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Les accords externes bilatéraux de l’Union européenne comprennent généralement des dispositions relatives à la libéralisation des échanges qui lui garantissent un accès facilité aux

Partie 1 – La déconstruction des frontières extérieures

95. Les accords externes bilatéraux de l’Union européenne comprennent généralement des dispositions relatives à la libéralisation des échanges qui lui garantissent un accès facilité aux

marchés tiers. La transposition de l’acquis du marché intérieur et de l’acquis de l’O.M.C est

419 CJUE, 22 septembre 2016, Commission c/ République tchèque, aff. C-525/14, EU:C:2016:714, point 39.

420 Idem, point 55.

421 Id., point 50.

nécessaire pour atteindre leurs objectifs423. La présence d’une partie de l’acquis communautaire dans ces accords est la marque de l’ouverture du marché intérieur424.

La Suisse est, par exemple, liée au marché intérieur par une série d’accords bilatéraux sectoriels qui lui imposent de reprendre une part substantielle de l’acquis communautaire dans son ordre juridique interne425. Les accords de stabilisation et d’association conclus en vertu de l’article 217 TFUE entre l’Union européenne, ses Etats membres et les pays d’Europe centrale et orientale reposent également sur l’exportation de l’acquis communautaire426. Ils régulent les relations entre l’Union européenne et la République de Macédoine, la Serbie, le Monténégro, la Bosnie-Herzégovine et l’Albanie et offrent un cadre juridique qui leur permet d’être considérés comme des candidats crédibles à l’adhésion. Les règles de l’O.M.C relatives à la libéralisation des échanges occupaient une place importante dans les accords de ce type conclus avec l’Estonie et la Croatie avant leur adhésion427. Le préambule des autres accords insiste sur le fait que la transposition de l’acquis communautaire est une condition au resserrement progressif des liens avec l’Union. La duplication matérielle des règles de libre- échange en vigueur dans le marché intérieur, comme le principe de non-discrimination428, dévalue les frontières aux échanges commerciaux entre ces marchés tiers et le marché intérieur429. L’alignement normatif sur le droit du marché intérieur figure comme un moyen pour atteindre les objectifs fixés pour l’ensemble de ces accords430. Les accords d’association insistent de manière générale, dans leur préambule, sur l’importance d’assurer un accès au marché. L’accord d’association conclu avec la Turquie duplique, pour ce faire, une partie du droit du marché intérieur431 ; celui signé avec l’Etat d’Israël met la priorité sur les règles de

423 R. Petrov, Exporting the Acquis Communautaire through European Union External Agreements, Heidelberg, Nomos, 2011, p. 93 à 183.

424 P. Van Dijck, G. Faber, « After the Failure of Seattle : New Challenges to the EU », European Foreign

Affairs Review, 2000/5, p. 324.

425 R. Schwok, C. Bonte, « EEA and Switzerland. EU Bilateral Agreements in Comparative Perspective : What Lessons ? », in P. Demaret, J.-F. Bellis, G. Garcia. Jimenez (sous la dir.), Regionalism and Multilateralism after

the Uruguay Round. Convergence, Divergence and Interaction, Bruxelles, European Interuniversity Press, 1997,

p. 27 et s.

426 K. Inglis, « The Europe Agreements Compared in the Light of their Pre-Accession Reorientation », Common

Market Law Review, 2000/ 5, p. 1173 et s. ; M. Maresceau, E. Montaguti, « The Relations between the European

Union and Central and Eastern Europe », Common Market Law Review, 1995/6, p. 1327 et s.

427 Article 6 de l’accord de stabilisation et d’association avec la Croatie (JO 2005 L 026/48) ; Articles 8 et 64 de l’accord d’association avec l’Estonie (JO 1998 L 68/3).

428 Article 33 de l’accord de stabilisation et d’association avec l’Ancienne république yougoslave de Macédoine (JO 2004 L 084) et article 34 de l’accord de stabilisation et d’association avec l’Albanie (JO 2006 L 300).

429 Articles 38, 39, 41, 44 et 48 de l’accord de stabilisation et d’association avec l’Ancienne république yougoslave de Macédoine et articles 40, 42, 46 de l’accord de stabilisation et d’association avec l’Albanie.

430 Article 70 de l’accord de stabilisation et d’association avec l’Albanie.

431 Articles 13, 28 et 30 de la décision n° 1/95 du Conseil d'association CE-Turquie du 22 décembre 1995, relative à la mise en place de la phase définitive de l'union douanière, JOCE 35 du 13 février 1996, p. 1-47.

l’O.M.C en matière de libéralisation des échanges432 ; celui avec la Tunisie vise, entre autres, à établir une zone de libre-échange en se reposant sur l’application des règles de libéralisation des échanges prévues par l’O.M.C433 ; les accords de partenariat et de coopération434 signés en 1994 avec la Russie, l’Ukraine, le Kazakhstan435 et le Kirghizstan436 et en 1996 avec l’Arménie437, l’Azerbaïdjan et la Géorgie438 contiennent des dispositions relatives aux échanges de marchandises qui reposent sur l’acquis du marché intérieur439 (comme le principe de non-discrimination440) et sur les dispositions de l’O.M.C (comme la clause de la nation la plus favorisée441). L’accord de coopération et de développement conclu avec l’Afrique du Sud prévoit une libéralisation des échanges de marchandises fondée sur l’application du principe de non-discrimination442 et sur l’acquis de l’O.M.C443. La dévaluation des frontières prévue par celui signé avec le Mexique le 8 décembre 1997 repose sur l’application du principe de non-discrimination444.

96. Ce bref panorama des accords externes bilatéraux conclus par l’Union européenne montre que l’ouverture du marché intérieur se matérialise de plusieurs manières. Il confirme aussi l’idée selon laquelle l’internationalisation du marché intérieur produit des frontières extérieures spécifiques. Les frontières extérieures explicites issues de la formation de l’Union douanière et du fonctionnement de la politique commerciale commune s’éloignent sensiblement des conceptions retenues par le droit international et le droit constitutionnel. Les catégories traditionnellement retenues pour les qualifier, telles que celles de frontière-ligne par exemple, ne suffisent plus à rendre compte de la diversité frontalière générée par les rapprochements économiques entre le marché intérieur et les marchés tiers initiés par les accords externes bilatéraux. Cependant, l’internationalisation du marché intérieur aboutit également à la formation d’un autre type de frontière extérieure qui ne correspond pas tout à

432 Titre II de l’accord d’association avec Israël (JO 2000 L 147/1).

433 Article 6 de l’accord d’association avec la Tunisie (JO 1998L 097).

434 Articles 207 et 352 TFUE.

435 Accord de partenariat et de coopération avec le Kazakhstan (JO 1999 L 196).

436 Accord de partenariat et de coopération avec le Kirghizstan (JO 1999 L 196).

437 Accord de partenariat et de coopération avec l’Arménie (JO 1999 L 239).

438 Accord de partenariat et de coopération avec la Géorgie (JO 1999 L 205).

439 On retrouve, par exemple, une disposition similaire à l’article 36 TFUE relatif aux justifications aux mesures d’effet équivalent à l’article 20 de l’accord de partenariat et de coopération avec l’Ukraine (JO 1998 L49).

440 Articles 19, 23, 40, 52 et 98 de l’accord de partenariat et de coopération avec la Russie ; voir également en ce sens CJCE, 12 avril 2005, Simutenkov, aff. C-265/03, ECLI:EU:C:2005:6.

441 Article 10 de l’accord de partenariat et de coopération avec la Russie (JO 1997 L 327) ; Article 10 de l’accord de partenariat et de coopération avec l’Azerbadjan (JO 1999 L 246).

442 Articles 8, 21, 27, 30 et 87 de l’accord de commerce, de développement et de coopération avec l’Afrique du Sud (JO 1999 L 311/3).

443 Article 15 de l’accord de commerce, de développement et de coopération avec l’Afrique du Sud.

fait aux frontières extérieures explicites. Ces frontières implicites instruisent une autre façette de l’internationalisation du marché intérieur.

Section 2 – L’invention des frontières extérieures implicites

97. S’il est question ici d’ invention445 et de frontières implicites (c’est-à-dire si les mots requièrent un effort d’imagination), c’est parce que les frontières extérieures du marché intérieur ont été créées446. Et qu’elles l’ont été à partir des frontières intérieures. L’origine du brouillard conceptuel qui entoure la formation des frontières extérieures réside dans un double constat. D’une part, l’Union européenne est à l’évidence préoccupée par la définition de ses frontières extérieures. Mais après avoir dévalué ses frontières intérieures, elle n’a pas pour autant « porté le débat de [ses] frontières définitives »447. Dès lors, les frontières extérieures revêtent un côté artificiel. Elles sont le produit d’une construction normative et d’une négociation permanente. D’autre part, la formation de ces frontières extérieures implicites n’est pas au cœur des dispositions du traité. Elle n’apparaît pas comme une condition essentielle à l’existence du marché intérieur. Elle n’est, au mieux, que la « conséquence » 448 de l’élimination des frontières intérieures qui, à l’inverse, fait partie du « projet central » 449 de l’Union.

98. Le premier mouvement est donc celui qui touche les frontières intérieures. Celles-ci sont l’objet d’une transformation de leurs composantes essentielles qui dénature leur fonction. Les frontières nationales demeurent, mais elles sont vidées de leur substance. Elles ont tendance à s’estomper ou, du moins, à « perdre leur caractère sacramentel »450. Elles ne disparaissent pas. Elles sont dévaluées. Le philosophe Alexis Nouss écrit en effet que « toute instauration de frontière n’existe que par la mise en place concomitante d’un dispositif sanctionnant la transgression. La levée du dispositif efface la frontière »451. Cet effacement progressif des frontières intérieures peut s’analyser à travers l’évolution jurisprudentielle de l’article 34 TFUE, dont l’étude permet de dégager les principaux traits caractéristiques du modèle européen de frontières ouvertes. Cette disposition a rendu efficace la dévaluation des frontières intérieures par l’appréhension la plus effective possible des mesures nationales

445 M. Foucher, L’invention des frontières, Paris, Fondation pour les Etudes de Défense Nationale, 1986.

446 A. Del Valle Galvez, « Las fronteras de la Union – el modelo europeo de fronteras », Revista de derecho

comunitario europeo, 2002/12, p. 327.

447 Y. Petit, « La capacité d’intégration de l’Union européenne », in Les frontières de l’Union européenne, op.

cit., p. 235.

448 A. Del Valle Galvez, « Las fronteras de la Union… », préc., p. 329.

449 H. Labayle, « La suppression des contrôles aux frontières intérieures de l’Union», in Les frontières de

l’Union européenne, op.cit., p. 20.

450 C. Blumann, « Les frontières de l’Union européenne », préc., p. 6.

visant à fermer les marchés. Pour que la dévaluation des frontières nationales soient effectives (§1), un certain nombre de principes juridiques sont venus réguler le commerce européen et ont abouti à la communautarisation des frontières nationales (§2).

§1 – La dévaluation des frontières intérieures

99. L’entreprise consistant à dévaluer les frontières nationales se justifie par les études