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A priori, les articles 101 et 102 du TFUE ne peuvent s'appliquer qu'aux pratiques

Partie 1 – La déconstruction des frontières extérieures

92. A priori, les articles 101 et 102 du TFUE ne peuvent s'appliquer qu'aux pratiques

susceptibles d'avoir des effets anticoncurrentiels sur le territoire de l'Union européenne. L’application des règles européennes de concurrence se fait dès lors, dans un premier temps, selon le principe de territorialité401. Toutefois, le champ d’application des règles européennes de concurrence doit s’élargir, lorque la sécurité du marché intérieur est menacée par le comportement d’opérateurs économiques, que ceux-ci soient situés dans le marché intérieur

398 En Europe, l’effet extraterritorial des règles de concurrence apparaît assez tôt dans la jurisprudence de la Cour (CJCE, 27 septembre 1988, Ahlström Osakeyhtiö e.a. c/ Commission, aff. C-89/85, ECLI:EU:C:1993:120). Elle est également très présente dans les évolutions juridiques hors d’Europe (voir, en ce sens, C.I.J, 7 septembre 1927, Affaire du Lotus (France c/ Turquie), Rec. 1927, p. 18). Aux Etats-Unis, la section 1 du Sherman Act édicte une interdiction générale des pratiques commerciales restrictives sans la limiter géographiquement. C’est pourquoi le Congrès des États-Unis d’Amérique a adopté le Foreign Trade Antitrust Improvement Act (FTAIA), dans le but de clarifier l’application extraterritoriale du Sherman Act (voir, en ce sens, S. Breyer, La Cour

suprême, le droit américain et le monde, op. cit., p. 29 et s.).

399 CJCE, 14 juillet 1972, Geigy AG c/ Commission, aff. C-52/69, EU:C:1972:73, points 30 à 35.

400 CJUE, 6 septembre 2017, Intel c/ Commission, C-413/14, ECLI:EU:C:2017:632.

401 Conclusions de l’Avocat général Wahl présentées dans l’arrêt Intel c/ Commission, préc, points 42, 284 et 285.

ou hors de celui-ci402. Les lignes directrices de mars 2004 relatives à la notion d’affectation du commerce entre Εtats membres disposent à cet égard que les articles 101 et 102 du TFUE s’appliquent « quel que soit le lieu d’établissement des entreprises ou le lieu de conclusion de l’accord, à condition que l’accord ou la pratique soit mis en œuvre ou ait des effets à l’intérieur de l’Union européenne »403. Le fait qu’une entreprise se situe dans un Etat tiers ne fait pas obstacle à l’application de l’article 101 du TFUE, dès lors qu’un tel accord produit ses

effets sur le territoire du marché intérieur404. La Cour estime que si l’applicabilité des interdictions édictées par le droit de la concurrence était exclusivement liée avec le lieu de la formation de l’entente, cela pourrait de toute évidence aboutir à fournir aux entreprises une possibilité de s’y soustraire405.

ii- La protection du marché intérieur par l’exportation de l’application de la norme par-delà le territoire

93. La lutte contre les médicaments falsifiés est un autre exemple de la déterritorialisation du droit de l’Union européenne. La directive 2011/62/UE, qui modernise le code du médicament406, concerne par extension les pays tiers, dans la mesure où une grande partie des substances actives y est fabriquée. La fabrication d'un médicament dans le marché intérieur est soumise à l'obtention d'une autorisation de fabrication, que ce médicament soit destiné au commerce intra-européen ou à l'exportation hors du marché intérieur407. Cette autorisation est également requise pour un État tiers souhaitant exporter un médicament dans le marché intérieur408. Le code du médicament prévoit la possibilité pour des agents européens de se rendre sur le lieu de fabrication des médicaments afin de contrôler si le candidat à l'autorisation de fabrication respecte les prescriptions européennes409. Les règles relatives à la fabrication de substances actives s’appliquent également en dehors du marché intérieur. Les

402 CJCE, 25 novembre 1971, Béguelin Import, aff. C-22/71, EU:C:1971:113, point 43.

403 Communication de la Commission, « Lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité », JO C 101 du 25 avril 2004, p. 81-96, point 100.

404 Il suffit que les effets soient sensibles sur le territoire de l’Union (CJUE, Intel c/ Commission, préc, points 48 et 51) pour que le lien entre les pratiques anticoncurrentielles et le territoire de l’Union européenne ne soit pas considéré comme hypothétique (Conclusions de l’Avocat général Wahl présentées dans l’arrêt Intel c/

Commission, préc, points 299 et 302).

405 CJUE, Intel c/ Commission, préc, point 44.

406 Directive 2011/62/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 modifiant la directive 2001/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, en ce qui concerne la prévention de l’introduction dans la chaîne d’approvisionnement légale de médicaments falsifiés, JO L 174 du 1er juillet 2011, p. 74-87.

407 Article 40, para. 1 de la directive 2011/62/UE.

408 Article 40, para. 3 de la directive 2011/62/UE.

États sont invités à prendre des « mesures appropriées pour s'assurer que la fabrication, l'importation et la distribution sur leur territoire de substances actives, y compris celles qui sont destinées à l’exportation, sont conformes aux bonnes pratiques de fabrication et de distribution concernant les substances actives »410. Lorsque l'un des États membres importe des substances actives produites dans un État tiers, les autorités de cet État membre doivent détenir une autorisation écrite. Celle-ci doit certifier que le fabricant de la matière première, installé dans un État tiers, a respecté les exigences européennes, ou des exigences équivalentes, en matière de fabrication. Par ailleurs, les guidelines, ou bonnes pratiques de fabrication, permettent d’expliciter les dispositions du code du médicament afin de faciliter leur appropriation par les États tiers.

L’arrêt Philips et Nokia411 est éclairant en ce qui concerne l’entrée des médicaments falsifiés dans le marché intérieur. Il révèle la porosité des frontières entre l’Union et les pays tiers à la circulation du droit européen. La Cour de justice considère que les marchandises d’un Etat tiers constituant une imitation d’un produit protégé dans l’Union par un droit de marque ne sauraient être qualifiées de « marchandises de contrefaçon » en raison du seul fait qu'elles sont introduites sur le territoire douanier européen sous un régime suspensif412. En revanche, elle considère que ces marchandises peuvent être qualifiées de contrefaçons lorsqu'il est prouvé qu'elles sont destinées à une mise en vente dans le marché intérieur. Ce raisonnement peut être appliqué au cas des médicaments falsifiés. Dès lors qu’une substance active pharmaceutique ou un médicament en provenance d’un État tiers désire pénétrer dans le marché intérieur, elle est soumise à un contrôle des services douaniers413. Si la substance active a été fabriquée dans un État tiers et respecte les règles européennes, elle pourra franchir la frontière et bénéficier d’une mise en libre pratique dans le marché intérieur après contrôle par les autorités compétentes. Si la substance active, ou le médicament, n’a pas respecté les règles européennes, et qu’elle est destinée à être réexportée hors du marché intérieur, les douanes appliqueront un régime temporaire de transit. La déterritorialisation du droit de l’Union apparaît quand les produits pharmaceutiques fabriqués dans un État tiers, n’ayant pas respecté les standards européens, tentent de pénétrer le marché intérieur. Dans ce cas précis, les services douaniers informeront les autorités compétentes, afin de vérifier la qualité des produits. Si elles parviennent à la conclusion que le médicament ou la substance active en

410 Article 46 bis et 46 ter de la directive 2011/62/UE.

411 CJUE, 1er décembre 2011, Philips et Nokia, aff. C-446/09, ECLI:EU:C:2011:796.

412 CJUE, Philips et Nokia, préc., point 78.

cause, est falsifié, des mesures répressives seront appliquées, comme par exemple la destruction de la marchandise414.

iii- La protection du marché intérieur par le contrôle règlementaire dans les Etats tiers

94. Le droit du marché intérieur recèle une multitude d’autres exemples révélant la