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Chapitre 1 : Buies le flâneur, Buies le géographe et autres postures 7

1.2 Postures d’Arthur Buies hétéro-représentées 30

1.2.3   Buies le géographe 34

Il ne fait aucun doute que, pour ses contemporains, Arthur Buies est un véritable géographe. C.-J. Magnan, rédacteur en chef de l’Enseignement primaire va même jusqu’à lui

                                                                                                               

donner le titre de « géographe national62 ». Ses contemporains se représentent Buies comme un géographe parce qu’ils reconnaissent en lui un écrivain qui voyage sur le terrain afin de faire connaître de manière authentique les régions qu’il visite et qui transmet des connaissances sur les lieux, en plus de posséder un talent hors du commun pour la description des paysages. À propos des chroniques sur les régions63, J.-H. Charland, un auteur de la revue l’Étudiant64, écrit :

Le lecteur ne s’en lasse pas ; loin de là c’est pour ainsi dire un enivrement graduel que l’on éprouve, surtout dans les descriptions en y goûtant la poésie d’un paysage accidenté, d’une rivière aux méandres capricieux, d’une montagne aux flancs verdoyants, d’un promontoire, d’une cascade, d’un vallon, d’une colline, d’un rocher, d’une falaise, d’un bocage, d’un pré, le tout au milieu d’une campagne à larges horizons et à l’atmosphère remplie de parfums et d’échos65 .

La quantité des éléments décrits par Buies relevée par Charland dénote, à ses yeux, la qualité d’observateur de Buies et son souci du détail. Charland remarque aussi que Buies transmet des images qui agissent sur plusieurs sens, sur la vue, bien sûr, mais aussi sur l’odorat, avec les « parfums », et sur l’ouïe, avec les « échos ». Ce talent pour la description des paysages, que certains qualifient parfois de véritables tableaux, fait partie de la représentation que ses contemporains donnent de Buies le géographe. Si Buies est un « artiste de la plume66 », c’est également parce qu’il maîtrise la langue française et qu’il a un style. C’est donc dire qu’il y a                                                                                                                

62 C.-J. Magnan. « Notre géographe national », l’Enseignement primaire, vol. 19, 1er septembre 1897 – 25 juin 1898, p. 383.

63 Charland cite les titres des chroniques de « Cacouna », « Souvenir du Saguenay », « Tadoussac », « À la Malbaie », « Voyage dans le Golfe », « À la campagne » et « Le lac St-Jean ». Il considère comme des « modèles » ces chroniques provenant de Chroniques canadiennes. Humeurs et caprices.

64 L’Étudiant et l’Enseignement primaire sont deux revues pédagogiques de l’Université Laval; la première à Montréal et la seconde à Québec. Les propos de Charland et ceux de Magnan sur Buies et son travail monographique sont donc significatifs, puisque les auteurs et les revues pour lesquelles ils collaborent jouissent d’une importante crédibilité.

65 J. H. Charland. « Bulletin bibliographique », l’Étudiant, 4e année, no 41, septembre 1888, p. 137.

66 Expression employée par un auteur anonyme de la Presse dans un hommage posthume en l’honneur de Buies dans (Anonyme). « Feu Arthur Buies. Le publiciste et pamphlétaire bien connu, est décédé, samedi, à Québec, à l’âge de 61 ans », la Presse, 28 janvier 1901, p 1.

un croisement entre les postures de Buies le géographe, de Buies le spirituel et de Buies le maître de la langue française.

Du Buies géographe au Buies ami de la colonisation

Pour l’ensemble de ses contemporains, Buies est celui qui fait découvrir à ses lecteurs différentes régions du Québec, dont quelques-unes sont peu connues, comme le Saguenay et l’Outaouais supérieur. Pour certains, dont le critique français Charles ab der Halden et C.-J. Magnan, Buies est plus qu’un simple géographe dans ses études monographiques67. Lorsqu’il collabore avec le curé Antoine Labelle, Buies deviendrait un « ami de la colonisation68 ». Il

utiliserait son talent d’écrivain et de géographe avec l’objectif de convaincre le peuple canadien de coloniser les territoires du Nord. Alfred Cloutier du Courrier du Canada en témoigne dans son compte rendu de l’Outaouais supérieur (1889) :

« Canadiens, mes frères, restons chez nous et continuons l’œuvre de nos pères, fondons une

race forte, vivace, attachée à sa religion, à ses costumes et à ses lois. […] Notre pays est vaste, il y a de la terre pour tous, de la terre fertile qui vous rendra au centuple ce que vous lui aviez confié. […] » Puis il [Buies] nous conduit comme par la main, dans ces régions incultes et

sauvages qu’il a parcourues lui-même, tantôt, campant sur le bord d’un lac, avec quelques rudes coureurs des bois, tantôt surpris par la nuit, dormant à la belle étoile, sous l’azur de ce beau ciel du Nord. M. Buies ne nous parle pas de la voix d’arpenteurs plus ou moins compétents ; il a vu de ses yeux, visité les lieux en compagnie d’ingénieurs, sondé les profondeurs de la forêt, mesuré lui-même les pins gigantesques qui tombent sous la hache du bûcheron pour aller bientôt prendre le chemin du commerce par la rivière Outaouais69.

                                                                                                               

67 En 1880, Buies publie une monographie, Saguenay et la vallée du Lac-Saint-Jean. Cet ouvrage est le premier d’une série de dix monographies qu’il signe comme fonctionnaire pour le gouvernement du Québec, la dernière monographie est publiée en 1900, La province de Québec.

68 Charles ab der Halden. « La littérature canadienne-française », la Revue canadienne, vol. 37, no 1, 1900, p. 255. Même écho chez Alfred Cloutier : « L’auteur de l’Outaouais supérieur n’a pas l’air de se douter que son nom ne peut plus être séparé, désormais, de celui de M. le curé Labelle. Celui-ci a prêché la croisade de la colonisation, il a formé des bataillons de familles canadiennes et les a lancés à la conquête de la forêt » dans Alfred Cloutier. « L’Outaouais supérieur par M. Arthur Buies », le Courrier du Canada, 22 juillet 1889, p. 2. 69 Alfred Cloutier. Ibid.

Dans cet extrait, Buies est vu comme faisant la promotion de la colonisation afin de contrer l’émigration des Canadiens vers les États-Unis. Il tenterait de montrer qu’il serait possible de gagner sa vie en travaillant sur la terre et il utiliserait des arguments patriotiques afin de les convaincre : fonder le Québec, ce serait s’inscrire dans la tradition en perpétuant le projet historique de ses ancêtres, conserver sa religion, sa langue et perpétuer sa race. En effet, l’utilisation de l’impératif présent, dans l’extrait cité par Cloutier, sert à exprimer une demande ; la conjugaison à la première personne du pluriel crée un lien de proximité, puisque l’auteur s’inclut avec ses lecteurs dans le projet de colonisation. L’analyse de Cloutier – qui représente Buies comme un ami de la colonisation – est donc juste, et efficace, appuyée sur le texte de Buies. Cloutier témoigne dans son texte de la qualité de géographe de Buies qui voyage beaucoup et dans toutes sortes de conditions, qui rencontre des hommes sur le terrain afin de transmettre aux lecteurs le plus d’informations possible. C’est grâce à ce dévouement de la part de Buies que ses contemporains se le représentent comme un géographe amoureux de son pays, un écrivain patriotique.