• Aucun résultat trouvé

BASES CEREBRALES DE LA CATEGORISATION

1 bilan des résultats

Lors des séries expérimentales, nous avons dégagé trois types de résultats : ceux qui démontrent la rapidité du traitement visuel de scènes naturelles, ceux qui ont trait aux informations utilisées dans ces traitements, et enfin ceux qui concernent les probables mécanismes cérébraux sous-jacents.

rapidité du traitement visuel

Le constat de rapidité avec laquelle est effectuée la reconnaissance visuelle s’impose. Dans les données comportementales, tout d’abord, avec l’extrême brièveté des temps de réaction. Pour chaque expérience, de façon indistincte quant aux groupes de sujets, les temps de réaction médians ont été pour Animal vs Non-Animal 445 ms, 414 ms, 441 ms, 483 ms ; Détection de la présence de couleur dans les scènes : 481 ms ; Détection de Noir et Blanc : 524 ms ; Carrés vs Ronds : 444 ms. Les temps de réaction les plus courts (divergence des distributions des essais réussis et des faux positifs) sont pour Animal vs Non-Animal : 270 ms, 280 ms, 290 ms, 330 ms ; Détection de la couleur dans les scènes : 310 ms ; Carrés vs Ronds : 300 ms. Ces mesures globales donnent déjà des indications précieuses : 300 ms sont suffisantes pour analyser une scène visuelle complexe sans aide contextuelle et pour générer une réponse comportementale appropriée. D’autre part, il n’y a pas de différence majeure entre l’analyse visuelle nécessaire pour déceler la présence d’un animal dans une scène naturelle, dire si cette scène est colorée, et faire la différence entre des carrés et des ronds. Si différence il y a, elle atteint au maximum 30 ms dans les temps de réaction comportementaux.

En électrophysiologie ensuite : la divergence à partir de 150 ms entre potentiels évoqués par les cibles et ceux évoqués par les distracteurs de la tâche a été observée tout d’abord dans la tâche Animal vs Non-Animal. Cette divergence a été aussi mise en évidence dans la tâche de détection de Couleur vs Noir et blanc, dans la tâche Noir et Blanc vs Couleur, et dans la tâche Carrés vs Ronds. Ces observations permettent d’attribuer cet effet à un phénomène de type décisionnel plutôt qu’à un encodage de catégorie visuelle. Cette latence de 150 ms à laquelle un tel phénomène débute est compatible avec les 300 ms des temps de réaction les plus précoces – une centaine de millisecondes étant généralement considérée comme suffisante pour déclencher et effectuer une action motrice. Ce résultat implique directement que 150 ms sont suffisantes pour que le système visuel reconnaisse la présence d’un animal dans une scène naturelle.

Pour aussi rapide qu’elle soit, cette tâche ne mobilise pas d’importantes ressources attentionnelles : le fait de partager l’attention visuelle sur trois lieux d’apparition possibles des images sur l’écran, sur une zone du champ visuel dont la surface a été doublée, ne modifie en aucune façon les résultats comportementaux. De même, aucune augmentation de latence n’a été observée en électrophysiologie. De nombreuses études ont pourtant montré les coûts comportementaux qu’induisait l’allocation d’attention supplémentaire dans diverses tâches. Ici, une plus grande attention spatiale a été mise en évidence, mais n’a induit aucun coût comportemental comme si la tâche de reconnaissance était pré- attentive. La reconnaissance semble d’autant plus résulter d’un mécanisme automatique qu’une trace électrophysiologique liée aux animaux dans les scènes est encore présente lorsqu’une autre tâche occupe des sujets non avertis.

Enfin, la rapidité du traitement visuel pour des scènes présentées latéralement (3.5°) semble être le fait d’un parallélisme massif : le coût comportemental est faible, en précision (3%) et en temps de réaction (12 ms), et la trace électrophysiologique de décision est à peine retardée (au maximum 10 ms). Une autre étude menée systématiquement à des excentricités plus grandes (Thorpe et al 99) n’attribue les mêmes coûts qu’au plus faible échantillonnage par la rétine. Le mécanisme de recentrage de l’entrée visuelle proposé par Kosslyn et par le modèle d’Olshausen ne semble donc pas intervenir dans cette tâche.

informations utilisées

Les informations sur lesquelles reposent ces traitements sont peu nombreuses, même pour une tâche d’analyse de scènes naturelles, a priori complexes et riches de détails. Les expériences en vision latérale ont montré que le plus faible échantillonnage de la rétine affecte peu le comportement et la décision visuelle ; une faible acuité est donc suffisante pour la reconnaissance. De même, l’absence de couleur dans les scènes n’affecte que de façon ténue les temps de réaction comportementaux et la latence de décision visuelle. Cette tâche pourrait donc essentiellement reposer sur les informations véhiculées par les voies magnocellulaires, rapides et achromatiques. Il est ainsi probable que la voie ventrale du système visuel soit beaucoup plus influencée par les informations magnocellulaires alors qu’on l’avait pensée principalement parvocellulaire (Desimone et al. 1985).

bases cérébrales

Les mécanismes cérébraux impliqués dans une telle tâche de reconnaissance recrutent l’ensemble des aires de la voie ventrale. Nous n’avons observé aucune supériorité hémisphérique claire dans la tâche ‘Animal vs Non-Animal’. Deux types d’activations différenciées ont pu être mises en évidence : des activations précoces entre 100 et 140 ms, observées dans le cas de la couleur et des animaux. Pour la couleur, nous avons pu observer que ces activations ne sont pas modifiées par la tâche à accomplir (cibles ou distracteurs), et sont donc le reflet d’un encodage visuel. Tout laisse à penser que l’activation précoce observée dans le cas des animaux provienne d’un mécanisme

d’encodage similaire. Ensuite, les activations mises en évidence à partir de 150-170 ms différencient cibles et distracteurs quelle que soit la catégorie cible. Nous avons proposé que ce phénomène soit lié à une activité de type décisionnel, étant indépendant de ce qui est cible ou distracteur de la tâche. Cette différence à partir de 150 ms est très proche de la négativité de sélection (SN), observée dans des expériences en potentiels évoqués sur l’attention sélective à des traits visuels simples et à la couleur. Comme nous l’avons mentionné à la fin du deuxième chapitre, il est probable que nous observions cette négativité de sélection dans le cas de l’attention portée à la catégorie Animal. Il est remarquable cependant d’observer que la latence de cette sélection est identique à celles observées dans quelques études pour des traits visuels simples1, ou comme nous l’avons vu, à des formes comme des carrés ou des ronds.

L’étude en IRMf révèle les gyri occipital médian, cingulaire et fusiforme comme étant le siège d’activités différenciées lors de la tâche. Cette étude en IRMf nous a permis de proposer que ces aires visuelles voient leur activité réduite lors de la détection de cibles, via un mécanisme d’inhibition supprimant l’activité des neurones non sélectionnés. Nous détaillerons cette proposition dans la troisième partie de ce chapitre.