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1. Partie théorique

1.1 Bilinguisme

1.1.1 Définition du bilinguisme

De nombreuses définitions du bilinguisme existent, se plaçant sur un continuum allant de définitions très souples à des définitions plus strictes. Selon Grosjean, qui nous propose une définition plutôt souple, « le bilinguisme est l’utilisation au quotidien de deux (ou plusieurs) langues et non pas connaître deux langues de façon égale et optimale » (Grosjean, 2002 : 12). Cette définition évoque bien le fait qu’un sujet bilingue ne maîtrise pas ses deux langues de façon totalement égale. En effet, le bilinguisme parfaitement équilibré est très rare, l’une des deux langues est souvent dominante, même si cette dominance peut changer au cours du temps (Thordadottir, 2012). Kohnert (2010 : 457) propose également une définition très large du bilinguisme : « les enfants bilingues sont définis comme des personnes recevant une entrée régulière dans une ou plusieurs langues, durant la période la plus dynamique du développement de la communication - quelque part entre l’enfance et l’adolescence ». Cette définition permet d’inclure de nombreux profils d’enfants bilingues, malgré leur hétérogénéité, car il y a « autant de bilinguisme que d’enfants bilingues » (Konhert, 2010).

Définir le bilinguisme est donc une tâche complexe, compte tenu de la multiplicité des situations multilingues qui existent. Il y a de nombreux facteurs qui influencent le bilinguisme. L’âge d’acquisition des langues, le degré et la quantité d’exposition aux deux langues, la richesse de l’environnement linguistique et la valorisation socio-économique de ces langues sont autant de facteurs extérieurs qui influencent les performances des enfants bilingues (Paradis, 2010). Nous allons ici aborder certains de ces facteurs que nous savons prépondérants.

L’âge d’acquisition (bilinguisme simultané vs bilinguisme séquentiel)

Le bilinguisme peut être défini selon l’âge d’acquisition de la deuxième langue. Le bilinguisme simultané est l’acquisition de deux langues avant l’âge de trois ans dans un milieu bilingue (Lefebvre, 2008). Ici, l’enfant apprend les deux langues en même temps. Il n’y a donc pas véritablement une première et une seconde langue, étant donné qu’elles sont

apprises parallèlement, mais il s’agit bien de deux premières langues (deux L1). Très tôt, ces enfants se construisent un système linguistique indépendant pour chacune des langues (Meisel, 1989). Ce type de bilinguisme concerne essentiellement les familles dans lesquelles un des deux parents parle une autre langue que celle du pays d’accueil, tandis que l’autre parent parle la langue du pays d’accueil. Au contraire, le bilinguisme séquentiel désigne un bilinguisme plus tardif, c’est-à-dire que la deuxième langue a été apprise après la première langue. Afin de pouvoir distinguer ces deux types de bilinguisme, il faut déterminer l’âge d’exposition à la deuxième langue à partir duquel on considère que le bilinguisme est séquentiel. Il n’existe pas vraiment de consensus dans la littérature à ce sujet. C’est pour cette raison que nous pouvons trouver différents critères. Par exemple, Lefebvre (2008) décrit ce bilinguisme comme l’acquisition d’une deuxième langue après l’âge de trois ans. Au contraire, Meisel (2009) considère un bilinguisme comme séquentiel si la deuxième langue a été acquise après l’âge de deux ans. D’autres définitions, plus strictes, proposent que le bilinguisme soit décrit comme séquentiel si l’enfant n’a pas été en contact avec la deuxième langue dès sa naissance. Nous utiliserons pour notre étude la définition de Meisel, c’est-à-dire que nous considèrerons les enfants comme bilingues séquentiels s’ils ont appris leur deuxième langue après l’âge de deux ans. Ce bilinguisme concerne majoritairement les enfants issus de l’immigration. Le plus souvent, l’apprentissage de la deuxième langue se consolide dans le milieu éducatif et scolaire (immersion, apprentissage formel) ou par des échanges soutenus, naturels et informels avec la communauté du pays d’accueil (Kohnert, 2010).

Durée d’exposition à la langue

Il est primordial de faire la distinction entre l’âge d’acquisition d’une langue et la durée d’exposition à cette langue. En effet, deux enfants ayant acquis leur deuxième langue au même âge peuvent avoir une durée d’exposition très différente suivant l’âge auquel nous les testons. Une étude (Thordardottir, 2011, 2012), a été menée auprès de 84 enfants âgés de cinq ans (M= 4;10 ans) incluant 16 monolingues anglais, 19 monolingues français et 49 bilingues simultanés ayant un âge d’acquisition de leur L2 inférieur à trois ans, et donc des durées d’exposition variées au français et à l’anglais. Cette étude a montré que les performances des enfants bilingues dans des tâches de répétition de non-mots et de phrases dépendaient du vocabulaire ainsi que du développement morphosyntaxique, qui dépendent

eux-mêmes de la durée d’exposition à la L2. Ainsi, les performances linguistiques des enfants dans leur deuxième langue augmentent avec la durée d’exposition, même s’il subsiste des différences entre les monolingues et les bilingues séquentiels jusqu’à la fin de l’école primaire (et parfois même plus tard) (Hemsley, Holm & Dodd, 2006).

1.1.2 Développement du langage dans un contexte de bilinguisme

De nombreuses études se sont intéressées au développement langagier des enfants bilingues, en le comparant à celui des enfants monolingues. Aussi, le développement langagier des enfants bilingues simultanés est-il similaire à celui des enfants bilingues séquentiels ? D’après une étude portant sur 73 enfants bilingues simultanés suédois-finnois et 43 enfants monolingues finnois âgés de 5 à 7 ans (Korkman, 2012), le bilinguisme simultané n’apporte pas de difficultés supplémentaires par rapport au monolinguisme. En effet, ces auteurs n’ont pas observé de différence significative entre les scores aux tests de langage (comprenant des tests d’expression, de compréhension, de répétition et de mémoire verbale) des deux groupes. Cette étude rapporte seulement un développement plus lent du lexique chez les enfants bilingues. D’une manière générale, un consensus existe pour dire que les bilingues simultanés suivent les mêmes étapes développementales que les monolingues dans l’acquisition de leurs langues et sont capables d’atteindre un niveau de maîtrise dans leur deux langues identique à celui des monolingues (Meisel, 2001,2004).

Néanmoins, la situation est différente dès lors qu’on s’intéresse au bilinguisme séquentiel.

Par exemple, au niveau phonologique, une étude a comparé onze enfants monolingues espagnols âgés de 7;6 à 10;10 ans (M= 8;10) à onze enfants bilingues séquentiel espagnol-anglais, appariés en âge (M= 9;1) et ayant acquis l’anglais entre 3 et 4 ans (M= 3,4 ans). Les enfants ont été testés sur une tâche de répétition de non-mots comprenant 20 non-mots constitués de phonèmes spécifiques à l’espagnol (leur L1) et 20 non-mots constitués de phonèmes spécifiques à l’anglais (leur L2). Les résultats de cette étude ont montré que les enfants bilingues séquentiels ont de moins bonnes performances en tâche de répétition de non-mots que les enfants monolingues si les non-mots sont constitués de phonèmes spécifiques à leur deuxième langue (Girbau & Schwartz, 2008 ; Windsor et al., 2010 ; Messer

& al., 2010). Dans le domaine morphologique, une étude réalisée par Granfeldt et al. (2007) a comparé 14 enfants âgés de 6 à 11 ans (M = 7;5 ans) bilingues simultanés suédois-français

à 16 enfants (appariés en âge) bilingues séquentiels (ayant acquis le français entre 2 et 4 ans). Les auteurs ont montré que les enfants bilingues séquentiels font davantage d’erreurs en français concernant l’accord en genre que les enfants bilingues simultanés (que ça soit l’accord du pronom sujet, il/elle, du pronom objet, le/la ou encore les flexions adjectivales, petit/petite). Les enfants bilingues séquentiels présentent également des difficultés en morphosyntaxe. Ainsi, Meisel (2008) a réalisé une étude auprès de deux groupes d’enfants bilingues allemand-français âgés de 5 à 10 ans : un groupe de 7 enfants bilingues simultanés ainsi qu’un groupe de 7 enfants bilingues séquentiels, ayant commencé à apprendre le français entre 2 et 3 ans (M= 3;2 ans). Les résultats ont montré que les bilingues séquentiels avaient des difficultés en production de verbes tensés en français. En effet, ils ont tendance à produire des verbes à l’infinitif, tendance qui n’est pas observée chez les bilingues simultanés.

Au niveau syntaxique enfin, une étude (Grüter, 2005) s’est intéressée au traitement des pronoms clitiques objets (ex : Elle le lave) chez les bilingues séquentiels ; ces items grammaticaux constituent une structure complexe puisqu’ils induisent un mouvement syntaxique de l’objet2. Pour cela, neuf enfants bilingues séquentiels français-anglais âgés de 7 à 8;8 ans (M = 7;7) et ayant acquis le français à l’entrée au jardin d’enfants (c’est-à-dire entre 2 et 3 ans) ont passé une épreuve d’élicitation de phrases ainsi qu’une épreuve de jugement grammatical. La tâche d’élicitation de phrases avait pour objectif la production de pronoms clitiques objets, alors que la tâche de jugement de phrases avait pour but d’observer si les bilingues acceptaient l’absence d’objets dans la phrase (c’est-à-dire s’ils jugeaient comme correcte la phrase « Julie monte sur le rocher » pour une image représentant Julie montant un sac sur le rocher). Les résultats, obtenus en production, ont montré que les bilingues séquentiels ont tendance à omettre les pronoms clitiques objets.

Pourtant, dans la tâche de jugement grammatical, ils ont tendance à rejeter les phrases objets nuls (ex : Caillou monte dans l’arbre). L’auteur conclut que la tendance des bilingues séquentiels à omettre les pronoms clitiques objets dans leur L2 n’est pas due à une mauvaise représentation des pronoms clitiques objets dans la grammaire de leur L2, mais plutôt à une stratégie d’évitement de cette structure complexe impliquant un mouvement syntaxique.

Sur le versant réceptif, une étude a également été réalisée sur les phrases passives : Marinis

2 Nous aborderons les pronoms clitiques objets de façon plus détaillée dans la section 1.2.2

(2007) a comparé 28 enfants bilingues séquentiels turc-anglais (ayant été exposés à l’anglais entre 3 et 3;8 ans) à 30 enfants monolingues anglais dans une tâche de compréhension composée de phrases actives ainsi que de phrases passives. Les résultats ont montré que les deux groupes comprennent les phrases actives, mais que les enfants bilingues séquentiels comprennent moins bien les phrases passives que les enfants monolingues. Et les phrases passives impliquent, comme les pronoms objets que nous venons d’évoquer, un déplacement syntaxique avec un bouleversement de l’ordre canonique des éléments de la phrase. En effet, le sujet de la phrase active [1] devient l’objet dans la phrase passive [2], et l’objet le sujet. Cette structure implique également une modification du temps verbal (passage du présent [1] au passé composé [2]).

[1] La maman rattrape la fille.

[2] La fille est rattrapée par la maman.

En synthèse, le bilinguisme séquentiel entraîne donc davantage de difficultés dans le développement langagier que le bilinguisme simultané. En effet, cette population bilingue séquentielle montre des déficits au niveau phonologique (en répétition de non-mots), morphosyntaxique (en production de verbes tensés et d’accords congruents en genre) ainsi qu’au niveau syntaxique (en production de pronoms clitiques objets et en compréhension de phrases passives).

1.2 Trouble spécifique du langage

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