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LE BOYCOTTAGE EFFECTUÉ PAR UNE

et organisations analogues

E. LE BOYCOTTAGE EFFECTUÉ PAR UNE

«ORGANISATION ANALOGUE»

20. Nous avons vu que le boycottage n'est en principe illicite que s'il est pratiqué par un cartel; en revanche, une entreprise isolée reste parfaitement libre de prendre les mesures qu'elle veut pour entraver autrui dans l'exercice de la concurrence.

Il en va cependant différemment s'il s'agit d'une entreprise puissante, occupant une cc position dominante » ou, comme le dit la loi, cc dominant le marché de certains biens ou de certains services, ou l'influençant d'une manière déterminante». Il peut s'agir d'ail-leurs non seulement d'une entreprise isolée, mais également de plusieurs entreprises accordant tacitement leur comportement (il fallait un accord exprès pour constituer un cartel au sens de la loi), ou enfin d'entreprises c< liées entre elles par des participations finan-cières ou d'une autre manière» (art. 3).

21. La définition de 1'<< organisation analogue aux cartels>> est fort délicate, comme celle de la <c position dominante» dans les autres législations.

Faut-il que l'entreprise domine (ou influence) tout le marché suisse, ou suffit-il qu'elle domine le marché dans un ou plusieurs

1 Ordonnance de la Cour du 3r. r. 1964 (Münzhuber contre Société Tour-de-Trême).

cantons, voire dans une région déterminée? Doit-on dire que, si la domination d'un marché local est possible, ce dernier constitue par hypothèse un marché indépendant et que la condition légale est alors remplie?

Faut-il, d'autre part, définir extensivement ou restrictivement l'objet du «marché de certains biens ou de certains services n?

Ainsi, faut-il considérer qu'il n'existe qu'un seul marché de l'auto-mobile, ou faut-il distinguer plusieurs marchés différents, suivant le prix ou la grandeur de l'automobile? De même, dans les cas où plusieurs produits peuvent se substituer, plus ou moins facilement, les uns aux autres: le papier d'emballage classique et les emballages en matière plastique forment-ils deux marchés distincts ou non?

Lorsqu'une marque de fabrique s'est imposée au public, peut-on prétendre que les produits revêtus de cette marque constituent un marché distinct, indépendant en fait du marché des autres produits similaires, théoriquement concurrents?

Enfin, que faut-il entendre par << dominer» un marché ou « l'in-fluencer de manière déterminante »? Le critère le plus simple est le critère quantitatif: pour tomber sous le coup de cette disposition, une entreprise déterminée devrait avoir un chiffre d'affaires repré-sentant une certaine proportion du marché. Ce critère est utile, mais il n'est pas suffisant, cair le degré de concurrence dépend en grande partie de savoir comment le reste du marché est constitué.

Ainsi, une entreprise représentant 50% du marché le dominera certainement si elle a affaire à une série de petits concurrents isolés, mais ne le dominera probablement pas si elle a affaire à deux autres concurrents importants, représentant chacun 25%. Un autre critère possible est celui des détaillants: une entreprise aurait une position dominante si un détaillant de la branche en question ne peut prati-quement pas se passer de vendre son produit, sans risquer de subir un grave préjudice auprès de sa clientèle. Il s'agit là d'un critère commercial très souple, qui peut même permettre de qualifier cl'« organisation analogue » des entreprises ne dominant le marché que par la qualité de leurs produits et non pas par leur quantité.

22. Ces différents problèmes se posent toutefois en Suisse de manière moins aiguë qu'à l'étranger. En effet, la plupart des entre-prises suisses qui pourraient être qualifiées d'« organisations

:analogues» sont également, en fait, membres d'un cartel vertical 1•

En effet, ces entreprises ont presque toujours conclu des contrats d'exclusivité, ou d'autres conventions restreignant la concurrence de manière collective, avec leurs fournisseurs ou avec leurs clients.

C'est le plus souvent grâce à ces conventions que lesdites entre-prises sont en mesure de pratiquer un boycottage efficace.

23. Il est bien difficile de savoir si les dispositions de la loi relati-ves aux cc organisations analogues aux cartels» seront fréquemment appliquées en pratique.

S'il s'agit d'un boycottage effectué par une entreprise isolée (dominant le marché, bien entendu), il sera souvent délicat de prouver l'existence même du boycottage. En effet, vu l'absence d'une action collective, il est beaucoup plus difficile de distinguer ici les mesures prises pour écarter un tiers de la concurrence et celles qui écartent ce tiers par le jeu normal de la concurrence. Par exemple, une baisse de prix suscitée par l'apparition d'un nouveau concurrent peut être une réaction concurrentielle parfaitement saine; elle peut aussi constituer, le cas échéant, une sous-enchère provisoire, uniquement destinée à éliminer l'outsider. En revanche, il serait difficile à cette entreprise de justifier son boycottage en prouvant que les conditions de l'article 5 sont réunies. En effet, un boycottage pratiqué par une entreprise isolée implique la consti-tution d'un monopole absolu, qui ne pourrait être justifié que dans des conditions particulièrement strictes. Il faut d'ailleurs souligner que les dispositions sur le boycottage ne sont applicables que par analogie aux «organisations analogues aux cartels» (art. 4, al. 2).

En revanche, ces dispositions légales pourraient trouver une application pratique importante et fréquente si plusieurs cartels tentaient de se soustraire à la loi en résiliant leurs accords, mais que les anciens membres de ce cartel continuent à accorder << taci-tement» leur comportement. L'application analogique des dispo-sitions sur le boycottage pratiqué par un cartel est alors beaucoup plus facile, dès lors surtout qu'on admet la possibilité d'imposer aux entreprises une obligation de contracter (cf. ch. 13).

1 Cf. Hugo ALLEMANN, Zur Problematik der lrnrtelltilmlicllen Organisation, N ZZ, 1. 2. 1960, N° 331.