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Les premières utilisations de données de brevets à grande échelle remontent à Scherer (1965), Schmookler (1966), Comanor & Scherer (1969) et Griliches (1984). Le simple comptage des brevets déposés par une firme conduit cependant l’observateur cherchant à évaluer l’activité d’innovation à supposer une parfaite ho- mogénéité de ceux-ci tant au niveau intra- qu’inter-firmes.

La différenciation des brevets est donc une dimension essentielle à prendre en compte pour évaluer les véritables comportements d’innovation (Griliches, 1990). Lanjouw & Shankerman (2004) montrent ainsi que, dans une étude intersectorielle couvrant la période 1960–1991, contrôler pour la “qualité” des brevets (c’est à dire tenir compte de l’hétérogénéité en termes de valeur technologique) permet d’expli- quer une grande partie du déclin de la productivité de la R&D que l’on observait dans l’industrie manufacturière.

La distinction des innovations en termes d’importance ou d’influence technolo- gique permet en fait surtout d’identifier les sources du changement technologique (les innovateurs pionniers, les innovations les plus influentes). Cela permet aussi d’observer avec plus de précision les relations qui existent entre caractéristiques des firmes et non plus seulement l’innovation, mais aussi les caractéristiques des innovations. C’est également un moyen de contrôler les utilisations potentiellement stratégiques qui sont faites du brevet. En effet, ces comportements stratégiques, parce qu’ils visent à exclure la concurrence ou maintenir une exclusivité en contre partie d’un effort inventif minimal (additionnel ou pas), devraient rendre compte d’une faible “qualité” (cf. Hall & Ziedonis, 2001 ; Cohen et al., 2000 ; Hall, 2005 ; Graham & Higgins, 2006 pour des travaux mettant en lumière ces utilisations stra- tégiques du brevet ou plus généralement les comportements stratégiques en matière d’innovation).

lativement fiable des externalités et des interdépendances technologiques qui existent entre les innovations (Henderson et al., 1993 ; Jaffe & Trajtenberg, 1998 ; Hall et

al.,2001 ; Hall et al., 2005). En effet, lorsqu’un innovateur dépose un brevet, il doit

citer les innovations qui lui ont été nécessaires pour innover à son tour, c’est à dire celles sans lesquelles son innovation ne serait pas ce qu’elle est. L’office des brevets vérifie l’exhaustivité du rapport des citations du brevet que fait le déposant et, s’il le juge nécessaire, complète ce rapport afin de couvrir de manière exhaustive l’état de l’art. Sampat (2005) montre que généralement les innovateurs ne mentionnent eux mêmes qu’une faible part des citations recensées au final dans leur brevet et qu’en réalité une large majorité —63% de celles-ci— sont ajoutées par l’exami- nateur. Curieusement, il s’agit souvent d’auto-citations puisque 11% des citations ajoutées par l’examinateur font référence à des brevets précédemment déposés par la firme. Des différences apparaissent toutefois entre les secteurs et l’étude montre finalement que dans les industries n’utilisant en moyenne que peu de brevets par unité d’innovation, le premier recensement des citations par le déposant est beau-

coup plus fiable que dans les industries plus complexes.23

Chaque citation constitue ainsi pour le brevet qui est cité une citation reçue et pour le brevet citant une citation faite (il s’agit respectivement des “forward” et “backward” citations mentionnées par la littérature). De cette manière il apparaît que les citations de brevets mesurent à la fois, sur un plan purement technologique, l’influence des innovations (les citations reçues) et leur dépendance (les citations faites) : plus un brevet est cité, plus l’innovation brevetée est influente (ou tech- nologiquement significative) et plus un brevet fait de citations, plus l’innovation brevetée apparaît être cumulative. De cette manière les citations de brevets per- mettent de détecter la valeur et l’originalité des innovations (Griliches, 1990 ; Hall

et al,2001 ; Hall et al., 2005).

23Une des raisons avancées est que, dans ces industries, les déposants sont plus intéressés par l’état

de l’art car le brevet est un important mécanisme d’appropriation des retours sur investissement en R&D. Voir aussi Parchomovsky & Wagner (2005).

1. REVUE DE LA LITTÉRATURE 63

Les premiers travaux utilisant les citations de brevets pour contrôler l’impor- tance des innovations sont dus à Trajtenberg (1990) qui pondère le compte des dépôts de brevets par le nombre de citations qu’ils reçoivent. Il trouve alors une forte association entre les indices basés sur les citations reçues et des mesures in- dépendantes de valeur des innovations. Lanjouw & Shankerman (2004) résolvent avec ce type d’indicateur le “paradoxe de la R&D” en montrant qu’il existe un ar- bitrage qualité/quantité dans les dépôts de brevets (cf. supra). Ainsi, à dépenses de R&D données, la relation entre nombre de brevets déposés et qualité moyenne des brevets est négative. Hall et al., (2005) mettent surtout en évidence une relation po- sitive entre le nombre moyen de citations reçues par brevet dans un portefeuille et la valeur de marché du détenteur du portefeuille. En moyenne, une citation supplé- mentaire reçue par brevet est corrélée à une augmentation de la valeur de marché de la firme de l’ordre de 3%. Plus précisément, l’étude évalue qu’en dessous de la médiane, le nombre moyen de citations par brevet n’a pas d’effet sur la valorisation de la firme alors que sa valeur augmente de 10% si le nombre moyen de citations par brevet est situé entre 7 et 10, l’augmentation est de 35% si il est entre 11 et 20 et peut aller jusqu’à 54% si il dépasse 20. L’étude de Hall et al. (2005) montre aussi que les auto-citations ont deux fois plus de valeur que les autres citations, es- sentiellement parce qu’elles traduisent des stratégies d’appropriation par les firmes du fruit de leurs recherches. De manière plus générale, les marchés financiers va- lorisent l’influence technologique des firmes de sorte qu’une innovation influente

(étant fortement citée) induit de la valeur économique.24Symétriquement, Harhoff

et al. (1999) montrent que les brevets sur les inventions ayant le plus de valeur

économique sont aussi les brevets les plus cités en Allemagne et aux États-Unis. Enfin il est important de noter ici que tous les brevets déposés (surtout si l’on considère l’ensemble des classes technologiques) ne seront pas nécessairement des innovations qui seront commercialisées. Dans l’industrie pharmaceutique, spécia- lement avant l’émergence du “rational drug design” qui s’appuie sur des méthodes

de recherche plus ciblées que le “random screening” (voir l’introduction du cha- pitre ainsi que Cockburn et al., 1999), beaucoup de brevets sont déposés en chi- mie et n’auront jamais d’application (c’est à dire de brevet) en pharmacie. C’est notamment le cas de ceux n’ayant pas les propriétés attendues lors de phases de “trial-and-error testing” qui caractérisent les méthodes de recherche traditionelles de l’industrie pharmaceutique. Ensuite, parmi les brevets déposés en pharmacie seule une partie aura une application industrielle (ceux dont les molécules auront satisfait les différentes phases de tests réglementaires). L’utilisation des citations re- çues est alors un outil prédictif précieux en la matière. En effet, Graham & Higgins (2006) ont montré que les brevets largement cités ont plus de chance d’être associés à des autorisations de commercialisation par la FDA que les autres. Ce constat n’est pas surprenant : les brevets des molécules faisant l’objet d’une commercialisation, et plus particulièrement ceux des blockbusters, sont nécessairement les plus connus et par conséquent ceux ayant la plus forte probabilité d’être cités. Les données de citations permettent ainsi d’intégrer à un brevet des informations relatives à son importance à venir, notamment commerciale et technologique, c’est à dire à l’in- fluence qu’il va avoir sur le secteur. L’évaluation que l’on peut faire d’un brevet via les citations reçues (c’est à dire qu’il va recevoir après son dépôt) n’est donc pas un jugement a priori mais bien un jugement a posteriori de la valeur des innovations.

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Données et Méthode d’Estimation