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Chapitre 1 : Buies le flâneur, Buies le géographe et autres postures 7

1.2 Postures d’Arthur Buies hétéro-représentées 30

1.2.1   Buies l’excentrique 30

Pour plusieurs de ses contemporains, Arthur Buies est avant tout un excentrique. Il est excentrique par sa manière d’être et parce qu’il tient des propos qui sortent de l’ordinaire, qui divergent et parfois même qui s’opposent aux normes et aux valeurs de la société dans laquelle il vit. C’est d’ailleurs ainsi que le perçoit Édouard Huot, un auteur de l’Événement : « M. Buies pose en excentrique, et sa réputation est de l’être : il est fantasque, échevelé, il lance des boutades à tort et à travers, mais d’un esprit mordant53 ». Donc, pour Huot, Buies est excentrique parce qu’il est à la fois extravagant, amusant et fin; il a son style bien à lui. Chez ses contemporains, le qualificatif d’excentrique pour représenter Buies fait l’unanimité, cependant, on ne lui donne pas la même valeur selon qu’on est un détracteur ou un admirateur de l’écrivain. Les détracteurs de Buies jugent cette excentricité de manière péjorative, alors que ses admirateurs la perçoivent de manière positive. Pour ses détracteurs, « excentrique » est synonyme d’anticonformiste et de fantaisiste, termes qui ont une connotation péjorative. Pour                                                                                                                

eux, Arthur Buies est un bohème dont les idées libérales et les propos anticléricaux sont à condamner. Donc, leur auteur doit être censuré. Par exemple, Jules Nadar (pseudonyme) écrit dans l’Opinion publique à propos de Buies :

Je ne puis voir sans horreur ces jeunes écervelés qui croient faire acte d’audace et d’esprit, et se créer un nom en prodiguant les plus abjectes injures, en inventant et débitant les plus odieuses calomnies à l’adresse de notre religion et de notre race54.

Cette correspondance de Nadar est publiée en 1870, soit une année après la fin de la parution de la Lanterne. Pour Nadar, Buies est un excentrique, un anticonformiste dont les propos anticléricaux sont injustifiables. En fait, Nadar pense que Buies, encore jeune, a cru que la meilleure façon de se faire un nom en tant qu’écrivain était de choquer la population. Nadar attaque la personne de Buies en la traitant d’« écervel[é] », mais ne tente jamais de contredire Buies sur ses idées ; il ne donne pas d’exemples ni d’arguments pour justifier ses jugements. D’ailleurs, Francis Parmentier qui a étudié la réception de la Lanterne écrit que les adversaires de Buies ne le font pas de « mauvaise foi », mais véritablement, « [ils] ne comprennent rien à ses intentions55 ». Nadar ignore tout simplement pour quelles raisons Buies s’oppose au clergé, quels sont les objectifs visés par ses propos anticléricaux. Ceci explique pourquoi Nadar et plusieurs de ses contemporains le perçoivent comme un excentrique, et non comme un polémiste. Ils ne savent pas que le rôle d’un pamphlétaire est de critiquer – parfois vivement – la société dans laquelle il vit dans le but de créer une discussion, un débat de société sur des enjeux politiques, religieux et sociaux.

                                                                                                               

54 Jules Nadar (pseudonyme). « Correspondance. L’indépendance. L’annexion. M. Buies », l’Opinion publique, 19 mars 1870, p. 82.

55 Francis Parmentier. « Réception de La Lanterne par la presse canadienne-française », Revue d’histoire de

Pour ses admirateurs, par contre, l’excentricité de Buies est positive, c’est ce qui fait de lui un écrivain original ; il a un style bien à lui. C’est d’ailleurs l’opinion d’Edmond Lareau dans son ouvrage Histoire de la littérature canadienne (1874) : « Buies, cet excentrique que tout le monde a connu, que les hommes sans préjugé ont admiré, que toute la jeunesse a aimé, ce bohème de la littérature au jour le jour, toujours pauvre d’argent, mais riche d’esprit56 ». Pour Lareau, qui « n’hésite pas à classer [Buies] au premier rang » des jeunes talents journalistiques dans son ouvrage, l’excentricité est ce qui a permis à Buies d’être connu de tous. Cependant, lorsqu’il écrit « les hommes sans préjugé ont admiré », Lareau constate que les admirateurs de Buies ne font pas que le respecter pour son originalité, mais qu’ils vont au- delà du préjugé pour s’intéresser aux propos qu’il tient. Les admirateurs de Buies ne font pas que respecter son excentricité : en plus d’apprécier son style singulier, ils admirent le courage dont il fait preuve dans la défense de ses opinions et de ses idées. Dans sa chronique du 28 octobre 1884 intitulée « Chroniques canadiennes. Un événement littéraire » qui souligne la nouvelle édition de Chroniques canadiennes. Humeurs et caprices, un auteur anonyme de la Patrie écrit :

La publication d’un livre, d’une brochure, d’un article ou écrit quelconque de M. Buies crée toujours une sensation dans le public canadien, tout le monde veut le lire. Quelles que soient les opinions, les idées de l’homme, comme écrivain il s’impose, et il est un des rares que l’on cite, qu’on relie [sic] et que l’on va chercher dans sa bibliothèque aux heures d’ennui, de spleen ou de découragement passager, pour se remonter le moral, chasser les noires vapeurs de l’esprit et s’égayer, alors même que tout en soi était tristesse ou dégoût57.

Dans ce passage, l’auteur montre que Buies n’est pas seulement excentrique parce qu’il lui arrive d’avoir des idées et des opinions controversées. S’il « s’impose », c’est qu’il possède un caractère unique, qu’il est original. L’auteur de la Patrie aime lire Buies parce que celui-ci le                                                                                                                

56 Edmond Lareau. Histoire de la littérature canadienne, Montréal, Lovell, 1874, p. 464. 57 S.n. « Chroniques canadiennes. Un événement littéraire », op. cit., p. 2.

divertit, l’amuse même. Ainsi parfois, la posture de Buies l’excentrique se confond avec celle de Buies le spirituel.