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1.3 Boîtes quantiques

1.3.2 Blocage de Coulomb

Afin de mesurer les propriétés de transport électronique d’une boîte quantique, celle-ci doit être reliée à deux électrodes métalliques source et drain (Fig. 1.9). Ces électrodes de contact sont des réservoirs avec lesquels la boîte quantique peut échanger des électrons et permettent de mesurer les propriétés de transport de la boîte. La boîte est également couplée capacitivement à une autre électrode, appelée électrode de « grille », utilisée pour changer le potentiel électrostatique de la boîte. Le point quantique est séparé des deux électrodes source et drain par des jonctions tunnel et le transport électronique à travers

la boîte ne peut se faire que par ces deux électrodes de contact (Fig. 1.9). Une fois les électrodes de source et de drain reliées à un environnement de mesure extérieur, il est pos- sible d’appliquer une tension de polarisation Vsd à leurs bornes et de mesurer le courant I

circulant dans le dispositif. Cette configuration est identique à celle d’un transistor à un électron (Single Electron Transistor, SET) [69] telle que la valeur du courant s’écoulant entre la source et le drain est changée par l’utilisateur en appliquant une tension Vg sur

l’électrode de grille.

e

Grille

Drain

Source

Boîte

quantique

V

sd

V

g

I

Fig. 1.9 – Représentation schématique d’une boîte quantique reliée à des électrodes mé- talliques en configuration transistor. La boîte quantique est formée par un îlot connecté à des électrodes de source et de drain par l’intermédiaire de jonctions tunnel. Le dispositif est dans une configuration analogue à celle d’un transistor à un électron [69]. Il est muni d’une électrode de grille permettant de contrôler électrostatiquement le passage séquentiel des électrons à travers l’îlot. Un courant électrique I peut alors circuler à travers la boîte et être mesuré en fonction de la tension de polarisation VSD entre source et drain et de la

tension de grille VG.

On suppose ici que la boîte quantique est reliée aux électrodes de contacts par des barrières tunnel suffisamment opaques pour permettre un transport séquentiel des électrons à travers la boîte. Ainsi, un courant électrique pourra circuler dans le dispositif lorsqu’un électron provenant d’une des électrodes passe par effet tunnel dans la boîte, puis en ressort par un autre effet tunnel vers l’autre électrode. Un électron peut alors transiter au travers de la boîte grâce à deux passages tunnel successifs : c’est l’effet tunnel séquentiel. L’addition d’un électron nécessite de vaincre la répulsion coulombienne avec les électrons déjà présents à l’intérieur de la boîte. On peut montrer par des considérations purement électrostatiques que l’ajout d’un électron supplémentaire dans la boîte implique un changement d’énergie électrostatique Uc = e2/C, où C est la capacité totale de la boîte quantique. La capacité

C décrit toutes les interactions électrostatiques entre la boîte et son environnement [70] et peut s’écrire C = CS + CD + CG où CS est la capacité de la jonction tunnel séparant la

et CG la capacité de couplage avec la grille. L’énergie Uc est associée à la « barrière de

Coulomb », liée à la répulsion coulombienne entre les électrons. Quand la température et la différence de potentiel entre les deux électrodes de source et de drain sont telles que kBT, |eVSD| < Uc, aucun électron ne peut charger la boîte et on parle ainsi de blocage de

Coulomb. Dans ce régime, les électrons sont bloqués, le nombre d’électrons dans la boîte est fixe et le courant dans le dispositif est nul. D’autre part, le nombre d’électrons, dans la boîte dans le régime bloqué, doit avoir une valeur bien définie, ce qui entraîne des contacts suffisamment résistifs entre la boîte et les électrodes. Pour que les fluctuations quantiques sur le nombre d’électrons dans la boîte soient suffisamment faibles, la résistance des contacts doit être bien supérieure à la résistance d’un canal de conduction (h/e2 ≈ 25.81kΩ).

Dans le cas d’une boîte quantique, la taille de l’îlot de la figure 1.9 est suffisamment petite pour que son spectre d’énergie soit discret. La taille finie de la boîte engendre une quantification de son spectre d’énergie qui se compose d’un ensemble de niveaux discrets d’énergies {En}. Ces niveaux sont représentés sur la figure 1.10 par des lignes discrètes,

séparées du continuum d’états électroniques des électrodes métalliques, par des barrières représentant les deux jonctions tunnel séparant chaque électrode du point quantique. Γs

et Γd sont les taux de transfert tunnel respectivement entre l’électrode de source et la

boîte quantique et entre la boîte et l’autre électrode de drain. Ces taux de transfert tunnel représentent le nombre d’électrons pouvant traverser chaque jonction par effet tunnel par seconde. Ils sont directement proportionnels à la transparence des barrières tunnel. Les niveaux électroniques des électrodes sont remplis continûment jusqu’au niveau de Fermi de chaque électrode, représentés respectivement pour la source et le drain par µS et µD. La

différence entre µSet µDest contrôlée par la tension de polarisation Vsdtelle que µS−µD =

|eVsd|. Tous les états discrets de la boîte, d’énergies inférieures à µS et µD, sont remplis

par des électrons (lignes continues) tandis que les états électroniques d’énergies supérieures à µS et µD sont vides (lignes en pointillés) (Fig. 1.10). De plus, la position des niveaux

d’énergie à l’intérieur de la boîte quantique par rapport à µS et µD peut être changée par

l’application d’une tension VG sur l’électrode de grille couplée électrostatiquement avec la

boîte quantique. En changeant la valeur de VG, la charge induite sur la boîte varie et le

potentiel chimique de la boîte change par rapport aux niveaux de Fermi des électrodes. Ceci entraîne un décalage de l’ensemble des niveaux de la boîte relativement à µS et µD.

S’il n’y a pas de niveaux quantiques discrets alignés par rapport aux niveaux de Fermi de la source et du drain (Fig. 1.11.a) alors le blocage de Coulomb empêche les électrons de passer à travers la boîte. Le transistor à un électron est donc dans un état bloqué (état « off »). Seulement un courant très faible peut passer à travers le dispositif par effet tunnel direct d’une électrode à l’autre. Par contre, en appliquant une source de tension à l’électrode de grille, il est possible d’aligner un niveau discret de la boîte par rapport aux niveaux de Fermi des électrodes (Fig. 1.11.b). Dans ce cas, un niveau discret appartient à une fenêtre d’énergie comprise entre µS et µD, ce qui permet aux électrons de passer de la source vers

le drain à travers la boîte quantique. Un processus d’effet tunnel séquentiel peut avoir lieu à travers ce niveau discret et le nombre d’électrons dans la boîte peut varier d’une valeur N à une valeur N+1. Dans ce cas, un courant peut circuler à travers la boîte et le dispositif

Source

Drain

VG

eVSD

'E

PS

PD

*S

*D

Fig. 1.10 – Représentation schématique du diagramme d’énergie d’une boîte quantique connectée à deux électrodes métalliques. Les niveaux discrets dans la boîte sont représen- tés par un ensemble de lignes discrètes. Les niveaux dont les énergies sont inférieures aux potentiels chimiques µS et µD des électrodes de source et de drain sont occupés par des

électrons, représentés par des points situés sur les niveaux discrets. La distance entre deux niveaux consécutifs est égale à ∆E. La position des niveaux d’énergie dans la boîte, re- lativement aux niveaux de Fermi des électrodes, peut être changée par l’application d’une tension de grille Vg, tandis que la tension Vsd change la position des niveaux de Fermi des

électrodes l’un par rapport à l’autre. Le transport électronique du drain vers la source s’ef- fectue à travers les niveaux discrets de la boîte quantique. Le nombre de niveaux disponibles pour le transport est déterminé par la tension appliquée Vsd entre les deux électrodes.

est dans un état passant (état « on »). Le transport à travers la boîte se fait de manière séquentielle. Un électron qui entre par un effet tunnel dans la boîte doit en ressortir vers l’autre électrode avant qu’un second électron puisse à son tour passer par effet tunnel dans la boîte (Fig. 1.11.c). La mesure du courant en fonction de la tension de grille se traduit par une série de pics de courant. Chaque pic correspond au passage d’un électron dans la boîte par effet tunnel séquentiel lorsqu’un niveau discret est aligné par rapport aux potentiels chimiques des électrodes. Entre chaque pic, la valeur du courant est grandement réduite à cause du blocage de Coulomb qui fixe le nombre d’électrons dans la boîte à une valeur bien définie et qui bloque ainsi le transport des électrons à travers la boîte. La distance séparant deux pics successifs de conductance correspond à une énergie :

Eadd= Uc+ ∆E (1.10)

L’énergie d’addition Eaddest l’énergie nécessaire pour ajouter ou enlever un électron à la

boîte quantique. La variation continue de tension de grille ∆VGcorrespondante, nécessaire

pour ajouter un électron supplémentaire à la boîte, s’exprime par :

∆VG= Eadd/αe (1.11)

où α = CG/C < 1 décrit la force du couplage de la boîte quantique avec l’électrode

de grille. A l’aide d’une tension de grille VG, il est ainsi possible de contrôler le transport

électronique électron par électron à travers des niveaux quantiques discrets de la boîte (Fig. 1.11). En appliquant une tension sur l’électrode de grille, on peut mettre ce transistor dans des états passants où le transport s’effectue de manière séquentielle à travers les niveaux discrets de la boîte (états on).

Lorsqu’il n’y a pas de niveau discret disponible pour le transport, le transistor est dans un régime bloqué où le transport des électrons est interdit à cause du blocage de Coulomb (états off). Ce comportement de type transistor découle de la combinaison de la nature discrète de la charge et du confinement quantique des électrons dans la boîte. Pour pouvoir observer le blocage de Coulomb dans une boîte quantique, l’énergie d’addition Eadd doit

être supérieure à l’énergie thermique disponible kBT . Autrement, l’effet des fluctuations

thermiques domine le blocage de Coulomb et la quantification des niveaux d’énergie. Ceci implique que la boîte quantique doit être mesurée à des températures cryogéniques. Une autre manière de permettre le transport des électrons à travers la boîte est d’appli- quer une tension de polarisation VSDentre la source et le drain (Fig. 1.12). Ceci ouvre une

fenêtre d’énergie permettant à des niveaux supplémentaires dans la boîte de contribuer au transport. Des niveaux excités participent au transport et le courant tunnel est amplifié par rapport au cas où les électrons transitent via un seul niveau. De cette manière, il est ainsi possible de faire une spectroscopie des états excités de la boîte.

L’ensemble des régimes de fonctionnement d’une boîte quantique peut être totalement exploré et étudié en mesurant le courant circulant dans la boîte ou la conductance différen- tielle, c’est-à-dire la dérivée du courant par rapport à la tension appliquée entre la source et le drain, en fonction de la tension de grille VG et de la tension de polarisation Vsd. Le

Source Drain Source

*S

Drain Source Drain

*D N N N+1 Eadd e e PS P D

a

b

c

Fig.1.11 – (a) Représentation schématique d’une boîte quantique dans le régime de blocage de Coulomb. L’énergie Eadd apparaît comme un gap pour le transport et empêche d’ajouter

ou d’enlever un électron de la boîte (état off ). (b), (c) Transport séquentiel d’un électron à travers la boîte lorsqu’un niveau discret est amené à une énergie comprise entre les potentiels chimiques µS et µD des électrodes (b). Un électron provenant de la source peut

alors passer par effet tunnel dans la boîte et amener le nombre d’électrons dans la boîte à la valeur N+1 (c). La boîte quantique acquiert une énergie de charge supplémentaire qui rehausse l’ensemble des niveaux d’une énergie égale à e2/C par rapport à la situation en

(b). Du fait de cette énergie de charge, aucun électron supplémentaire ne peut rentrer dans la boîte tant que l’électron initialement ajouté ne sorte par effet tunnel en direction de l’autre électrode (c).

Source Drain Source Drain Source Drain

Eadd eVsd eVsd

b

c

PS

a

PD

Fig.1.12 – Spectroscopie des niveaux excités d’une boîte quantique polarisée par une tension Vsd. (a) Le blocage de Coulomb interdit le transport de charge à travers la boîte à une tension

de polarisation Vsd trop faible. (b) L’application d’une tension positive sur le drain ouvre

une fenêtre d’énergie entre les potentiels chimiques des deux électrodes qui inclue un niveau discret de la boîte et permet un transport électron par électron à travers le dispositif. Le nombre d’électrons dans la boîte varie entre N et N-1. (c) Un niveau discret supplémentaire entre dans la fenêtre d’énergie séparant les potentiels chimiques des deux électrodes et peut à son tour contribuer au transport. Dans ce cas, le nombre d’électrons dans la boîte varie entre N-1, N et N+1.

se traduit dans les mesures courant-tension de la boîte par des zones où le courant (ou la conductance) circulant dans la boîte est minimal. Ces zones sont délimitées par un en- semble de lignes où le courant (ou la conductance) est maximal et définissent les frontières pour lesquelles le nombre d’électrons en excès change d’un électron. Le parallélogramme ainsi formé est appelé « diamant de Coulomb » et définit la zone à l’intérieur de laquelle le nombre d’électrons dans la boîte est fixe et où aucun électron ne peut charger ou déchar- ger la boîte. La présence de ces diamants est essentiellement d’origine électrostatique et provient de la quantification de la charge dans la boîte. A l’extérieur des diamants de Cou- lomb, le transport électronique peut se faire de manière séquentielle à travers les niveaux discrets de la boîte. L’effet du blocage de Coulomb est annulé et le transport peut se faire de manière séquentielle via les niveaux d’énergie discrets de la boîte. Ceci se traduit par des pics ou des marches de courant (ou de conductance) dans les mesures courant-tension de la jonction, causés par le transport à travers des niveaux excités de la boîte. L’application d’une tension de polarisation rend disponibles plusieurs niveaux quantiques discrets qui peuvent contribuer au transport à travers la boîte. La présence des niveaux excités de la boîte permet un transport séquentiel des électrons un à un à travers la boîte et se mani- feste sur le schéma de la figure 1.13 par des lignes discrètes situées en-dehors de la zone bloquée. Cet effet provient uniquement de la nature discrète des niveaux d’énergie, de par le confinement quantique dans la boîte. A l’aide du diagramme de la figure 1.13, on peut estimer directement la séparation entre les niveaux d’énergie excités ainsi que l’énergie de charge de la boîte.

Jusqu’à présent, nous avons considéré que le transport à travers une boîte quantique se fait de manière séquentielle électron par électron. L’énergie de charge importante engendre une forte barrière de Coulomb qui impose un transport des électrons par des effets tunnels séquentiels successifs à travers la boîte. Ce régime de fonctionnement apparaît lorsque la boîte est très faiblement couplée avec les électrodes de contacts. Les électrons sont fortement localisés dans la boîte et les taux de transfert tunnel à travers chaque barrière isolante sont faibles et tels que hΓi ≪ Uc avec i=S ou D et où Uc est l’énergie de charge de

la boîte. Cependant, lorsque l’épaisseur des barrières tunnel diminue et que la boîte est plus fortement couplée aux électrodes, d’autres phénomènes régissant les propriétés de transport du système peuvent apparaître et modifier profondément le transport des électrons à travers la boîte. En particulier, lorsque le taux de transfert tunnel des barrières tunnel devient comparable à l’énergie de charge (hΓ ≈ Uc), des effets tunnel d’ordre supérieur, impliquant

le passage simultané de plusieurs électrons de manière cohérente, peuvent avoir lieu. Dans de tels processus, dits de « cotunneling » [71], deux électrons peuvent circuler en même temps dans la boîte par le biais d’états intermédiaires virtuels. Ce phénomène s’oppose au blocage de Coulomb qui tend à imposer un transport séquentiel s’effectuant électron par électron. Nous verrons dans le paragraphe suivant qu’un ensemble de tels processus de cotunneling peuvent conduire en particulier à l’effet Kondo [72]. Dans ce phénomène, les processus de cotunneling entraînent l’apparition d’un état impliquant de nombreux électrons où les électrons de la boîte sont fortement corrélés avec des électrons présents

DeVg

eVsd

N

N-1

N+1

E

add

'E

E

add

Fig. 1.13 – Représentation schématique du diagramme de stabilité caractéristique d’une boîte quantique dans le régime de blocage de Coulomb. Ce diagramme représente le régime de fonctionnement d’une boîte quantique où la conductivité différentielle dI/dVsd est tracée

en fonction de la tension de polarisation Vsd et de la tension de grille Vg. Les lignes épaisses

en noir représentent les maximums de conductance pour lesquels la boîte quantique transmet un courant par effet tunnel séquentiel via un niveau discret. L’ensemble de ces lignes forme une structure présentant des diamants de Coulomb à l’intérieur desquels la conductance est minimale et le nombre d’électrons dans la boîte a une valeur bien définie. Ces diamants de Coulomb découlent de la quantification de la charge dans la boîte quantique et sont caractéristiques du comportement d’un transistor à un électron. Les lignes diagonales situées en dehors des diamants, à tension source-drain non nulle, représentent les maxima de conductance associés au transport séquentiel d’électrons (ou de trous) à travers les états excités de la boîte. En étudiant la taille des diamants de Coulomb, ainsi que la position des niveaux discrets, on peut en déduire l’énergie Eadd qu’il est nécessaire de fournir pour

ajouter un électron supplémentaire à la boîte, ainsi que la distance ∆E entre deux niveaux discrets. On peut par conséquent déduire l’énergie de charge Uc = Eadd− ∆E.

dans les électrodes de contact. D’autre part, dans cette section, nous avons négligé le spin des électrons ainsi que l’énergie d’échange entre spins. Nous verrons que le spin des électrons peut jouer un rôle important dans le comportement d’une boîte quantique. En particulier, l’effet du spin des électrons présents à l’intérieur d’une boîte quantique joue un rôle majeur dans l’apparition de l’effet Kondo. C’est la combinaison des processus de cotunneling avec l’influence du spin d’une boîte quantique qui sont à l’origine de l’effet Kondo. Du fait de la complexité de ce phénomène, nous ne donnons dans ce travail qu’une description très synthétique de cet effet. Le lecteur pourra trouver plus de détails, notamment sur la description théorique de l’effet Kondo dans les boîtes quantiques, dans les références [73, 74].