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Bonnet C. (2005), La confiance entre capital-investisseurs et dirigeants: conséquences

2. Gouvernance des entreprises sous LBO

2.1. Bonnet C. (2005), La confiance entre capital-investisseurs et dirigeants: conséquences

Stratégie, vol. 8, n°. 2, p. 99-132.

Cet article est issu de ma thèse de doctorat soutenue en 2004. Il étudie l’influence du niveau de confiance interpersonnelle entre CI et dirigeants des entreprises sous LBO sur les processus d’interaction entre eux, sur les rôles des CI vis-à-vis des firmes et de leurs dirigeants dans la phase post-investissement, et sur la performance financière. L’hypothèse centrale de cette recherche est que la confiance favorise des processus et des rôles, notamment de nature cognitive, qui ont une influence

12 Certaines exceptions cependant: Braun et Latham, 2007 ; Wirtz, 2015.

13 Voir par exemple les sites internet de Bain Capital (https://www.baincapitalprivateequity.com/) et de Permira (https://www.permira.com/)

31 positive sur la performance. Le modèle est testé au moyen d’une enquête par questionnaire auprès d’un échantillon de CI responsables du suivi de LBO réalisés en France.

Un LBO peut s’analyser comme une alliance entre une (ou plusieurs) SCI et une équipe de direction pour prendre le contrôle d’une firme. Ces partenaires sont coactionnaires et ont pour objectif, dans une approche financière classique, de maximiser leurs gains. Ils sont fortement dépendants l’un de l’autre car ils apportent des ressources complémentaires et la coopération entre eux est déterminantes pour maximiser la valeur de la firme (Cable et Shane, 1997). En effet, dans un contexte marqué par un niveau de risque élevé, dû notamment à un fort levier financier, la défection de l’un des partenaires est susceptible d’entraîner un échec de l’opération, ce qui peut entraîner des conséquences négatives importantes à la fois en termes de gain financier et de réputation. Le risque est accru, pour ce qui concerne les CI, par le fait que les fonds de LBO sont relativement peu diversifiés, par rapport aux fonds qui investissent dans des sociétés cotées, et que la rémunération individuelle des CI est fortement corrélée à la performance financière des fonds qu’ils gèrent (Albouy et Bonnet, 2008, chapitre 7).

La confiance est associée à toute forme de transaction et de coopération économique et constitue « un mécanisme d’accompagnement, complémentaire aux mécanismes traditionnels de marché ou de hiérarchie » (Charreaux, 1998, p. 5). Elle fait donc partie des mécanismes qui structurent les systèmes de gouvernance des entreprises. Dans la typologie des mécanismes de gouvernance développée par Charreaux (1997), la confiance est un mécanisme spécifique (car elle dépend des relations interpersonnelles entre dirigeants et parties prenantes) et spontané (elle est endogène et ne peut être décrétée par l’autorité hiérarchique ou la loi). En termes de gouvernance, la confiance entraîne des gains, en particulier l’accroissement de la latitude managériale, la baisse du coût des mécanismes de contrôle des dirigeants et une meilleure coopération entre dirigeants et membres du CA, et des coûts (inefficiences liées à la préservation du caractère de long terme de la relation et à l’insuffisance des contrôles formels) (Charreaux, 1998 ; Westphal, 1999 ; Wicks, Berman et Jones, 1999).

Ceci nous conduit à tenter de répondre à deux questions de recherche : quel est le niveau optimal de confiance entre dirigeants et CI dans un LBO et quels sont les mécanismes de médiation entre confiance et performance de l’entreprise dans ce contexte? Nous proposons l’hypothèse qu’un niveau de confiance élevé est favorable à la performance des LBO en nous appuyant sur le cadre théorique développé par Wicks, Berman et Jones (1999). Selon ces auteurs le niveau optimal de confiance entre managers et parties prenantes est fonction du degré de dépendance entre l’entreprise et lesdits partenaires. Il est sous optimal de développer une relation de confiance forte, ce qui implique des coûts, lorsque la firme est peu dépendante du partenaire, par exemple dans le cas d’un fournisseur de produits ou de services standards et de faible valeur, qui peut être aisément remplacé. Il est par contre optimal d’investir dans une relation de confiance forte lorsque le degré de dépendance est élevé. Ils en déduisent que les firmes qui optimisent la confiance, c’est-à-dire qui adaptent le niveau de confiance accordé aux

32 partenaires au degré de dépendance, sont plus performantes. Comme indiqué ci-dessus, le contexte du LBO, qui nécessite une coopération dans un contexte de risque élevé, induit une forte dépendance entre CI et dirigeants, d’autant plus que le remplacement d’un partenaire qui ferait défection en cessant de coopérer ou en quittant l’alliance peut s’avérer difficile et coûteux, en particulier dans le cadre de firmes non cotées de taille petite ou moyenne. Un niveau de confiance élevé entre CI et dirigeants devrait donc se traduire par une meilleure performance.

Je développe un modèle qui prend en compte deux types de variables médiatrices entre confiance et performance: les processus de travail commun entre CI et dirigeants et les rôles des CI vis-à-vis des dirigeants (schéma 2).

Schéma 2 – Modèle liant confiance interpersonnelle – processus et rôles des CI –

performance de l’investissement (Bonnet, 2005)

qualité des éch. d’information conflits cognitifs normes d’effort utilisat. des compétences rôles de contrôle rôles de conseil rôles interpersonnels fréquence d’interaction Confiance interpersonnelle Performance de l’investissement rôles des CI processus H1a/b +/-H2 + H3 + H4 + H5 + H6 -H7 + H8 + + H9 + H10 + H11 + H12 + H13 + H14 + H15 + H16

La section supérieure du modèle concerne les processus. Les processus considérés et les hypothèses correspondantes sont dérivés des travaux qui traitent des processus de travail au sein du CA, relativement

33 peu nombreux à l’époque où cette recherche a été menée (Forbes et Milliken, 1999 ; Sonnenfeld, 2002) et des recherches en gouvernance entrepreneuriale portant sur les interactions entre CI et dirigeants (Sapienza et Korsgaard, 1996 ; Cable et Shane, 1997 ; Shepherd et Zacharakis, 2001). Ces travaux s’appuient sur des théories cognitives (processus et dynamique des groupes de travail) et comportementales (théorie de la justice procédurale, modèle du dilemme du prisonnier). Je distingue cinq processus et développe les hypothèses correspondantes. Ainsi que l’indique le modèle, le niveau de confiance interpersonnelle entre CI et dirigeants est supposé avoir une influence positive sur les cinq processus considérés et ces derniers, parce qu’ils sont favorables à la coopération, sont supposés avoir une influence positive sur la performance de l’investissement. La seule exception est l’impact de la confiance sur la fréquence d’interaction entre CI et dirigeants, pour laquelle je développe deux hypothèses alternatives.

La seconde partie du modèle concerne les rôles qu’adoptent les CI vis-à-vis des dirigeants durant le LBO. Je distingue trois familles de rôles basés sur les typologies développées en gouvernance entrepreneuriale (MacMillan et al., 1988 ; Sapienza et Timmons, 1989): contrôle, conseil et rôles interpersonnels. L’approche intègre des rôles de nature disciplinaire (contrôle des dirigeants), cognitive (conseil) et des rôles interpersonnels. Les hypothèses développées postulent que la confiance entre dirigeants et CI a une influence négative sur les rôles de contrôle mais positive sur le conseil et les rôles interpersonnels. Tous les rôles sont supposés avoir un impact positif sur la performance.

Le modèle est testé au moyen d’une enquête par questionnaire postal menée en 2001 sur les LBO réalisés en France en 1998 et 1999. Nous avons contacté l’ensemble des SCI opérant en France et avons pu obtenir les réponses des responsables du suivi des opérations pour 38 LBO, soit 8,2 % des LBO ayant eu lieu sur la période. La variable dépendante (performance) est le TRI de l’investissement en capital estimé par le répondant à la date de l’enquête. La variable indépendante (niveau de confiance interpersonnelle entre CI et dirigeant) est mesurée par une série de huit questions prenant en compte les trois dimensions de la confiance : bienveillance, cohérence et compétence. La formulation des questions est dérivée d’enquêtes antérieures visant à mesurer le niveau de confiance interpersonnelle (

Morgan et

Hunt, 1994 ;

Cummings et Bromiley, 1996 ;

Sapienza et Korsgaard, 1996

). La mesure des processus et des rôles est également basée des enquêtes antérieures (MacMillan et al., 1988 ; Sapienza et Timmons, 1989 ; Sapienza et Korsgaard, 1996). Pour ce qui concerne les rôles des CI nous proposons une nouvelle typologie de 18 rôles, plus complète que les typologies préexistantes. Le dispositif de réponse adopté pour les questions visant à mesurer les perceptions des répondants (confiance, processus et rôles) est du type échelle de Likert à 5 points.

La faible taille de l’échantillon rapportée au nombre de variables ne permettant pas d’utiliser des méthodes d’analyse de causalité telles que des régressions multiples, j’ai recours à un test non

34 paramétrique (test de corrélation des rangs de Spearman) qui permet de tester la dépendance des variables du modèle deux à deux. Les principaux résultats sont les suivants :

- tous les processus sont corrélés positivement au niveau de confiance, ce qui confirme l’ensemble de nos hypothèses H1 à H5, à l’exception de H1b,

- huit rôles des CI sur un total de 18, appartenant aux trois familles de rôles identifiées, sont corrélés positivement au niveau de confiance interpersonnelle, ce qui confirme partiellement les hypothèses H7 et H8 mais infirme H6, qui postule une corrélation négative entre confiance et rôles de contrôle,

- la performance de l’investissement est corrélée (positivement) à trois processus (qualité du reporting, normes d’effort, utilisation des compétences) et à deux rôles de contrôle des CI (contrôle des décisions stratégiques, évaluation de la performance du dirigeant), mais à aucun rôle de conseil ou interpersonnel,

- la performance de l‘investissement n’est pas corrélée significativement au niveau de confiance interpersonnelle entre CI et dirigeants.

Le test empirique apporte donc un support modéré au modèle. Il semble que la confiance favorise les processus d’interaction et une partie des rôles des CI que nous avons identifiés. Certains de ces processus et rôles sont corrélés positivement à la performance de l’investissement et pourraient donc jouer un rôle médiateur entre confiance et performance. Par contre, la corrélation entre confiance et performance n’est pas mise en évidence.

Les principales contributions de cette recherche sont les suivantes. Comme anticipé, les CI investissent dans le développement d’une relation confiante avec les dirigeants, ainsi qu’en témoigne le niveau élevé de confiance interpersonnelle mesuré dans l’étude (4,35 en moyenne sur une échelle de 1 à 5). Ceci peut s’expliquer par le caractère fortement dépendant de la relation entre CI et dirigeants. Les CI sont incités, en particulier financièrement, à ce que l’opération de LBO soit un succès, et ce succès est étroitement lié à la compétence et au comportement coopératif des dirigeants. Ainsi, on peut penser qu’un LBO n’est mis en œuvre que si un niveau suffisamment élevé de confiance existe au départ, et que CI et dirigeants continuent à investir dans la confiance dans la phase post LBO. De plus, le niveau de confiance accordé aux dirigeants a un impact sur la façon dont CI et dirigeants organisent leur travail commun. Cette étude montre que la mise en œuvre de processus de travail favorisant une coopération efficace est influencée positivement par le niveau de confiance. La confiance a également une influence sur les rôles des CI vis-à-vis des dirigeants, c’est à dire sur l’orientation de leur action dans la phase post-investissement, mais dans une moindre mesure que ce que ce qui était attendu. La relation positive entre la confiance et certains rôles de contrôle est à remarquer car elle est contraire à ce qu’indique la littérature (Charreaux, 1998). Celle-ci laisse supposer que les CI accorderaient aux dirigeants un espace discrétionnaire plus large en cas de confiance élevée et réduiraient, en conséquence, leur niveau de