nous sommes arrêtés à l’étape du questionnaire. Cependant, il va de soi que si cette recherche devait être poursuivie au-delà de ce mémoire de Master, nous entreprendrions des démarches plus fiables, tels que des enregistrements de corpus.

2.2.1. Participants

Pour cette recherche, nous avons cherché à récolter un maximum d’échantillons des divers cantons romands. Nous avons donc, pour la Suisse romande :

15 participants du canton de Genève 21 participants du canton de Vaud 12 participants du canton du Valais 15 participants du canton de Fribourg 10 participants du canton de Neuchâtel 16 participants du canton du Jura

Pour le choix de ces personnes, le critère de la langue était primordial. Les participants sont donc soit de langue maternelle française, soit parfaitement bilingues. Les autres critères tels que le sexe, l’âge ou encore la profession n’avaient pas de portée particulière dans la sélection des participants. Nous pouvons cependant présenter brièvement un récapitulatif des variables sexe et âge :

Genève : 11 femmes, 4 hommes

moyenne d’âge 32.07 ans, écart-type ± 13.48 ans Vaud : 11 femmes, 10 hommes

moyenne d’âge 39.29 ans, écart-type ± 18.47 ans Valais : 8 femmes, 4 hommes

moyenne d’âge 36.42 ans, écart-type ± 12.98 ans Fribourg : 12 femmes, 3 hommes

moyenne d’âge 27.67 ans, écart-type ± 11.70 ans Neuchâtel : 7 femmes, 3 hommes

moyenne d’âge 26.50 ans, écart-type ± 8.96 ans Jura : 8 femmes, 8 hommes

moyenne d’âge 42.00 ans, écart-type ± 13.05 ans

D’autre part, nous avons essayé de prendre des personnes ayant vécu dans leur canton toute leur vie. Cependant, nous avons toléré les changements de cantons d’une ou deux années dus aux études. Nous n’avons donc conservé que les participants natifs de leur canton

et qui y habitent toujours. C’est pourquoi 17 participants, sur la totalité des questionnaires récoltés, n’ont pas été pris en compte car il s’agissait de participants ayant vécu dans différents cantons. De plus, nous avons axé notre observation notamment sur le lieu de vie de 0 à 20 ans, car nous considérons que la prononciation se constitue durant la période d’acquisition du langage puis à l’adolescence, et que c’est durant ces vingt premières années qu’elle peut encore être relativement influencée par l’entourage.

Une autre population a été étudiée, il s’agit de Français vivant à Paris. Nous leur avons fait remplir le même questionnaire, dans le but de contrôler la notion de « français de référence ». Nous avons récolté huit questionnaires. Les participants sélectionnés devaient avoir vécu toute leur vie dans la région de l’Ile-de-France, et bien entendu être de langue maternelle française. Nous présentons brièvement les variables sexe et âge :

6 femmes, 2 hommes

moyenne d’âge 27.88 ans, écart-type ± 11.33 ans

Nous pouvons, grâce à ces participants, observer si ce que l’on attend selon le français standard correspond à ce qui est réellement produit dans la région de l’Ile-de-France.

2.2.2. Matériel

Le matériel utilisé pour cette recherche se présente sous la forme d’un questionnaire.

Pour établir celui-ci, nous nous sommes référés à la transcription phonétique donnée par le Petit Robert (1993). Nous avons sélectionné des paires de mots basées sur les contrastes suivants : [o] – [O], [e] – [E] et [a] – [A] (pour la transcription des phonèmes, nous avons utilisé le système de caractères SAMPA, cf. annexe IV, p. 737). Pour chaque contraste, nous avons choisi dix paires de mots. Ensuite, pour chaque paire de voyelles appelant à une réponse « même » ([o] – [o], [e] – [e], [O] – [O], [E] – [E], [a] – [a] et [A] – [A]), le questionnaire comprend cinq paires. Pour les oppositions [o] – [O] et [e] – [E], il s’agit de distinguer le mode ouvert ou fermé de la voyelle, et pour les oppositions [a] – [A], c’est le mode antérieur ou postérieur qui est différencié. Pour schématiser les paires présentées, nous

7 À partir de ce chapitre, nous n’utilisons plus que ce système de transcription, car il a l’avantage d’employer les caractères standards du clavier de l’ordinateur.

pouvons les répartir en trois sections, selon leur utilité dans cette étude. Les paires les plus importantes, c’est-à-dire celles qui seront analysées dans les résultats de cette recherche, sont au nombre de soixante. Ces mots ont été choisis en fonction de leur prononciation et des variantes susceptibles d’être observées d’un canton à l’autre, sans pour autant qu’elles ne soient réalisées dans le français standard. Ces paires peuvent être réparties comme suit :

10 paires [o] – [O] exemple : paume – pomme 5 paires [o] – [o] exemple : peau – pot 5 paires [O] – [O] exemple : port – porc 10 paires [e] – [E] exemple : nier – niais 5 paires [e] – [e] exemple : nez – né 5 paires [E] – [E] exemple : lait – laid 10 paires [a] – [A] exemple : mal – mâle 5 paires [a] – [a] exemple : sale – salle 5 paires [A] – [A] exemple : grâce – grasse

Le questionnaire comprenait également trente paires de mots dont le contraste porte sur d’autres voyelles du français. L’intérêt d’étudier également ces autres voyelles est que des distinctions sont faites dans certains cantons, alors qu’elles ne sont réalisées ni en France ni dans d’autres cantons suisses. Ces paires ne seront considérées qu’à titre d’observation, leur analyse dépassant le cadre de cette étude. Les contrastes sont les suivants :

2 paires [2] – [2] exemple : vœu – (je) veux 1 paire [@] – [@] exemple : ce – se

3 paires [9] – [9] exemple : cœur – chœur 3 paires [2] – [9] exemple : jeûne – jeune 3 paires [2] – [@] exemple : ceux – ce 5 paires [i] – [i] exemple : (il) vit – vie 5 paires [i] – [i:] exemple : qui – quille 3 paires [e] – [e:] exemple : penser – pensée 4 paires [E] – [E:] exemple : mettre – maître 1 paire [9~] – [E~] exemple : brun – brin

Enfin, nous avons présenté un autre type d’items, ce que l’on appelle les fillers. Il s’agit d’éléments distracteurs permettant d’éviter au participant la focalisation sur les contrastes étudiés, contrastes qu’il sait être pertinents quant à leur différence d’un canton à l’autre. En ciblant toujours sur la voyelle, nous avons introduit 43 paires de mots se prononçant clairement différemment (ex. : faire – fort) et 45 paires de mots se prononçant clairement de la même manière (ex. : sans – cent)8. Dans sa totalité, le questionnaire est constitué de 178 paires de mots.

Parallèlement à cette liste de mots, deux colonnes se présentaient dans lesquelles les participants devaient mettre une croix, selon qu’ils considéraient prononcer de manière égale les deux mots (colonne « même »), ou de manière différente (colonne « différent »). Une colonne supplémentaire était dévolue à leur degré de certitude concernant le contraste traité (« faible », « moyen » ou « fort »), chacun devant entourer ce qui convenait le mieux selon son appréciation personnelle de sa prononciation. Cet élément a été ajouté car nous nous sommes aperçus que selon le contraste vocalique étudié, il n’est pas toujours évident de savoir si l’on prononce d’une manière identique ou non les deux mots présentés.

Deux questionnaires différents ont été distribués (annexe V, p. 74 [nous ne présentons ici qu’une des deux versions]). Les deux versions comprenaient les mêmes items, mais dans un ordre différent, ceci afin d’éviter un éventuel biais lié à l’ordre de présentation des paires de mots. D’autre part, chaque participant devait remplir une feuille intitulée « Données personnelles », sur laquelle il avait à indiquer divers éléments pertinents pour le thème de l’étude, tels que ses lieux de domicile durant sa vie, les langues qu’il parle, etc. (annexe VI, p.

80).

2.2.3. Procédure

Les participants devaient remplir leur questionnaire au plus près de ce qu’ils estimaient être leur prononciation. Il leur était demandé de mettre une croix dans l’une ou l’autre colonne, « même » ou « différent », ainsi que de se prononcer sur leur degré de certitude quant à leurs réponses.

Chaque participant devait consacrer environ vingt minutes à remplir le questionnaire, mais sans la contrainte de devoir le faire en une fois. Chacun était donc libre de compléter une

8 La différence entre 43 et 45 est due à un mauvais calcul lors de la rédaction du questionnaire. Cela ne porte cependant pas à conséquence dans notre recherche.

première partie, puis une autre à un autre moment. C’est pour cette raison que le questionnaire est scindé en trois séries.

2.2.4. Plan d’expérience

Dans l’optique de mieux comprendre la procédure, nous précisons ici les variables indépendantes (variables manipulées), les variables dépendantes (variables mesurées), ainsi que les variables contrôlées de la recherche.

Variables indépendantes :

facteur intrasujet : les paires de voyelles (9 modalités : [o] – [o], [O] – [O], [o] – [O], [e] – [e], [E] – [E], [e] – [E], [a] – [a], [A] – [A], [a] – [A])

facteur intersujet : le canton d’origine et de résidence actuelle du participant (6 modalités : Genève, Vaud, Valais, Fribourg, Neuchâtel et Jura)

Variable dépendante :

la prononciation de chaque participant (2 modalités : même ou différente)

Variable contrôlée :

séquence de présentation des items (2 séquences, donc 2 questionnaires, afin de contrebalancer les biais de l’ordre)

2.2.5. Hypothèses théoriques et opérationnelles

Hypothèse théorique 1 :

Nous supposons qu’il existe un manque de stabilité dans la prononciation des voyelles entre les cantons de Suisse romande. De plus, nous postulons qu’un facteur de variabilité concerne la localisation géographique des cantons entre eux et également par rapport à la proximité avec la France.

Hypothèse opérationnelle 1 :

L’hypothèse opérationnelle qui découle de cette première hypothèse théorique est que les réponses données au questionnaire devraient varier d’un canton à l’autre. Nous devrions donc observer des pourcentages sensiblement différents d’un canton à l’autre selon les contrastes vocaliques étudiés. Nous nous attendons également à observer des pourcentages proches entre des cantons voisins, ainsi que des résultats équivalents entre les données parisiennes et les cantons se situant à la frontière française.

Hypothèse théorique 2 :

Une autre hypothèse est de penser que ces contrastes sont réalisés en Suisse romande, et surtout dans certains cantons, afin de distinguer des mots homophones dont la signification est différente.

Hypothèse opérationnelle 2 :

L’hypothèse opérationnelle qui découle de cette prédiction est que nous devrions observer davantage de réponses « différent » que de réponses « même », notamment sur les paires identiques, puisque l’ensemble de nos items est constitué de paires d’homophones.

Hypothèse théorique 3 :

Nous avançons également l’hypothèse que l’orthographe et la fréquence des mots jouent un rôle dans la distinction entre deux homophones. D’autre part, selon les données théoriques, nous prévoyons que l’opposition [a] – [A] sera moins prononcée que les deux autres contrastes vocaliques étudiés.

Hypothèse opérationnelle 3 :

Selon cette hypothèse, nous nous attendons à observer plus de réponses « différent » dans les items où l’orthographe diffère entre les deux mots. De plus, selon la fréquence du mot dans le langage courant, les scores de certitudes devraient être moins importants lorsqu’un mot présenté est peu fréquent. Enfin, concernant le contraste [a] – [A], nous nous attendons à ce que les résultats soient peu homogènes en ce qui concerne cette voyelle, en raison de la progressive disparition du contraste, comme on l’a mentionné dans la partie théorique.

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